Nosferatu : oubliez Twilight et Dracula, c'est lui le grand film de vampire

François Verstraete | 21 novembre 2022
François Verstraete | 21 novembre 2022

Maître incontournable du cinéma, auteur de l’éternel chef-d’œuvre L’Aurore, F.W. Murnau avait marqué les esprits dès 1922, avec Nosferatu le vampire.

Cinéaste trublion, Mel Brooks s’est approprié le mythe de Dracula avec son Dracula, mort et heureux de l’être, devenu culte pour certains. Mais les amateurs de sang frais, ceux qui se délectent, toutes canines dehors, du doux breuvage cinématographique préféreront d’autres vampires ; les plus anciens Christopher Lee, les quadragénaires le Dracula de Coppola ou Lestat dans Entretien avec un Vampire, les accrocs aux séries, ceux qui peuplent l’univers de Buffy ou de True Blood. Quant aux plus jeunes, ils se tourneront vers Robert Pattinson et Twillight (non pas frapper) voire Morbius (oui tous les goûts sont dans la nature).

Mais tous les noms cités resteront à jamais dans l’ombre du vampire originel, à savoir Nosferatu le vampire, dixième long-métrage du génial réalisateur F.W. Murnau. Le public connaît le film mythique de 1922, ne serait-ce que de nom, mais peu de personnes l’ont vu. C’est pourquoi, alors qu’un remake est en préparation, il faut revenir d’urgence sur ce pur chef-d’œuvre, à l'occasion du 100e anniversaire du long-métrage.

 

Morbius : photoChef-d'œuvre, vous avez dit chef-d'œuvre, on parle de moi ?

 

On n’a pas de couleur, on n’a pas de son, mais on a des idées

What if ? Imaginons un monde sans mauvais films, un monde où tous seraient égaux, un monde qui aurait permis à Murnau d’accoucher d’un long-métrage parlant à la hauteur de sa dimension. Un monde dans lequel le cinéaste ne décède pas dans un accident tragique… Pas de chance, ce monde n’existe pas. En revanche, le monde qui a vu Murnau s’affranchir des limites de son époque existe bel et bien, un monde éclairé par Nosferatu le vampire.

Très habile, Murnau parvenait à extraire le substrat des éléments à sa disposition, jusqu’à épuisement. Bien qu’il ne soit pas le premier à utiliser certains artifices et encore moins de la musique, il a réussi par contre, à appliquer un caractère symbolique à ces éléments comme personne avant lui. Sur Nosferatu, il se sert de teintes à l’écran, afin de distinguer le jour (en jaune), le lever du soleil (le rose) et la nuit (en vert bleu pâle). Le procédé se transforme alors en composant diégétique par son symbolisme : la couleur jaune renvoie évidemment à l’astre solaire, aux rayons fatidiques pour le vampire tandis que le bleu/vert pâle contribue à la montée de l’angoisse durant la période d’activité du comte Orlock.

 

Nosferatu le vampire : photo, Max Schreck C'est bleu, c'est bon je peux sortir

 

La partition d’Hans Erdmann se marie, quant à elle, parfaitement aux tonalités sonores désirées par Murnau, couplées à l’atmosphère générale de chaque scène. Elle retentit au moment des roulements de tambour d’un messager, tend vers les graves durant les élucubrations prophétiques de Knock et redouble d’intensité lorsqu’Hutter déclare vouloir rentrer au plus vite, afin de sauver sa bien-aimée.

Ces procédés s’avèrent d’autant plus efficaces lorsqu’ils épousent la mise en scène évocatrice de Murnau. Les roulements de tambour font place aux cris du messager, devenus audibles dans l’inconscient du spectateur tandis que la goutte de sang qui perle du doigt d’Hutter rougit par association dans l’esprit du public. Cette puissance allégorique atteindra son apogée au moment où Murnau déploiera son dispositif horrifique.

 

Nosferatu le vampire : photo, Greta SchroderComment suggérer le son des paroles, réfléchissons

 

Le visage de la peur

En effet, Nosferatu le vampire n’incarne pas uniquement le film d’une époque, mais celui qui ouvrira la voie à toutes les autres, notamment quand Murnau inocule le venin de la peur aussi bien à ses protagonistes qu’au spectateur. Certes, le long-métrage peut paraître suranné aux yeux d’une génération élevée aux excès gore censés effrayer. Mais Nosferatu, très en avance sur son temps, a posé les bases du cinéma d’épouvante, reprises par la suite par les plus grands. À commencer par son travail de suggestion. Ainsi, alors que chez Fritz Lang rien n’existe en dehors du champ de la caméra, Murnau au contraire, diffuse également le mal inexorable personnifié par le buveur de sang, sans dévoiler sa présence à l’écran.

Réputé pour ses jeux d’ombre et de lumière, Nosferatu le vampire insuffle la terreur grâce aux apparitions du comte Orlock, mais aussi via son absence du cadre, lorsque son esprit rôde ou que seule son ombre laisse des traces de son passage. Incarnation élémentaire de l’effroi, le comte Orlock nourrit les suspicions et entretient le doute jusqu’au moment où il révèle sa véritable nature, de temps à autre bien malgré lui, à l’image de la scène d’investigation d’Hutter, dans les tréfonds du château.

 

Nosferatu le vampire : photo Un des plans mythiques de l'histoire du cinéma

 

Le réalisateur glace le sang du public, dès l’instant où le héros devient tétanisé, à la vue du monstre assoupi dans son cercueil. Un effet de style en avance sur son temps, simplissime, qui sera repris ensuite par d’autres cinéastes, pour mieux souligner l’impuissance. Ainsi, les solides marins s’effondrent hébétés en la présence inconcevable du vampire, comme la victime finale de Sadako dans Ring d’Hideo Nakata. L’inconcevable, il en est encore question lorsque Murnau se confronte à la menace cette fois invisible, par le biais des paroles démentes de Knock ou par le regard distant d’Ellen, qui ressent comme le spectateur l’aura hors champ du vampire.

Un vampire qui n’aurait sans doute jamais été aussi impressionnant, sans la prestation de Max Schreck. Murnau a offert au comédien de la troupe de Max Reinhardt un rôle à sa démesure tant l’acteur joue merveilleusement bien avec son physique décharné et anguleux, idoine dans l’interprétation du buveur de sang. Par ailleurs, Murnau effraie davantage lorsqu’il associe le Mal à la férocité de la société, comparable à celle de l’être maléfique. La chasse à l’homme lancée contre Knock et son procès inique symbolisent à merveille cette vision. Le symbolisme, socle primaire de la fable expressionniste du metteur en scène.

 

Nosferatu le vampire : photoRendez-vous avec la peur pour Hutter 

 

Nosferatu emblème de l’expressionnisme

L’expressionnisme allemand c’est quoi ? Une phase du MCU qui se déroule à Berlin ? La nouvelle lubie de Quentin Tarantino ? Le prochain coup de gueule de Martin Scorsese ? Un truc pour impressionner dans les dîners ? Sérieusement, plutôt un courant cinématographique qui a marqué son époque, en offrant au monde Metropolis ou M le Maudit de Fritz Lang et qui a étendu son influence dans le temps, puisqu’Orson Welles, Charles Laughton, Tim Burton, Jean-Pierre Jeunet et Terry Gilliam (et bien d’autres) ont appliqué certains principes expressionnistes dans leur œuvre.

Traumatisés par la guerre, certains artistes, à l’image de Murnau, ont choisi de s’écarter du côté réaliste présent au sein du cinéma allemand pour mieux alimenter leurs desseins, leur portrait critique et leur narration unique. Le cinéma expressionniste n’hésite pas à se concentrer sur les troubles psychologiques, la folie ou des questions morales épineuses de son époque. Sur le plan formel, l’expressionnisme s’appuie sur le symbolisme et la puissance d’évocation aussi bien des décors, des objets que de la mise en scène. C’est pourquoi, en dépit de quelques spécificités, Nosferatu le vampire personnifie comme peu d’autres œuvres, le courant expressionniste.

  Nosferatu le vampire : Photo , Max Schreck C'est l'heure de manger

 

En effet, bien que Murnau tourne en partie dans des environnements naturels, ce qui est contraire à l’expressionnisme, le film s’approprie en revanche et transcende tous les composants qui définissent ce mouvement singulier. Du décor symbolique aux diverses thématiques, tout concorde à structurer, pour le meilleur, cet édifice expressionniste. Pour exemple, la représentation du château du comte Orlock illustre fort bien le travail du cinéaste. Gigantesque, vue de l’extérieur, la demeure maudite dévoile des aspects exigus en son sein, tandis qu’aucun recoin ne peut dissimuler le malheureux visiteur aux yeux du vampire.

Murnau construit parfaitement son espace, la fortification censée être imprenable par l’ennemi devient ici une prison dont on ne s’échappe pas, tombeau bien plus étroit que celui qui abrite la créature de la nuit. Quant aux thématiques chères aux expressionnistes, elles traversent le long-métrage avec une rage peu coutumière pour l’époque. Dans cette optique, Nosferatu le vampire se concentre aussi bien sur le désordre mental qui frappe Knock, considéré comme un vulgaire détenu et non comme un patient, que sur le sort funeste de l’équipage du bateau, condamné tels les soldats envoyés à une mort certaine, pendant le premier conflit mondial.

 

Nosferatu le vampire : photo, Max SchreckOn joue à cache-cache

 

Mais Murnau impressionne davantage quand il assimile le destin d’Ellen à une passion christique bien qu’il ait dépouillé, au préalable, toutes les références bibliques qui alimentaient le propos de Bram Stocker dans le roman original. Alors que son conjoint a échoué à la protéger et que la ville s’entredéchire, Ellen lutte désespérément, de toutes ses forces contre l’emprise du comte au prix d’une terrible souffrance. Et c’est avec le sacrifice de son sang que la victoire sur le vampire adviendra. Sur ce point, il faut savoir que pour accomplir son objectif, le cinéaste a fait fi des bonnes mœurs puritaines en vigueur, en instillant un parfum érotique à chaque tentative de séduction du mort-vivant, jusqu’au baiser final.

En outre, rien n’aurait été possible sans la collaboration avec Albin, Grau producteur et directeur artistique sur le long-métrage. Membre d’une loge pansophique, Albin Grau était versé dans l’occultisme. Il a ainsi disséminé dans le décor ou autres éléments, des références ésotériques. L’entreprise a renforcé d’autant plus le caractère symbolique et donc expressionniste de Nosferatu le vampire à l’arrivée.

 

Nosferatu le vampire : photo, Greta Schroder Un jour, mon vampire viendra

 

L’ombre de Nosferatu le vampire a continué de s’étendre avec les années puisque Francis Ford Coppola s’est grandement inspiré du long-métrage de Murnau pour Dracula, Werner Herzorg a réalisé un remake du film en 1979 tandis que Tim Burton a nommé son antagoniste Max Schreck (incarné par Christopher Walken) dans Batman, le défi, en hommage au film.

Il faut aussi relever les occurrences esthétiques présentes dans les monstres Citizen Kane et La nuit du chasseur. Premier sommet pour Murnau, Nosferatu annonce les deux autres chefs-d’œuvre du cinéaste, à savoir Le dernier des hommes et L’Aurore.

Tout savoir sur Nosferatu le vampire

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commentaires
Mathilde T
21/11/2022 à 22:17

Je trouve que le maquillage de Schreck fonctionne toujours bien aujourd'hui .

Ankytos
21/11/2022 à 19:25

Un film que j'adore, qui m'a fortement marqué et que j'ai en plus eu la chance de voir au cinéma (pas parce que j'aurais 120 ans mais grâce à une rétrospective durant laquelle j'ai également pu voir Le Masque du Démon de Bava - c'était une bonne soirée).
Même s'il ne l'égale pas, j'aime beaucoup le remake d'Herzog (qui a tout de même réalisé un autre de mes films favoris : Aguirre, la Colère de Dieu).
Et j'ai bien sûr hâte de voir la version de Eggers dont j'apprécie beaucoup le travail. C'est toujours d'actualité, n'est-ce pas ? C'est ce dont vous parlez lorsque vous évoquez un remake en préparation ?

Lord Sinclair
21/11/2022 à 16:03

Vu il y a 20 ans. J'étais resté ébahi par la modernité du film, qui surpassait bien des films contemporains.
L'ombre du vampire m'avait aussi bien plus (même si l'on est pas sur une œuvre aussi définitive)

Liberez Gratos
21/11/2022 à 14:57

The Master Murnau .
L'expressionisme allemand,où le père du cinéma fantastique , des oeuvres métaphysiques et complexes.
Le trio Wiene/Lang/Murnau ont réalisé des oeuvres fortes et intemporelles et on peut ajouter l'immense réalisateur danois Dreyer dans cette prestigieuse liste de génies .

Le Nosferatu de Herzog est tout aussi grandiose. Mais difficile de le placer au dessus de son prédecesseur, l'angoisse du muet et du noir et blanc de l'époque est juste inégalable.


Très bon article ...

ZakmacK
21/11/2022 à 13:32

Super article, notamment pour l'évocation de l'expressionisme allemand et toutes les références (mis à part twilight, bien sûr mais on ne tape pas :)). Je trouve ça vraiment cool que vous fassiez aussi des articles "historiques" sur le cinéma, qui permettent d'aller plus loin que Marvel et Starwars. (même si on peut apprécier les deux, bien sûr) Nosferatu est un film qui se mérite (j'avoue avoir un peu de mal avec les films muets) mais dont l'apport au moins esthétique est indéniable. Je me demande si ça vaut le coup de voir le remake de Werner Herzog, qui m'intrigue pas mal. Il y a aussi "l'ombre du vampire", le film sur le tournage mais dont je garde un souvenir assez mitigé lors de la sortie en salle.