Cognac 2006 - Inventaire

Sandy Gillet | 11 avril 2006
Sandy Gillet | 11 avril 2006

Cette année le cru Cognac 2006 fut pour le moins assez indigeste. À croire que les préoccupations politiques de la région à vouloir convaincre les créateurs du Festival (Lionel Chouchan en tête qui est aussi à l'origine du festival américain de Deauville, Fantastic'Arts…) à rester à Cognac l'année prochaine (il est en effet question que le Festival du film policier se « délocalise » dès l'année prochaine à Nice) aura prévalu sur la volonté de proposer une sélection digne de ce nom. De fait si l'ambiance était bien au rendez-vous dans les rues avec des cognaçais visiblement heureux de voir que l'on faisait enfin attention à eux via des manifestations en tous genres ouverts au plus grand nombre (le marathon 24 fut l'une d'entre elle – Lire nos différents comptes-rendus ici, encore ici et enfin ), il en fut tout autre du côté des festivaliers bien embarrassés dans l'ensemble pour dégager deux ou trois films tant le marasme ambiant était patent.


Didier au point presse consulte le site en attendant de participer au marathon 24

Ceci étant dit, si l'on devait cependant s'entendre sur une tendance disons que le maître thème des divers films présentés fut la manipulation sous toutes ses formes, consciente ou inconsciente. Elle pouvait prendre l'aspect avec L'équilibre de la terreur d'un complot international visant à faire de Paris la première ville occidentale à subir les foudres nucléaires de terroristes islamistes. Cela nous donne une sorte de thriller à mi chemin entre la fiction et le documentaire qui ne s'impose pas par la brillance de sa mise en scène mais plutôt par son discours ultra borderline (son réalisateur, Jean-Martial Lefranc s'en est expliqué pour nous dans une interview à paraître bientôt). Mais le plus souvent il s'agissait en fait de décliner à l'envie cette forme de manipulation au cinéma et véritable sous-genre du polar pour lequel des cinéastes tels que David Mamet avec Engrenages et Bryan Singer avec Usual Suspects avaient donné leurs lettres de noblesse il n'y a encore pas si longtemps.


Le réalisateur (à gauche) et le producteur de L'équilibre de la terreur

C'est donc à de simples ersatz auquel nous avons eu droit à Cognac cette année. À commencer par le pathétique et japonais Starfish Hôtel qui rajoute au thème précité une bonne dose de fantastique onirique où se mélange avec beaucoup d'indécisions plastiques un lapin tout droit sorti de Donnie Darko ou de chez Alice au pays des merveilles, des emprunts à l'univers visuel de Lynch et une fâcheuse tendance nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Ce fut aussi le cas de Slow Burn, un premier film d'une rare indigence signé Wayne Beach (il a commis de par le passé les scénarii de Meurtre à la Maison Blanche et L'art de la guerre qui sont devenus des films mémorables avec Wesley Snipes) avec un Ray Liotta qui décidément a du mal à donner un second souffle à sa carrière. On sera aussi quelque peu circonspect quant à la présence de Rosario à Cognac tant ce premier film qui nous vient du Mexique est plus un acte d'amour envers son actrice principale, véritable bombe sexuelle vivante, il est vrai, qu'autre chose. L'histoire se déroule dans les années 80 en Colombie en plein règne du Cartel de Medellin et Rosario est une tueuse à gage doublée d'une prostituée réputée et manipulatrice. Si on cherche encore l'intrigue il est indéniable que le film bénéficie tout de même de la plastique parfaite de son actrice au jeu sans véritable nuance mais forcément hypnotique pour qui s'intéresse de près à la gente féminine. On passera sous silence Brick vu que depuis le dernier festival de Deauville, le film de Rian Jonhson avec Joseph Gordon-Levitt a du mal à trouver une fenêtre de sortie chez nous.


Le réalisateur de Rosario et son égérie Flora Martinez

Au rayon des films qui surnagent un tant soit peu au-dessus de ce marasme ambiant, on trouve d'abord Mastermind réalisé par le danois Peter Flinth. Ici au moins la manipulation n'est pas qu'un prétexte mais bien le cœur du film surtout dans sa première heure assez accrocheuse pour que l'on veuille en savoir plus (le meilleur flic du Danemark est confronté à un meurtrier machiavélique qui s'en prend principalement à certains membres de son équipe, à leur famille et finalement à sa personne). Malheureusement la fin bien trop bâclée par de nombreuses incohérences et les motivations du « bad guy » par trop éculées au sein du genre finissent par faire de ce Mastermind un objet filmique raté aux regards de ses ambitions initiales. À noter tout de même qu'il a obtenu deux prix : celui dit spéciale police décerné par un jury de flics éminents et européens qui ont été touchés que l'on parle un peu dans un film de la rudesse du métier et de leur difficulté à protéger leur famille (sic !) et le prix spécial du jury prouvant s'il en était encore besoin de la pauvreté de la sélection 2006.


Mastermind

Le cas du film de Michele Soavi est à mettre entre parenthèse puisque s'il y est bien question de manipulation, celui-ci est beaucoup plus riche (voire sûrement beaucoup trop riche comme si Soavi avait besoin de remplir d'une façon boulimique les douze années qui le séparent de son dernier film de cinéma, Dellamorte Dellamore) pour qu'on ne lui réserve que quelques lignes ici. Arrivederci amore, ciao sortant en juillet, nous aurons le temps d'y revenir d'ici là avec toute l'attention qu'il mérite (inteview de Soavi et de son actrice principale à la clé).


Le regard hypnotique de Alina Nedelea, dernière « victime » en date dans un film de Soavi

Au final le film qui restera comme la très bonne surprise de ce festival est A Little Trip to heaven réalisé par l'islandais Baltasar Kormàkur avec Forest Witaker, Peter Coyote et Julia Stiles (excusez du peu). Le film que l'on croirait tourné dans le middle-west américain offre une galerie de personnages dans la grande tradition du film noir (inexorabilité des destins personnels), l'histoire fait montre de beaucoup de maturité dans sa faculté à avoir digéré les classiques du genre, les ambiances glauques « illuminées » par des décors hallucinants font le reste. Witaker en assureur blasé mais opiniâtre spécialisé dans les arnaques à l'assurance est d'une rare cohérence dans son jeu et Julia Stiles propose ici très certainement sa meilleure prestation à date.


Forest Witaker dans A Little Trip to heaven

Des qualités qui ne lui permirent pas pour autant d'attirer les faveurs du jury longs-métrages (composée cette année de la pétillante Sara Forestier, du réalisateur anglais John Irvin, de Christophe - sic ! -, du très abordable François Berléand, de Niels Arestrup, Cyrielle Clair, Zoé Félix et enfin du grand Jonathan Demme) qui lui préférèrent pour son grand prix, Silentium, un film autrichien que votre serviteur n'a malheureusement pas pu voir trop occupé qu'il était à tenter d'obtenir une interview de l'actrice de Rosario (pas de commentaires oiseux svp !!). Un choix malgré tout fort discutable quand l'on sait enfin que concourrait au sein de cette même sélection le film de Spike Lee, Inside man dont la qualité a fait l'unanimité à la rédaction. Un positionnement expliqué entre deux verres de cognac-tonic au dîner de clôture par l'un des jurés en un définitif : « Spike Lee n'a pas besoin de ce prix pour que l'on parle de son film et qu'il fasse des entrées ! ». Tout est dit en effet.


Christophe entre la poire (le cognac devrait-on dire) et le fromage au cours du dîner de clôture

À la lueur de cette affirmation, les organisateurs du festival feraient mieux en effet à l'avenir de programmer ce genre de film un peu locomotive sous le label « hors compétition » qu'au sein d'une sélection. Ce qui nous permettrait à nous festivaliers d'éviter les m** (désolé il n'y véritablement pas d'autres mots pour qualifier ce film) comme Un ami parfait de Francis - on cherche un bon film de lui dans sa filmo - Girod avec un Antoine De Caunes décidément pas du tout à son aise quand il s'agit de faire l'acteur au cinéma (les mauvaises langues pourront aussi aller plus loin en lui cherchant un bon film en tant que réalisateur).


Georgette et son orchestre ont finit de précipiter vers la sortie les derniers festivaliers lors du dîner de clôture

On reste donc au final dubitatif quant à l'intérêt d'un tel festival au regard des films présentés sinon que pour nous journalistes ce fut la possibilité de goûter aux fruits du terroir (ahhhh le cognac mélangé avec du Canada Dry, du Schweps ou du coca …) et d'être véritablement très bien accueilli (merci Le public système et à Céline Petit… Non non il ne s'agit pas ici de se faire réinviter pour l'année prochaine !). Allez à l'année prochaine à…Nice ??!!!

PALMARÈS DU 24ème FESTIVAL DE COGNAC du 6 au 9 avril 2006

Grand Prix Cognac 2005
Silentium de Wolfgang Murnberger (Autriche)
Prix du Jury et Prix « Spécial Police »
Mastermind de Peter Flinth (Suède)
Prix de la Critique Internationale
A Little Trip to heaven de Baltasaar Kormakur (Islande)
Prix « Sang Neuf » Cognac 2006 - 13ème Rue
Brick de Rian Johnson (États-Unis)
Grand Prix Cognac 2006 du Court Métrage Policier et Noir
Au Petit matin de Xavier Gens

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