X, Pearl, The House of the Devil... Ti West, le roi de la nostalgie horrifique

Mathieu Jaborska | 4 novembre 2022 - MAJ : 04/11/2022 17:15
Mathieu Jaborska | 4 novembre 2022 - MAJ : 04/11/2022 17:15

Son ambitieuse trilogie composée de X, Pearl et MaXXXine a fait couler beaucoup d'encre, de sperme et d'hémoglobine. Mais le roi de la nostalgie et des petits budgets Ti West n'a pas attendu A24 pour s'imposer parmi les cinéastes les plus passionnants à évoluer dans l'industrie du cinéma d'horreur.

En France, l'excellent X est à l'affiche de toutes les bonnes crémeries depuis le 2 novembre 2022. Sa suite Pearl, tournée juste après, est déjà visible aux États-Unis et on l'attend chez nous. Quant au troisième volet MaXXXine, il ne devrait pas tarder. La trilogie, produite par A24, a rebraqué les projecteurs sur son réalisateur et scénariste, l'Américain Ti West.

Le très sympathique cinéaste était pourtant déjà très respecté par les amateurs de cinéma d'horreur, son approche minimaliste et passionnée du genre ayant fait les grandes heures des festivals spécialisés. Et si on dit "sympathique", c'est parce qu'on a eu le plaisir de discuter avec lui de sa carrière, laquelle, de The House of the Devil à In a Valley of Violence en passant par moult épisodes de séries et son amitié avec Eli Roth, a rendu ses lettres de noblesse à une esthétique jadis méprisée, au point d'anticiper l'obsession contemporaine pour la nostalgie.

 

 

First calls

"J’aimais les films d’horreur. Je ne songeais pas à la réalisation de films quand j’étais jeune, parce que ce n’est pas quelque chose auquel on pense spécifiquement. C'était quelque chose que les autres faisaient". Le jeune Ti West, enfant unique, grandit en cultivant sa cinéphilie, horrifique, mais pas uniquement. Il vénère Karate KidRetour vers le futur et s'intéresse aux comédiens, faute de comprendre le processus de fabrication.

"Je pense que quand on regarde un film de l'extérieur, c'est la seule chose qu'on peut à peu près comprendre. On se dit : « Tiens, quelqu'un est dans ce film ». Tous ceux qui font les films sont une sorte de force invisible dont on ne sait pas grand-chose.

L'idée d'un réalisateur ne voulait rien dire pour moi, jusqu'à mes 17 ans probablement. Avant ça, je ne savais pas ce que c'était. Alors que les acteurs sont dans le film, donc c'est le film. J'étais juste intéressé par le cinéma. Je ne jouais pas dans les pièces de mon lycée ou quelque chose comme ça. Je n'avais pas un vrai désir de jouer. C'était juste la seule façon de m'attacher aux films grâce aux gens qui étaient dedans. Jusqu'à ce que je commence à apprendre leur fabrication. Donc oui, j'étais cinéphile, j'adorais tous types de films, mais je préférais toujours les films d'horreur."

 

Moment de vérité (Le) - Karaté kid : Photo Karate KidUne formation parfaite

 

Plus vieux et plus sage, il intègre la prestigieuse School of Visual Arts de New York. Il y réalise plusieurs courts-métrages, dont l'ultra minimaliste et neigeux Prey, disponible sur YouTube, préfigurant son Trigger Man. Courts-métrages qui lui permettent de passer au long, via la société de production Glass Eye Pix, officiant dans le milieu du ciné indé depuis les années 1980, ainsi que... Kelly Reichardt, sa professeure et cinéaste devenue entre-temps très en vue, encore récemment avec son magnifique First Cow.

"On s'est bien entendu et elle était amie avec Larry Fessenden, qui avait produit et interprété l'un de ses films. J'avais vu son propre film Habit. Alors, elle nous a présentés parce que j'étais un gamin de sa classe. Elle disait : « Tu devrais rencontrer Larry si tu as aimé Habit ». Larry Fessenden et moi sommes devenus familiers, il a vu mes courts-métrages et il les a aimés.

 

 

Et puis, quand j'ai eu mon diplôme et que je lui ai montré mon court Prey, il m'a demandé : « c'est quoi, la suite ? » Et je lui ai répondu : « Je ne sais pas, peut-être déménager à Los Angeles, écrire des scénarios, tout ce qu'on est supposé faire » [...] Et il m'a dit : « Et si je te filais un peu d'argent, est-ce que tu pourrais faire quelque chose ? » Et c'est comme ça que ça a commencé.

Je lui ai juste dit : « Ouais, et j'ai déjà un scénario, je veux juste le peaufiner un peu pour toi. » Ce qui n'était pas vrai, mais je pouvais m'acheter un peu de temps. Donc je suis rentré chez moi, je l'ai écrit en quelque chose comme 4 jours, je lui ai rendu. Il l'a lu et il a fait : « OK, voyons si on peut le faire ! » Et 3 mois plus tard à peu près, on était en train de tourner."

 

The Roost : photoUne introduction en bonne et due forme

 

Démons hollywoodiens

Ce premier film, c'est The Roost, tourné en 13 jours à peine pour la très modique somme de 50 000 dollars. D'emblée, malgré le look forcément très approximatif de l'ensemble, les obsessions du cinéaste sont limpides. Le récit est introduit à la manière d'un conte de la crypte, avec en guise de Mr Loyal Tom Noonan, à l'affiche de Wolfen, Manhunter, The Monster Squad, RoboCop 2 et Last Action Hero, souvent dans des rôles de bad guy. Il alterne en plus épouvante classique et traits d'humour parodiant les codes du genre. Il débarque dans les bacs de DVD le 3 octobre 2006.

Détail non négligeable : West cumule les postes de réalisateur, monteur et scénariste, faisant preuve d'une ambivalence, qu'il chérira encore davantage par la suite. La suite en l'occurrence, c'est The House of the Devil. Sauf qu'il ne parvient pas à monter le projet : "C'était un film que j'allais faire après The Roost et ça a tourné court, donc j'ai fait un film qui s’appelle Trigger Man". Trigger Man, où l'histoire d'un trio qui part à la chasse et se fait prendre... en chasse par un tireur anonyme. Il faut reconnaître qu'il s'agit de son film le plus austère, avec sa caméra à l'épaule simili found footage et ses personnages qui déambulent des dizaines de minutes durant avant de courir à en perdre haleine le reste du temps.

 

Trigger Man : photoTrigger warning

 

Son style continue néanmoins à s'affirmer, toujours avec ces retournements de situation brutaux, disséminés dans une narration simplissime. Des caractéristiques déjà à rebours de l'industrie grand public, et il ne va pas tarder à l'apprendre à ses dépens. Alors qu'il peaufine Trigger Man, il est invité à donner une suite au Cabin Fever d'Eli Roth, devenu entre-temps un bon ami : "Il est venu voir The Roost en salles, il a beaucoup aimé. Et on est devenus amis après ça. Puis, on est allé au festival de Sitges, où il avait Hostel et j'avais The Roost et on est devenus proches".

Son expérience sur Cabin Fever 2 n'en est pas pour autant agréable, loin de là. Il écrit le film comme une comédie gore à la Evil Dead II avec gerbes de sang et nudité masculine frontale. Tous les feux sont au vert, jusqu'à ce que Lionsgate voie le résultat final et décide de le remonter derrière son dos. Malgré la volonté de West de revenir dessus, le studio préfère engager quelqu'un d'autre pour effectuer les reshoots nécessaires et remplir un peu un film réduit à peau de chagrin après l'éviction d'une bonne partie des rushs originaux. Dégouté, il démissionne, mais ne peut même pas retirer son nom du générique.

 

Cabin Fever 2 : photoTi West et Eli Roth

 

Et en effet, le résultat est complètement décousu, parsemé de raccords étranges et surtout de tours de passe-passe de sound design complètement aberrants. Les blagues ne marchent pas, les audaces (la séquence animée) non plus. Quant à la structure narrative, elle s'écroule toutes les 10 minutes. Reste que la plupart des effets gores sont restés intacts et qu'ils valent à eux seuls le visionnage, en particulier un replacage d'ongle crémeux et un secouage de zigounette assaisonnée au pus. Jamais la saga n'ira aussi loin, et c'est bien dommage.

Au sortir du premier montage de son Cabin Fever, Ti West n'en mène pas large : "À l'époque, c'était très frustrant parce c'était vraiment le moment pour moi de « montrer qui je suis au monde en tant que cinéaste. » Et puis je me suis dit : « Oh mon dieu, c'est foutu parce que ça ne va pas ressembler à ça ». Ça me paraissait être un gigantesque problème. Plusieurs années après, c'est juste l'un des nombreux problèmes de la vie pas si importants. Mais ça m'a certainement rendu moins confiant.

 

Cabin Fever 2 : photoCarnage au bal du diable

 

Ce n'était pas comme si la situation était la faute de quelqu'un, maintenant que je suis plus vieux. C'était juste une suite de choses qui se sont passées, qui ont foiré et il n'y avait pas de bonne échappatoire. Mais ça m'a fait approcher les choses que je fais différemment. Quand je fais un film, il n'y a qu'une seule manière de le faire parce que sur ce film, je me suis rendu compte de ce que ça faisait quand quelqu'un essayait d'en faire autre chose."

 

Cabin Fever 2 : photoRare image de la salle de montage

 

Home sweet home

Le cinéaste cherche alors désespérément un moyen de reprendre du poil de la bête. Et l'occasion vient lorsqu'il a l'opportunité de concrétiser son vieux projet The House of the Devil :

"Je faisais ce que je pouvais pour me remettre sur les rails. Donc je n'avais vraiment pas envie de faire The House of the Devil, parce que c'était une vieille idée, mais comme je me morfondais – « Oh non, je fais partie de cette chose dont je n'ai pas envie de faire partie » –, c'est devenu ma porte de sortie. Donc j'ai fait ça et puis c'est sorti avant Cabin Fever 2, mais j'avais fait Cabin Fever 2 à peu près un an avant The House of the Devil."

The House of the Devil va devenir pour beaucoup son premier vrai coup d'éclat. Pourtant, il doit toujours composer avec un budget microscopique : moins d'un million de dollars, soit une somme ridicule.

"C'était dur, mais chaque film est difficile parce qu'il n'y a jamais assez de temps et d'argent, c'est mieux d'en avoir plus. Mais vous savez, j'ai fait des films plus gros que ça et j'ai toujours l'impression qu'il n'y a pas assez de temps et d'argent parce que vos idées s'étendent en même temps. Je pense que notre film a coûté 900 000 dollars et chaque dollar a été estimé pour l'idée. Donc nous avions exactement le bon montant. La seule chose qu'on n’a pas pu faire, c'est que, dans le scénario, la maison brûle, et on n'a pas pu se le permettre. Mais à part ça, c'est à peu près le film que j'imaginais."

 

The House of the Devil : photo, Jocelin DonahueUne photo magnifique

 

Cette fois-ci donc, il est maître à bord. Et ça se voit. Tourné dans un 16mm resplendissant, le film reste un petit bijou, qui planque derrière sa simplicité et ses renvois amusés à la Satanic Panic, une mécanique de l'effroi bien huilée. Chaque pas effectué par notre baby-sitter d'héroïne épaissit le voile d'étrangeté qui l'entoure. Crédité à la mise en scène, au scénario et au montage (sans compter son caméo), West est en pleine possession de ses moyens. Plus amusant, il recrute une jeune Greta Gerwig, future réalisatrice des Filles du Docteur March, entre autres. Les joies du microcosme du cinéma indépendant américain :

"On se connaissait tous surtout grâce au festival South by Southwest. Beaucoup de gens faisaient des films à petit budget. Nos films étaient pour la plupart joués là et on a appris à se connaître parce que des gens avec le même état d'esprit venaient des 4 coins du pays et se disaient « On n’a rien, on essaie de faire des choses, vous voulez aider ? » Et tout le monde mettait la main à la patte. J'aimais son travail, tout ça. Et quand est arrivé le moment de le faire, je lui ai juste dit : « Hey, est-ce que tu ferais une audition, pour pas qu'on ait l'impression que je donne le rôle à mon amie" ?» Et elle a fait une superbe audition et puis c'était fait."

 

The House of the Devil : photo, Greta GerwigQuand tu penses à tes futurs Oscars

 

Hôtel particulier

Deux ans plus tard, il enchaine sur The Innkeepers, tout à fait similaire dans le ton, à ceci près que la Satanic Panic laisse place à une histoire de fantôme. Aujourd'hui, il reste peut-être son film le plus célèbre, et pour cause : outre le soin rare apporté à son duo de personnages, il déconstruit presque un à un les tropes techniques de l'horreur, jouant sur le son seul, puis l'image seule, le tout sans jamais se départir de cette ambiance qui fleure bon le grain, les années 1970 et la frousse économe.

Pas question de demander une augmentation. The Innkeepers est même plus petit encore :

"Je savais comment faire ce film parce que nous sommes restés dans l'hôtel ou on a fait The House of the Devil. Donc, ça aurait été bien d'avoir plus, mais je savais que si je demandais moins, ils diraient oui. The House of the Devil venait de sortir et je me disais : « Si on fait ça pour un peu moins, pourquoi diraient-ils non ? » Et ça a marché, ils ont dit oui."

 

The Innkeepers : photoUne histoire de fantômes

 

La méthode Ti West commence à séduire les nostalgiques. Une des composantes de son succès ? La musique de Jeff Grace, qui au début des années 2000 a travaillé comme technicien sur de grosses productions telles que Le Seigneur des Anneaux, Panic Room ou Gangs of New-York :

"Jeff Grace et moi nous sommes rencontrés parce qu'il venait de faire la musique d'un court-métrage pour le producteur Peter Phok, qui produit tous ses films. Peter et moi avons été à la Fac ensemble et on s'est rencontrés. Après ça, il a fait The Rooster, il a fait du bon boulot et on a juste continué à avoir cette super relation."

Le réalisateur donne une grande importance à la musique :

"J'essaie de faire de la musique un personnage du film, donc j'essaie de lui laisser beaucoup de place. Je laisse de la place dans la narration, dans le type de séquences que je sais menées par la musique et des choses comme ça. Et j'essaie vraiment de la pousser... Je n'utilise pas de pistes temporaires et pour quelqu'un comme Jeff, c'est parfait, parce qu'il débarque avec rien et il doit créer une identité au film avec la musique et pas juste copier ce que j'ai déjà mis, une véritable malédiction. Parce que quand tu mets une piste temporaire, ça va beaucoup plus vite, le film se fait plus vite. Mais le compositeur doit plus ou moins copier ça."

 

The Innkeepers : photoLendemain de soirée

 

Ils collaboreront encore sur In a Valley of Violence, en parallèle de la carrière galopante du musicien, désormais responsable des bandes originales de Sweet Tooth, Night Moves ou encore du très sympathique Cold in July. Quant au diptyque The House of the devil The Innkeepers, il sera très apprécié, d'autant qu'il anticipe une épouvante atmosphérique qui touchera un large public plus tard, et dont le studio A24 deviendra un peu à tort un symbole.

 

Cold in July : photoCold in July

 

Beaux et courts

Mais avant de travailler avec lui, Ti West participe à plusieurs anthologies horrifiques auxquelles sont rattachés ses amis, The ABCs of Death, V/H/S, et The 3:07 AM Project, émanation de la saga Conjuring coproduite par Vice. De bonnes expériences, selon lui plus faciles à approcher que ses longs-métrages. "C'est plus simple. Je veux dire, c'est différent. C'était un moment étrange avec ces trois trucs faits coup sur coup. Tous ont été faits en quelques mois. Et je connaissais tous ceux qui les faisaient, donc [...] ce n'était pas vraiment quelque chose que j'avais prévu.

C'est plus simple puisque c'est moins de travail en général, mais ce qui est dur, enfin pas dur, mais que je n'ai pas trop aimé, c'est que si vous ne faites pas le truc en entier, comment vous vous y intégrez ? Ça ne dépend pas de vous et donc vous pouvez faire des choix, une fois alignés avec le reste du film...  Quand c'était fini, je me suis dit : « Si j'avais su certains trucs, j'aurais fait les choses différemment ». Quand on n’est pas le réalisateur de l'entièreté, on est un peu à la merci de ça. Ce n'était pas grave. Mais ce n'était pas aussi agréable que de superviser tout."

 

V/H/S : photoSecond Honeymoon, le sketch de Ti West dans V/H/S

 

Une réussite : ses deux sketchs pour V/H/S et The ABCs of Death restent très appréciés. Autre activité récréative : la comédie. Attiré par le métier dans sa jeunesse, le cinéaste n'accorde pas pour autant une grande importance à ses performances. Pourtant, outre ses caméos, il se prête assez souvent au jeu, avec ses amis. En l'occurrence, il s'agit de Joe Swanberg et Adam Wingard, qui lui trouvent des rôles dans Silver Bullets, Autoerotic, ou encore dans le réjouissant You're Next, où il campe un réalisateur de film "underground", dans presque tous les sens du terme. Un clin d'oeil amusant.

"Je n'ai pas d'envies de le faire. Je n'avais même pas envie de le faire à l'époque. Les deux personnes qui m'ont demandé de le faire étaient des amis très proches. Jouer est assez loin de ce que je faisais. Joe et moi nous connaissons depuis longtemps et il fait de l'improvisation. Donc je n'ai pas eu à retenir de répliques ou à me préparer de quelque manière : je devais juste être un peu loufoque dans la scène.

 

You're Next : photoDeuxième en partant de la gauche

 

Et Adam dans You're Next, c'était comme une version cartoon d'un cinéaste dans tous les cas, donc c'est quelque chose que je me suis dit que je pouvais probablement faire, avec humour. Mais si ça n'était pas eux qui demandaient... D'autres personnes m'ont demandé à ce moment ou après ce moment et la réponse a toujours été non. Parce que je n'avais pas grand-chose à faire, c'était juste des amis et je me disais : « Et bien, je connais tout le monde, donc je suis à l'aise dans cet environnement, à m'amuser. »"

Alors qu'il évolue dans sa carrière, il prend du plaisir à participer à des projets moins fatigants et exigeants, et notamment à des séries télévisées, auxquelles il ne cesse de revenir entre 2015 et 2021. Them, L'ExorcisteWayward Pines... Il ne chôme pas et son style se devine parfois dans certaines d'entre elles. Nous n'avons d'ailleurs pas manqué de lui faire part de notre amour pour son épisode dans la géniale série Tales from the Loop.

 

Them : photo, Deborah AyorindeThem, qui a beaucoup fait parler d'elle sur Amazon

 

"Tales from the Loop est ma série préférée parmi celles auxquelles j'ai participé. Ça dépend de la série. [...] De temps à autre, on se retrouve sur une série ou il y a plus de place pour [mon style] que chez les autres. Mais j'y vais en demandant : « Qu'est-ce que vous essayez d'accomplir, et comment puis-je aider ? » Puis j'essaie, à travers mes gouts ou mes capacités, etc., de faire : « Je sais ce que vous cherchez, laissez-moi vous donner ma version ». Et puis j'essaie de la concrétiser. Nathaniel Halpern, le scénariste et showrunner de Tales from the Loop, était plus collaboratif puisqu'il aimait mes films et voulait que ça ressemble plus à l'un d'entre eux, mais à la fin ça dépend du scénario, du contexte.

Faire de la télévision, c'est vraiment génial, parce que quand vous faites vos propres films, dans mon cas, je dois penser à une idée, l'écrire, trouver des financements... Deux ans de votre vie passent. Alors qu'à la télévision, c'est : « Vous serez dans l'avion lundi ». Et c'est parti. Aider d'autres gens à concrétiser visuellement ce qu'ils veulent, c'est assez excitant pour moi et je n'ai pas le fardeau de mes propres films donc c'est plus simple de collaborer et d'être inventif. Donc j'ai vraiment beaucoup aimé. Et j'ai fait quelque chose comme 17 épisodes en une année parce qu’une fois que j'en fais un, on me demande d'y retourner et je suis content d'y aller. Mais de toutes les séries auxquelles j'ai participé, et j'en ai fait pas mal dans ma vie, Tales from the loop est celle qui me ressemble le plus."

 

Tales from the Loop : photoRegardez Tales from the Loop

 

Vallées et violence

Après The Innkeepers, Ti West change un peu son fusil d'épaule, et accouche de deux longs-métrages (perdus au milieu de ses pérégrinations télévisuelles) souvent moins cités et pourtant passionnants dans leur manière de faire muter son approche de la nostalgie et de l'évocation d'une culture américaine granuleuse et sombre. En 2013, il retrouve un autre de ses amis, Eli Roth, alors sur le point de dévoiler son film de cannibale The Green Inferno.

"Il commençait à produire des films, il avait fait Le Dernier exorcisme. Je ne me rappelle plus comment c'est arrivé. J'avais juste cette idée pour un film, comme ça, et il a fait : « Oh, on peut s'en occuper ! » Et il l'a fait. C'est ce qui est super avec Eli. Quand il dit qu'il va faire quelque chose, il le fait. Il commençait à faire ces faims avec sa maison de production [Arcade] et il se trouve qu'on était ensemble au bon endroit au bon moment. J'ai dit: « Je lance cette idée» et il a répondu : « C'est parfait pour ce qu'on est en train de construire »."

 

Sacrament (The) : Jim JonesIncroyable Gene Jones

 

Le résultat, c'est The Sacrament, found footage beaucoup plus malin que ses congénères alors en train de polluer les écrans (la scène de l'interview du gourou est sidérante), qui relate un suicide collectif par l'intermédiaire de journalistes de Vice. West reste dans le domaine de l'horreur, au sens large du terme, mais il commence à s'éloigner des codes de l'épouvante classique, pour explorer une autre facette de la décennie 1970. Son style, à rebours de la frénésie hideuse des représentants les plus célèbres du genre, scrute les détails glaçants du fanatisme, l'inquiétude croissante des journalistes face à lui.

Expérimentation qu'il poursuit dans son seul film pas complètement horrifique : In a Valley of Violence. Pour ce western épuré, cinéphile et cynophile, il refait équipe avec un producteur hollywoodien de renom, le fameux Jason Blum. Pas question néanmoins de décrocher un budget de blockbuster : le margoulin est célèbre pour fonctionner à l'économie et ne rien produire (ou presque) en dessous de 5 millions de dollars. En l'occurrence, il coûte encore moins. Le prix de la liberté ?

 

In a Valley of Violence : Photo Ethan HawkeEthan Unchained

 

"Jason n'est pas vraiment là pendant la fabrication du film. Il prend ce qui passe et quand c'est parti, ça va très vite. Et nous ne faisions pas vraiment un film d'horreur donc on était un peu à part sur le coup. Je n'aurais pas fait mon film différemment si ce n'était pas avec eux. Mais oui, quand Jason donne son feu vert, vous allez faire votre film."

L'importance de la production lui permet de recruter un casting prestigieux : Ethan Hawke en déserteur repentant, Taissa Farmiga en love interest ambigu, une Karen Gillan post-Doctor Who et un John Travolta bien dirigé, pour changer. Tout ce beau monde se regarde de traviole dans cette relecture à l'os de John Wick (les similarités sont troublantes) particulièrement bien shootée et qui fleure bon le spaghetti... des années 1970 bien sûr.

 

In a Valley of Violence : Photo John TravoltaEn embuscade

 

Porn star

On a ensuite moins entendu parler de Ti West, très occupé sur ses séries, du moins jusqu'à ce qu'il revienne sous la houlette de A24, et pas à moitié. Sur le papier, X est aux antipodes de son style : moins minimaliste, plus symbolique, voire frontalement métafilmique (il dresse le parallèle entre le cinéma d'horreur et le porno), il éclabousse les murs. Plus étonnant encore, il abandonne le précieux 16 mm de ses débuts ou le 35 mm de son western (The Sacrament étant tourné à la HDCAM pour des raisons évidentes), pour cause de lieu de tournage (le Brésil), de contexte (la pandémie) et donc de pénurie de labos.

Sauf qu'il encapsule nombre de ses obsessions, notamment la quête de la substantifique moelle de la culture populaire des années 1970, ici intimement liée aux préjugés auxquels elle a dû faire face. Une fois de plus, la violence est plus l'émanation d'un fantasme culturel que d'une véritable menace surnaturelle et elle explose en décalage avec l'ambiance générale, non sans humour. Car le cinéaste est drôle, et son talent comique explose lors d'un climax mémorable.

 

X : photoUne question d'angle

 

"Certaines des [touches d'humour] arrivent quand vous vous imaginez le film dans votre tête et ça se retrouve dans le scénario. Certaines d'entre elles, pendant qu'on fait le film, elles semblent justes. La meilleure manière de le décrire, c'est que vous avez une idée de film dans votre tête et ça parait bien pour cette idée. Et puis quand vous y réfléchissez, vous vous dites que les choses qui paraissaient bien ne marchent pas si bien désormais et qu'il faut les changer.

J'aime la comédie, donc l'idée de faire des films sans humour est juste triste. Je ne voudrais pas les regarder. Je suis sûr que je pourrais le faire, mais vous ne le regarderiez qu’une seule fois. Ce serait une expérience éprouvante, efficace ou pas. Mais pourquoi le revisiteriez-vous ? Et pour moi, si vous montrez au monde que vous pouvez créer un ton efficace et cohérent dans le film, c'est très bien, mais il n'y a pas beaucoup de revisibilité. Donc autant faire des films que vous pouvez revoir."

 

X : photo, Jenna OrtegaOn touche avec les yeux

 

Revoir... ou compléter. Car X est donc le premier volet d'une trilogie qui se poursuivra avec Pearl et MaXXXine. Le premier a été tourné juste après X, ce qui a demandé un travail monumental, étant donné que West se charge toujours, comme à son habitude, de la réalisation, du scénario et du montage. Mais à l'impossible nul n'est tenu... avec un peu d'aide.

"Oui, c'était beaucoup de travail. Le but était de les monter en même temps et de travailler sur X la première moitié de journée et Pearl la seconde. Et c'est juste devenu impossible. Donc un autre monteur, David Kashevaroff, est venu et m'a aidé avec X. On a co-monté X pour que je puisse travailler sur Pearl sans arrêter X et c'était aussi bien d'avoir une autre perspective. Donc oui, les faire tous les deux tout seul, c'était faisable, mais je ne pense pas que ça marcherait aussi bien. Donc c'était bien d'avoir quelqu'un d'autre pour aider."

 

Pearl : photo Mia GothPas là pour enfiler des Pearl

 

Pearl, sorti outre-Atlantique et précédé d'une sacrée réputation, est toujours inédit en France, mais le cinéaste est confiant. Pour ce qui est de MaXXXine, on l'attend avec impatience. Et la suite ? "Je pense qu'après MaXXXine, je vais probablement prendre une pause loin de tout ce qui est horrifique pour un temps. À moins que j'aie une idée vraiment inspirante. Mais en même temps, même si c'est beaucoup de travail et fatiguant, c'est ce que je fais. Donc je continue".

Pourquoi pas une pure comédie ? Il nous avoue qu'il aimerait bien se frotter à l'exercice. En tout cas, il n'a pas l'attention de quitter l'écurie A24. "C'était une collaboration naturelle donc j'espère qu'ils sont d'accord et qu'on pourra continuer", et nous donc !

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