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Grâce à Dieu : critique-confession

Par Geoffrey Crété
7 juin 2023
MAJ : 16 juin 2023
13 commentaires

Avec 18 films en 20 ans, François Ozon est l’un des cinéastes français les plus prolifiques et versatiles, capable de manier la comédie comme le drame, voire même le film de genre. Avec Grâce à Dieu, il s’attaque à un gros morceau : la pédophilie dans l’Église, et surtout le silence qui a pesé et continue de peser sur les victimes. Melvil PoupaudDenis Ménochet et Swann Arlaud incarnent ainsi trois hommes qui se sont battus pour que la vérité explose, dans ce film coup de poing tiré de faits réels à 95%.

photo

REAL FICTION

À avoir tant tourné, François Ozon a pris le risque d’épuiser son imaginaire. Hier vibrant avec SitcomSous le sable8 femmes et Swimming Pool, son cinéma a trop souvent pris des impasses depuis, explorant à tâtons le thriller, le mélodrame, le romanesque, le fantastique ou l’érotique, comme autant de preuves d’une curiosité inlassable, qui a donné quasiment un film par an depuis une décennie.

Ce n’est donc pas anodin si Grâce à Dieu est sa première tentative d’épouser le réel. Le cinéaste raconte ici le parcours de trois hommes qui se battent pour que la vérité éclate, après avoir été victimes du prêt Preynat durant leur enfance. Des premières lettres envoyées au cardinal Barbarin à la création de l’association La Parole libérée, Ozon parle d’un film basé sur la réalité à 95%. 

Il retrouve Melvil Poupaud (qu’il a dirigé dans Le temps qui reste et Le Refuge) et Denis Ménochet (second rôle de Dans la maison), et capte la révélation de Petit Paysan, Swann Arlaud, pour former ce trio. Et il signe là l’un de ses meilleurs films, de ceux qui rappellent sa place discrète, mais éventuellement forte dans le paysage français.

 

photo, Melvil PoupaudLa foi et la vérité

 

DES LYON DANS L’ÉGLISE

Des premières scènes se dégage un sentiment de film figé et maniéré : la voix off de Melvil Poupaud, la lecture de ces lettres très littéraires et formelles (les vraies, écrites par le réel Alexandre), le montage très carré. Le cinéma de François Ozon a tendance à avancer sur des rails en matière de mise en scène, avec une sensation de cinéma scolaire et dans les clous, d’où rien ne dépasse, de la photo sans style affirmé à l’alternance de pano et champs-contrechamps (hormis dans ses films les plus éclatants et pop, comme Potiche).

Avec Grâce à Dieu, le réalisateur ne se réinvente pas, et son cinéma garde la même apparence. Sauf qu’ici, la forme épouse le fond avec plus d’harmonie et d’éclat. Drame en trois mouvements mené comme un palpitant film d’enquête, il s’étire sur environ 2h15 sans jamais faiblir, ni tirer sur la corde du sensationnel pour accrocher le spectateur.

Cette clarté dans la narration est d’une force d’autant plus impressionnante que le récit s’articule autour de trois personnages, qui se passent le relais avant d’être réunis. Une dynamique compliquée à mener, puisque le spectateur devra alors découvrir, accepter puis un temps abandonner ces hommes et leur entourage, afin de se laisser porter par la suite. Mais Ozon maîtrise son film, captivant des premières minutes aux ultimes mots. Il a une confiance totale et tranquille en son récit et son point de vue, et le déroule d’une main de maître.

 

photo, Denis MénochetLes blessures individuelles pansées par le collectif

 

LES FEMMES DE L’OMBRE 

Grâce à Dieu menaçait naturellement d’être englouti par beaucoup de questions, sur son rapport à l’Église, la foi, la pédophilie, le pardon, et les procès en cours. Dans ce qu’il montre et ne montre pas, ce qu’il dit ou laisse en silence, François Ozon avait beaucoup de moyens d’échouer, créer de mauvaises diversions, dramatiser à outrance, et se placer en démiurge vu la gravité des événements.

C’est aussi et surtout là qu’il impressionne, tant il a pris le soin presque clinique de garder une distance, refuser de distribuer les rôles par facilité, et opposer des héros à des monstres. Le traitement du père Preynat est particulièrement fort : brillamment interprété par Bernard Verley, ce prêtre à la source de tous les maux apparaît moins comme un diable facile qu’un homme désespérément perdu, d’autant plus terrifiant qu’il ne prend pas la mesure de ses actes. Et parce qu’il n’en fait pas non plus une victime à pardonner, Ozon entretient la complexité nécessaire et morale vitale au film.

 

photo, Melvil Poupaud, Aurélia PetitAurélia Petit, remarquable en quelques scènes

 

Cette finesse se retrouve à tous les étages, au-delà du trio principal. Aurélia Petit, Hélène Vincent, Julie Duclos, Amélie Daure, Fejria Deliba, Josiane Balasko : femmes, mères, confidentes, alliées, elles sont autant de phares précieux dans la nuit des protagonistes. Jamais réduites à une pure fonction narrative, elles existent en périphérie avec une réelle force. Il suffit d’une confession terrible d’une épouse dont l’investissement cache une douleur sourde, du regard terrible d’une mère rongée par la culpabilité, ou de l’élan humaniste d’une autre lors d’une réunion (« Moi, je peux… »), pour saisir que François Ozon veille sur tous ces personnages, aussi complexes, obscurs et ambigus puissent-ils être.

Loin de se placer en Tout-Puissant sur ces personnes et personnages, le cinéaste assume avec intelligence et humanité une position humbleGrâce à Dieu tourne autour d’hommes et femmes qui s’interrogent, tourmentés par la douleur, la foi, la colère, mais aussi le désir d’avancer, se reconstruire et s’aimer. Comme eux, François Ozon pose des questions, et laisse au spectateur le soin de choisir ses réponses. C’est là la preuve d’un réalisateur accompli, qui a affronté ce sujet difficile et sulfureux avec la maturité nécessaire.

 

Affiche

Rédacteurs :
Résumé

François Ozon signe l'un de ses meilleurs films depuis longtemps avec ce drame en trois mouvements mené comme un palpitant film d'enquête, d'une réelle intelligence dans l'écriture et le point de vue.

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Commentaires
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Ethan

@thibault
C’est vrai

Ethan

En même temps qui n’est pas au courant de ça. Je comprends pas bien l’utilité de faire un film

Kobalann

Toutes les strates de la société doivent en prendre plein la tête sur leur complaisance avec la pédophilie pendant des dizaines d’ années ( des curetons aux journalistes de Liberation).
Je me réjouis de ces phénomènes, j’ai vu ce film il est très bien (enfin pas facile néanmoins, dur).
En espérant que les autres religions fassent leur introspection sur ce sujet. Toute avancée est salvateur
J’espère des a

Simon Riaux

@rientintinchti

En l’espèce, le titre ne souffre pas franchement d’interprétation.

rientintinchti

@la Rédaction
Encore merci
J’avoue qu’il peut y avoir plusieurs possibilités d’interprétation quant au titre.
Je me ferai une idée plus réelle quand je le verrai.
Merci

Simon Riaux

@rientintinchti

Titre du film qui cite directement le cardinal Barbarin, qui s’était exprimé en se félicitant que « Grâce à dieu » les faits de pédophilie qu’il avait longuement couvert étaient prescrits.

Encore une fois, le réel…

rientintinchti

@la Rédaction
J’espère me tromper également. Mais le titre du film part déjà très mal.
Merci

Simon Riaux

@rientintinchti

Non seulement on voit beaucoup de films sur les sujets que vous évoquez (souvent français d’ailleurs) mais votre description du cinéma d’Ozon laisse à penser que le réel comme la nature des oeuvres que vous regardez risque encore de vous échapper un moment.

Du reste, le visionnage du film risque de vous faire un chouia regretter la teneur de vos propos.

Bon visionnage.

rientintinchti

Pas vu le film mais je le verrai même si je déteste le cinéma de François Ozon. Du ciné petit bourgeois intello branché parisien qui surfe sur les différentes vagues d’un progressissme artificiel de salon. ça me fait penser à toutes ces stars siliconnées qui adhèrent toutes à une soi-disant cause humanitaire mais qui n’en tirent qu’une valorisation carriériste.
Depuis longtemps, beaucoup s’attaquent à Dieu car c’est à la mode et ça fait vendre.
Oui il faut dénoncer les hommes et femmes qui ont de telles pratiques, et cela, quelle que puisse être l’institution (Dieu n’a rien à voir là-dedans, tout est lié aux humains)
On voit très peu de films sur des gens comme Weinstein, Polanski, Epstein, Matzneff, Woody Allen, Victor Salva, Cohn Bendit etc.
Cherchez l’erreur…

minou

Je suis aller voir ce film et j’ai trouvé que c’est bien de dénoncer la pédophilie mais j’ai trouvé aussi qu’on veut détruire l’Eglise à fond. La foi est plus forte que le mal. Il faut aussi faire un Film sur la pédophilie dans l’éducation national et dans d’autres lieux. on s’attaque à l’Eglise. Je suis dégouté de ce Film