The Pro, c’est le comics trash et parodique durant l’après-11 septembre sur une prostituée super-héroïne, par le créateur de The Boys, Garth Ennis.
Le genre super-héroïque couvre une multitude d’œuvres au traitement divers qui mêle phénomène culturel, mythologie moderne et miroir critique de notre société. Celui qui a bien compris le pouvoir de création et de destruction que permettaient ces justiciers au-dessus des lois, c’est bien Garth Ennis.
L’auteur du comics violent et moqueur The Boys, de l’arc le plus brutal et noir du Punisher ou encore du dérangeant Preacher est à l’origine, avec la dessinatrice Amanda Conner et de l’encreur-scénariste Jimmy Palmiotti, d’une des œuvres les plus absurdes du monde des super-héros : The Pro. L’histoire ? Une prostituée au string apparent devient une super-héroïne.
catin-woman
Bien merdique est la vie de cette anonyme prostituée qui jongle entre les membres de ses clients et les couches pleines de son bébé criard dans un appartement miteux. Aucun destin radieux à l’horizon – à part le risque d’une tendinite du poignet à force de travail acharné – n’attend cette femme aussi blasée que fumeuse. Pourtant un salace extraterrestre voyeur décide de prouver avec elle que tout humain est capable de devenir un grand héros. Par un pur hasard donc, cette inconnue va être dotée de super-pouvoirs. Instantanément, la Justice League de ce monde, la Ligue de l’Honneur, veut la recruter.
Cette équipe de héros est constituée d’un prude Superman, d’un Batman les parties prenant le vent sous une courte cotte de mailles avec un Robin en justaucorps accroché à lui, d’une Wonder Woman plus strip-teaseuse que guerrière, d’un Flash en slip-bretelles et d’un Green Lantern en parodie des clichés sur les Afro-Américains. Sitôt engagée, la super-péripatéticienne affronte une bande d’ennemis dont les noms – le Nom, le Verbe, l’Adverbe et l’Adjectif – illustrent le je-m’en-foutisme des vilains jetables créés pour se manger les poings des gentils héros dans les comics. La Pro pulvérise la dentition de la vilaine le Nom avant de l’initier aux bienfaits revigorants de la golden shower.
Pas de pouvoir, beaucoup de responsabilités
Bien évidemment, la Ligue de l’Honneur n’apprécie pas des masses ce geste et la Pro, refusant de se plier à leurs règles, va mener sa propre vie de super-héroïne. Sa première action sera d’aider une vingtaine de collègues travailleuses du sexe équipées d’objets aux formes variées à détruire le colon d’un client aux habitudes agressives. Suite à ça, la prostituée accomplit sa meilleure nuit de travail en enchaînant les hommes grâce à sa super-vitesse. Cerise sur le gâteau, elle va même dépuceler la super-andouillette de Superman. Pas de bol, l’orgasme juteux du surhumain va partir si fort qu’il arrachera l’aile d’un avion passant par là, obligeant le Man of Steel à le sauver les valseuses à l’air.
L’humiliation est totale pour la Ligue de l’Honneur d’autant que la prostituée va en rajouter une dose en affirmant qu’ils sont d’une totale inutilité à un monde qui ne veut pas de ce genre de héros après les attentats du World Trade Center. Mais alors que la Pro incendie les supers, une attaque terroriste a lieu dans un building new-yorkais. La Ligue arrive à temps et, un carnage plus tard, la super-catin tient en main une bombe nucléaire amorcée. Elle n’a d’autre choix que de s’envoler dans l’espace pour exploser avec l’arme. Ainsi, de travailleuse de nuit, elle devient une héroïne dont le sacrifice surpasse tous les combats que peut mener un immortel Superman.
satire à balles réelles
Quand Garth Ennis s’attaque aux super-héros, c’est rarement pour leur donner le beau rôle. Les comics The Boys, qu’a adapté en série Amazon, sont l’une des nombreuses preuves des délires sale gosse du monsieur. Ennis est un scénariste qui déteste les personnages phares de Marvel et DC, mais sait les exploiter pour en tirer des critiques acerbes du genre comme de la société. Aux illustrations, c’est la très active dessinatrice Amanda Conner qui a travaillé avec toutes les plus importantes maisons d’édition américaines de comics depuis les années 90 à nos jours. Le dernier co-créateur du personnage est Jimmy Palmiotti qui s’occupe de l’encrage et a grandement aidé à la promotion du comics selon Ennis.
The Pro est publié un an après les attentats du 11 septembre et se veut une satire acide contre les super-héros dans cette époque qui bascule vers la terreur. Ennis va détruire ces personnages loin d’une réalité où aucun type en collant ne vient sauver des centaines de civils. Ainsi, tels les Avengers et la Justice League, la Ligue de l’Honneur a un QG qui les tient éloignés du peuple (ici un building). De même, leurs ennemis sont des nominatifs oubliables, quand ils ne sont pas ridicules, dont les citoyens se fichent. Raison de plus donc de faire de l’équipe des bouffons exhibitionnistes, dont l’apparence reflète leur inadéquation avec une Amérique marquée par une barbarie sans honneur.
Tout cela justifie le gore, les seins à l’air, les insultes et autres fessiers qui fleurissent le comics, car ils viennent renforcer l’image d’une représentation sans détour de la réalité où des super-héros peu vêtus passent pour des dégénérés. Même dans le lettrage, entièrement écris à la main par Amanda Conner – alors qu’ils sont essentiellement tapés à l’ordinateur habituellement – participe à cette impression de monde imparfait et brute. Car bien que l’héroïne passe pour une Bigard en bas résille, elle est caractérisée comme une mère ordinaire qui essaie de survivre, et que la Ligue ne comprend pas.
Si le comics est assurément drôle dans son humour noir et le franc-parler garni de jurons de son anti-héroïne atypique, il est surtout très pessimiste. Son personnage est complètement blasé par la société et l’impossibilité de lendemain meilleur. Un état dépressif très certainement similaire à celui de beaucoup d’Américains durant cette période, dont celui des auteurs. Ainsi, il est nécessaire d’avoir en tête ce contexte en lisant The Pro, plusieurs lignes de dialogues ou dessins traduisent en effet d’une colère aveugle, parfois raciste ou carrément vengeresse.
The Pro n’est pas à prendre à la légère tant il est cru dans son message aussi violent que ses graphismes. Pourtant, il reste une œuvre qui se rapproche plus de la lettre d’intention nihiliste surmaquillée et aguicheuse, que de la simple BD bêtement provocatrice. Un comics intéressant pour son ton caricatural comme pour son discours politique témoin d’une Amérique encore sous le choc au début d’une période noire de l’histoire moderne des États-Unis.
En 2009, Paramount Pictures a acheté les droits du comics pour l’adapter en film, mais les nouvelles sur le projet ne se bousculent pas au portillon depuis. Néanmoins, l’idée a de quoi rendre curieux. Avec un discours modernisé et adapté à un cinéma inondé de super-héros, The Pro a totalement de quoi être un bijou d’humour noir délirant.
…et on trouvera bien peu d’interviews dans lesquelles il dit explicitement qu’il les déteste.
C’est juste plus son truc par rapport aux histoires de soldats ou de flics, passé un certain âge. Mais il a quand même écrit un Daredevil (face au Punisher) qui soit plus un adversaire idéologique qu’un costumé ridicule. Ainsi que Starlight et les Super Pépères dans The Boys, très malmenés mais seuls surhumains non corrompus, pas très loin de l’anti-héroïne de The Pro.
C’est plus la marchandisation extrême des personnages dans le Grand Public qu’il critique, et veut pulvériser… avec rigolade qui tâche, tant qu’à faire.
Si si, il les déteste. Il l’a assez répété tout au long de sa carrière et son oeuvre parle pour lui. Suffit de prendre n’importe quelle interview où on lui pose la question.
Mais non il ne les déteste pas… Il considère juste qu’on ne doit pas les prendre trop au sérieux, et qu’on ne doit pas s’attendre à les voir sauver tout le monde à chaque fois… Parce-que c’est aussi le boulot des simples humains, de se sauver (d’) eux-mêmes.