Noé : pourquoi il va faire scandale

Simon Riaux | 28 mars 2014
Simon Riaux | 28 mars 2014

Noé n'est pas encore sorti que déjà, les extrémistes de tout poil l'attendent au tournant. L'inquiétude religieuse générée par le nouveau film de Darren Aronofsky n'est pas nouvelle. Elle est à l'origine des rumeurs de remontage intempestif qui ont émaillé la post-production, tabdis ue plusieurs pays du Moyen-Orient ont d'ores et déjà banni l'œuvre de leurs salles de cinéma. Après avoir découvert l'objet du délit, la question se pose désormais sous un nouveau jour : y-a-t-il véritablement de quoi exciter les fanatiques ou énerver le croyant dans ce récit librement adapté des récits de l'Ancien Testament ?

 

Inutile de nourrir les doutes (ou les convictions mal placées) de certain, la réponse est non. Noé n'est pas une création provocatrice, ou agressive et ne cherche pas frontalement à déstabiliser la possible foi de ses spectateurs. Ceux qui verront dans cette histoire une attaque contre leurs croyance ou une remise en cause de leur spiritualité auront bien du mal à exposer une argumentation valide, à moins de faire preuve de mauvaise foi. Si le film ne remet aucun grand principe des trois monothéismes en cause (voire en souligne certains principes), il chamboule en revanche le récit originel et l'enrichit de propositions et d'interprétations qui feront sans doute hurler les moins tolérants des croyants.

 

ATTENTION SPOILERS

 

 

 

La représentation d'un prophète : C'est un interdit de la religion musulmane. Au même titre que Mahomet, aucun prophète ne saurait être représenté ou portraituré, de quelque manière que ce soit. Noé étant cité dans le Coran, en faire le héros d'un film est donc une faute. C'est la raison pour laquelle le métrage a été banni de plusieurs pays musulmans rigoristes en matière de religion.

 

 

 

Les Anges déchus : Ils n'apparaissent pas dans le récit biblique et ne tiennent jamais dans l'Ancien testament un rôle comparable à celui qui est ici le leur. De même, leur apparence de golems pathétiques est une pure invention. Seuls les évangiles apocryphes donnent à ces créatures mythiques une place réelle. Leurs actions pourraient également défriser les intégristes, puisque ces Anges déchus ne retrouvent leur essence divine... qu'en massacrant les humains !

 

 

 

La théorie de l'évolution : Noé ne met pas en cause la théorie de l'évolution chère à Darwin, au contraire, il choisit de la mélanger à la mythologie de l'Ancien Testament. Si les partisans anglo-saxons de l'Intelligent Design trouveront sûrement là une raison de saluer le film, les scientistes regretteront de voir Darwin ainsi mêlé à une logique spirituelle, tandis que les cathos tradis risquent de hurler au saccage des origines du monde.

 

 

Toubal-Caïn : Ce personnage de bad guy n'est pas en soit une hérésie. Il est effectivement selon le texte un descendant de Caïn, inventeur de la forge et de l'alchimie. Point fondamental, il est aussi fils de Lamech et donc frère de Noé, un point tout à fait absent de la version cinématographique, qui aurait pu grandement enrichir l'opposition faiblarde entre le héros et son antagoniste principal. Là aussi, il n'y aura guère que les frénétiques du goupillon pour y voir un motif d'attaque.

 

 

 

La cruauté de Noé : Dans la bible, l'arche est effectivement réservée à Noé ainsi qu'aux membres de sa famille, mais il n'est dit nulle part que le prophète empêche ses semblables d'y trouver refuge. Dans une séquence aussi dure que cruelle, Noé interdit ainsi l'accès à son navire aux hommes, Dieu les ayant jugés indigne de survivre à son châtiment. Notre héros ira jusqu'à abandonner une très jeune femme à un sort particulièrement terrible, sous les yeux ahuris de son fils. Une image très éloignée de celle traditionnellement donnée de cet homme sauvé par sa piété.

 

 

Le sacrifice des hommes : L'humanité doit certes être punie, mais l'Ancien Testament précise sans ambiguité aucune que les fils de Noé embarquent à bord de l'Arche avec leurs épouses et qu'elles sont destinés à enfanter. Hors dans le film, le patriarche est convaincu par Dieu qu'aucun humain ne devra peupler le Nouveau Monde, que sa famille ne doit pas engendrer mais uniquement accompagner les animaux qu'elle protège. Les sentiments étant ce qu'ils sont, Noé comprend que ses enfants n'entendent pas mourir seul et n'hésitera pas à sortir les armes pour les empêcher de donner la vie. Cette idée de contrition et de sacrifice est tout à fait absente des textes sacrés, mais pas incohérente. Noé croit que Dieu attend de lui qu'il tue sa descendance, si descendance il devait y avoir : il s'agit d'une mise à l'épreuve telle que l'Ancien Testament en regorge. Ainsi le sort d'Abraham, qui s'apprête à sacrifier son fils quand Dieu arrête son geste, suit une logique similaire. Encore une fois, seuls les rigoristes trouveront à redire à cette interprétation, certes très libre, mais pas fondamentalement contradictoire avec les Écritures.

 

 

Dieu : C'est peut-être le véritable sujet qui pourra prêter le flanc aux polémiques. Dieu n'est jamais représenté dans le film d'Aronofsky, mais le scénario dessine néanmoins un être suprême qui pourrait irriter les catholiques. Dans les écritures, Dieu fait parfois preuve de sévérité, mais il est toujours un être de pardon et de miséricorde. Il réserve sa colère principalement à l'Ancien Testament et elle s'exprime toujours de manière ponctuelle, ciblée (7 plaies d'Égypte, punition des aodrateurs du Veau d'or, etc...). Aussi bien la pitié que le pardon semblent tout à fait absents du métrage qui nous intéresse. En effet, le Divin est ici un être plutôt implacable, très porté sur la souffrance et le châtiment purificateur, nulle trace d'amour ici excepté chez les hommes. Une sévérité qui va jusqu'à récompenser les Anges déchus à la seule condition qu'ils massacrent impitoyablement des centaines d'humains.

 

 

 

On le voit, si Noé se distingue en plusieurs points du récit originel, il n'en transforme radicalement ni le sens, ni les personnages. Par conséquent, on voit mal qui pourrait se déclarer sincèrement agressé ou choqué par le film, à l'exception des chantres de l'intolérance. Les libertés prises par le cinéaste avec les textes sacrés auxquels il se réfère n'ont pas de visée politique mais relèvent d'une proposition esthétique et d'une approche mythologique des textes fondateurs de notre civilisation. Il y a donc matière à analyse, à débat, mais seuls les extrémistes trouveront là le terreau à une remise en cause générale de ce qui demeure incontestablement une œuvre d'art.   

 

 

 

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