Une vie cachée : où en est le cinéma de Terrence Malick ?

Simon Riaux | 19 mai 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 19 mai 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Présenté à Cannes en mai 2019, Une vie cachée a secoué pas mal de festivaliers. Des mois après les flashs de la Croisette, l’émotion demeure, et le nouveau film de Terrence Malick sort enfin en salles. Mais un constat s’impose, sa nouvelle proposition rompt avec ses derniers longs-métrages, plus ouvertement expérimentaux.

Si Une vie cachée s’impose comme une de ses plus grandes réussites, c’est justement parce que le cinéaste semble y prendre un recul inédit sur sa carrière et les motifs qui l’habitent, pour en repenser toute l’architecture. Et parce qu'on ne s'attendait pas à découvrir un des meilleurs films historiques de ces dernières années, on s’est posé la question : où en est le cinéma de Terrence Malick ?

 

 

RETOUR AUX SOURCES

Dès son premier long-métrage, La Balade sauvage, réalisé en 1973, Terrence Malick sonde le passé et s’intéresse à la retranscription d’un fait-divers datant de 1959. Il n’aura de cesse dès lors de continuer à remonter le temps, s’emparant du destin de travailleurs agricoles au début du XXe siècle (Moissons du ciel), avant de se pencher sur la Seconde Guerre mondiale (La Ligne rouge), avant d’embrasser le mythe de Pocahontas (Le Nouveau Monde).

 

Photo, August Diehl August Diehl est Franz Jägerstätter

 

Ce premier très long mouvement dans la carrière de Malick demeure probablement le plus apprécié, le plus « classique », même si les expérimentations formelles à venir y germent déjà toutes avec insistance. Déjà désireux d’immerger ses personnages dans une nature vivante, nourricière, voire panthéiste, le metteur en scène semblait ignorer totalement la possibilité d’aborder des récits plus contemporains, comme si l’espace mental qu’autorisait « le passé » libérait tout à fait sa caméra, l’autorisait à sonder l’humanité de ses protagonistes avec une évidence absolue.

La bascule se fera avec The Tree of Life, qui se révèle une sorte d’adieu à l’Americana de Malick, celle de son enfance, des années 50, et dessine un trait d’union avec les États-Unis de notre début de XXIe siècle. La narration éclate, le découpage également, jusqu’au montage, qui se fait toujours plus sensoriel et abandonne la linéarité traditionnelle du cinéma de fiction. Presque 10 ans et trois longs-métrages plus tard, Malick a multiplié son rythme de production, accueilli le numérique, explosé jusqu’à ses propres codes. Le béton a remplacé la végétation, quand ce ne sont pas les néons des boîtes de nuit qui supplantent le soleil, autrefois seul arbitre de la géographie Malickienne.

 

Photo August Diehl, Bruno GanzUne confrontation sidérante entre August Diehl et Bruno Ganz

 

En cela, Une vie cachée se veut un retour aux sources pour son auteur, qui retrouve la Seconde Guerre mondiale et les conventions du film historique. En narrant la vie de Franz Jägerstätter, objecteur de conscience autrichien qui refusa d’aller se battre dans les rangs de l’Allemagne nazie, il abandonne momentanément son commentaire de la modernité, et nous ramène à l’ampleur phénoménale de son cinéma d’autrefois, la puissance évocatrice qui fut la sienne.

Ce constat est évident dès les premières minutes du film qui s'ouvrent, ainsi que Terrence Malick l’a souvent fait, une sorte d’introduction enchantée, une description d’un Eden voué à disparaître rapidement. Sur les images d’August Diehl roulant à moto pour rencontrer Valerie Pachner, se superpose l’idée d’un réalisateur revenant vers nous, retrouvant un art qu’il avait temporairement laissé en jachère. Comme si Une vie cachée, dans sa description d'un amour pur, qui sauve tout ce qu'il touche, renvoyait les cinéphiles à l'amour d'un cinéma qu'ils croyaient perdu.

 

Photo, Valerie Pachner Valerie Pachner, dans un rôle à la puissance symbolique dévastatrice

 

RACONTE-NOUS UNE HISTOIRE TERRENCE

Autre surprise, de taille pour qui a vu À la merveille, Knight of Cups ou Song to Song : Terrence Malick est revenu à une narration linéaire, chronologique, simple, limpide. Une vie cachée n’imbrique pas plusieurs temporalités, plusieurs niveaux de réalité ou de perception, il s’agit d’une histoire, somme toute relativement simple, qui bénéficie d’une entrée en matière, d’un développement, de rebondissements, d’une conclusion. Bref, une bonne vieille histoire.

Alors certes, la durée de l’ensemble, qui tutoie les 3h, place le métrage instantanément à part du tout venant de la production. Mais ce retour à une narration « tenue » et cette durée soulignent avec éclat combien le metteur en scène est resté capable en matière d’écriture, aiguisée dès lors qu’il doit mener un récit. Mieux, il parvient à conjuguer deux ambitions pour le moins exigeantes : peindre un portrait organique d’un homme à la fois simple et complexe, tout en proposant de nouveau une réflexion profonde sur le bien, le mal et la mystique chrétienne.

 

Photo August Diehl et Valerie Pachner

 

L’ANGLE GRAND

Dès lors, Une vie cachée constitue-t-il un renoncement, un retour aux sources, une tentative de retrouver les grâces de la critique et du public après une série de créations boudées par un paquet de monde ? Non, le métrage se pose plutôt comme une œuvre de synthèse, et c’est sa mise en scène qui l’indique clairement.

Car si le cinéaste a laissé de côté l’éclatement narratif, il conserve et affine encore son amour d’un cinéma qui s’appuie sur le grand-angle pour anéantir et dépasser la grammaire traditionnelle du cinéma. Fort d’une image qui paraît immense, comme si elle pouvait annuler le hors-champ, comme si elle avait pour folle mission de contenir et encapsuler le monde, Malick se libère des obligations des champs/contrechamps, de la ponctuation, de la hiérarchie des transitions.

 

Photo, August Diehl, Valerie PachnerUn bonheur rapidement mis à l'épreuve

 

Ainsi, il réussit à tenir dans un même mouvement des séquences qui nécessiteraient traditionnellement une multiplicité de plans, tout en conférant à chaque instant une vitalité folle, grâce à une caméra perpétuellement mobile, opérée avec une fluidité désarmante par Jorg Widmer. Après s'être passionné pour les psychés éclatées de ses héros dans ses trois derniers films, Terrence Malick greffe sur Une vie cachée leur fièvre, et anime les plus paisibles paysages autrichiens d'une intensité électrique. Sous nos yeux, s'assemblent l'harmonie bouleversante des compositions des Moissons du ciel et l'atomisation expérimentale de Knight of Cups, comme si après des années d'errance et de doute, l'artiste trouvait un sujet capable de recevoir l'entièreté de son expérience, toute la richesse d'un parcours immensément riche et éclatant de beauté.

Travaillant son film avec prudence, cherchant toujours à ne jamais déséquilibrer la narration par l'image, ni à amoindrir l'impact visuel de ses compositions en laissant la narration primer, Malick attend le climax émotionnel du récit pour vraiment lâcher la bride à sa mise en scène. Suivant plusieurs personnages et actions simultanément, alors que leurs destins prennent un tour tragique.

Ainsi, le dernier film de Terrence Malick s'impose comme un des plus denses de son auteur, un de ses plus accessibles et puissants.

 

Affiche USCeci est un article publié dans le cadre d'un partenariat. Mais c'est quoi un partenariat Ecran Large ?

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commentaires
Simon Riaux
07/12/2019 à 00:55

@moimoi

C'est pas une mauvaise question.
Un truc tout bête. On a pondu la critique dans les heures après la projection. En mai. À ce moment là on ne sait pas comment le film va sortir. Il nous plaît. Point barre.

Et après on cherche à en être partenaire, parce qu'on va parler d'un film qu'on aime.

Et un après, très concrètement, regardez les entrées des derniers Malick, et vous vous ferez une idée de l'énorme budget "corruption" que doit avoir ce film.

Geoffrey Crété - Rédaction
06/12/2019 à 23:24

@moimoi

Non. On adorait des Malick même hors partenariat et comme expliqué dans notre lien à la fin, en premier, il y a toujours notre avis et notre envie. On est partenaires de films qu'on aime.

moimoi
06/12/2019 à 23:04

Partenariat? corruption?

syroz
06/12/2019 à 22:45

Mon cinéaste préféré vraiment de retour? Mazette.
Je le pensais au bout de son cycle de réalisateur et un peu perdu pour le cinéma. Après l'apothéose tree of life, il sombrait petit à petit dans la répétition et frôlait l'auto parodie.
Finalement il reprenait juste son élan?
J'ai hâte de voir ça!

Bob 57
06/12/2019 à 15:03

J'avoue avoir un petit peu perdu Malick après Tree of life. C'est pourtant un très beau film, mais pas évident à suivre. Magnifique critique qui me donne envie de voir ce film et ceux que j'ai manqués.