Un grand voyage vers la nuit : critique d'un grand choc

Simon Riaux | 14 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 14 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

On arpente les sélections du Festival de Cannes pour prendre le pouls du cinéma international, mais aussi dans l’espoir de se voir asséner une de ces claques rares et inoubliables, de celles qui donnent le sentiment d’assister à la naissance d’un auteur, ou à l’avènement d’un geste de cinéma inédit. Après le prometteur Kaili BluesBi Gan était sélectionné du côté d’Un Certain Regard en 2018 pour Un grand voyage vers la nuit, dont nous ne sommes toujours pas revenus.

UN MUR EN QUATRIEME

12 ans après avoir quitté la ville de Kaili, Luo y revient, renouant avec d’anciens souvenirs, d’une vie mafieuse énigmatique, de petits boulots épars, et d’un amour matriciel, obsédant. Alors qu’il arpente les rues de la ville pour retrouver la trace et la mémoire d’une femme évanescente, le cinéaste prend un malin plaisir à brouiller les pistes à coups de plans virtuoses et troublants.

En témoigne son ouverture, ou un long panoramique joue des textures, des différents plans de l’image pour distiller le trouble et nous faire comprendre que le récit ou nous plongeons va enchâsser jusqu’à l’absurde les époques et les voix. D’évocations cryptiques d’un passé criminel en passant par la réminiscence d’une femme multiple, Bi Gan nous immerge dans un dédale sans issue véritable, un rêve ouaté qui n’est pas sans évoquer les premières créations de Wong Kar-Wai, matinées de David Lynch. Mais ces références n’écrasent jamais l’identité d’Un grand voyage vers la nuit, qui mute et se dévoile véritablement dans sa deuxième partie.

 

PhotoInattendue invitation au voyage...

 

LA 3D POURPRE DU MYST

Luo, dépité par son enquête inaboutie, atterri dans un cinéma miteux. Alors qu’il enfile ses lunettes 3D, le spectateur est prié de faire de même. Le métrage s’embarque alors dans un invraisemblable plan séquence en trois dimensions avoisinant les 60 minutes. Après une traversée du miroir en funiculaire jusqu’à un village reculé et luminescent, nous sommes trimballés de ruelles aux perspectives trompeuses en saynètes poétiques. À force de promenades labyrinthiques, de rencontres improbables et d'allers-retours, nous mémorisons le moindre recoin d'un décor aux raccourcis et accès inter-connectés, qui devient progressivement un terrain de jeu mental aux airs de jouissive centrifugeuse métaphorique.

 

photoEnquête onirique...

 

Une si longue et complexe séquence représente en soit une gageure technique, mais la difficulté est encore réhaussée par la nature de l’action, qui alterne scènes animalières, promenade motorisée et bien d’autres tours de forces qui font de cette déambulation un impossible défi toujours relevé. Loin d’étouffer la narration, cette phénoménale agilité rend l’illusion surpuissante et immersive.

Bi Gan ne se contente pas de montrer ses muscles, mais emballe quantité de visions surréalistes à la poésie terrassante, d’une rencontre évanescente dans les coulisses d’un spectacle communal, jusqu’à une maison tournoyante, qui ouvre dans le récit une faille sublime, et nous reconnecte soudain à une scène énigmatique du début de l’aventure.

 

photoUn des nombreux seconds rôles énigmatiques du film...

 

BI GAN AU PAYS DES MERVEILLES

Ce qui se déroule alors relève non seulement du miracle technique, ou plus exactement du jamais vu. Ce Carnaval des âmes perdues transcende enfin les influences parnassiennes qu’il étale, et évoque également le jeu vidéo. Car c’est bien une partie où guette la mort, la disparition d’un songe incroyablement fragile.

À chaque seconde, on se pince, se prie à espérer que l’illusion jamais ne se rompe, à la manière du joueur évoluant pas à pas dans le niveau final d’un soft pour hardcore gamer, porté par une nuit blanche de réflexes et de mise en abime. Explorateur funambule, protagoniste et metteur en scène fusionnent, redoutant qu'à chaque mouvement, tremblement ou hésitation, le fil ne se rompe, la chimère ne s'évapore, la partie ne s'interrompe.

 

photoWei Tang (Hacker)

 

Cette bouleversante tension aérienne permet à Bi Gan de conférer un impact stupéfiant à des images à priori extrêmement banales. Car toute coupe étant prohibée, le moindre mouvement, le plus petit geste, est présent in extenso. De cette dilatation de l’action interdisant toute ellipse nait un rythme nouveau, sur lequel les fantasmes du spectateur s’agrègent perpétuellement. Et quand Luo, emmené par l’ahurissante photographie de Hung-i Yao, s’avance vers une rencontre décisive, réalité, fantasme et mythes se précipitent à l’écran, transmuté en trou du lapin Carollien. Chacun de ses pas le long d’un escalier nimbé d’une lumière violette nous approche de l’issue, de la fin du rêve et de la possibilité d’un réveil.

 

photoMafia et karaoké, un bien curieux mélange

 

En définitive, l’intrigue d’Un grand voyage vers la nuit demeurera un mystère, son issue, un vaste point d’interrogation et son sens, une boule à facette ou chaque spectateur apportera une nouvelle réalité à refléter. Et pourtant, le prodige a bien lieu, tant le métrage s’impose comme une des propositions les plus accomplies, inclassables et fascinantes vues depuis des années, portées par une audace de mise en scène absolument inédite, qui en fait déjà une date dans l’histoire du médium.

P.S : à l'évidence, privilégiez les projections du film en 3D, seules capables retranscrire fidèlement l'expérience imaginée par Bi Gan.

 

Affiche française

 

Résumé

Un Grand Voyage vers la Nuit n'est pas seulement un plaisant songe doublé d'un tour de force technique. Il s'agit d'un miracle qui emporte le médium vers des cîmes inconnues et nous invite à une rêverie terrassante de beauté.

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Lecteurs

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commentaires
Simon Riaux
29/10/2021 à 01:10

@Erika

Mais du coup, qu'est-ce qui vous semble si obscur dans ce texte ?

Erika
28/10/2021 à 20:19

Je ne sais pas qui écrit ces critiques mais p'tain il peut pas se contenter de faire simple au lieu de vomir des grands mots que lui seul comprends. C'est possible d'avoir des critiques sans la jouer intello adepte de la br*nlette intellectuelle ? Mais c'est quoi ces critiques où il faut un dictionnaire à côté pour décoder son baratin !

Victor
12/09/2019 à 20:46

10ème visionnage déjà, et toujours aussi sidérant, fascinant et hypnotisant. C'est vraiment sans aucun doute le film de l'année.

Dommage qu'il n'y est que Simon qui est vu ce film dans la rédaction d'écran large...

Starfox
19/02/2019 à 10:19

Je me joins aux commentaires de Rorov.

Un grand voyage vers l'ennui...

jeanbar
17/02/2019 à 00:28

ROROV 94 EST UN BEAUF

Rorov94
29/01/2019 à 09:58

Contemplatif,lent...bref,chiant.
Mr Riaux essai de vous vendre du rêve tel un vendeur de boisons fraîches à Tchernobyl.
Pour le public(peu nombreux)du «cercle»,moi j'appel ça le trou de b...mais bon,là n'est pas le sujet,cela conviendra parfaitement.
Mais pour les amateurs exigeants de 3D en salle,ce film «boulversichiant» n'est pas au niveau de BILLY LYNN,LIFE OF PI, ou même DECTIVE DEE 3 .
Mr Riaux,le montant de vos émoluments du distributeur pour cette critique peu objective s'il vous plait!

Slaine
28/01/2019 à 22:43

Merci Mr Riaux
Critique au top comme souvent et qui donne clairement envie.

TheMoon
18/05/2018 à 23:00

Bon boulot EL :)

Zapan
18/05/2018 à 21:32

Ah oui oui oui, vous nous faites baver là. Ca donne vraiment envie.
Ca sort le 22 aout apparement

Carman
18/05/2018 à 15:42

J'ai rien compris mais j'ai une folle envie d'aller voir le film ^^ (une sorte de wong kar wai époque Chungking Express/falling angels, je fonce tête baissée)

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