Blockbuster : critique d’un (Vidéo) Futur sombre sur Netflix

Antoine Desrues | 5 novembre 2022
Antoine Desrues | 5 novembre 2022

On oublie souvent qu’avant d’être l'un des rois du streaming, Netflix a débuté dans la vente et location de DVD livrés à domicile. Désormais, il est indéniable que son évolution a précipité la mort du format physique, et par extension des vidéoclubs. La célèbre firme Blockbuster en est sans doute la plus représentative, puisqu’il ne lui reste qu’un seul magasin aux États-Unis. Cette relique se retrouve au cœur d’un projet de sitcom improbable porté par Randall Park et Melissa Fumero, Blockbuster, comme si le N rouge s’amusait à remuer le couteau dans la plaie.

Videodaube

“Apple est entré dans le jeu du streaming avec The Morning Show, un superbe drame sur l’importance de la dignité et de la bienfaisance, venant d’une compagnie qui dirige des ateliers de misère en Chine.” Voilà la pique la plus fameuse du sketch introductif de Ricky Gervais aux Golden Globes de 2020. Un peu à la manière du fameux “séparons l’homme de l’artiste”, il semblerait que le monde ait décidé de scinder les œuvres du moment des structures qui les soutiennent.

Disney+ ou Netflix ne sont pas nécessairement le Mal absolu, mais il est tout de même ironique de voir des univers comme celui du Seigneur des anneaux, connu pour son écologisme et sa crainte métaphorique d’une industrialisation lénifiante, être adaptés par Amazon.

En même temps, les GAFAM font leur loi, au point où le contresens idéologique s’avère de plus en plus aberrant. Le simple fait de cautionner une auto-dérision (oserait-on parler de critique) d’un système ultra-libéral qui court à sa perte rendrait presque humain et sympathique le pouvoir grandissant des algorithmes. C’est évidemment la stratégie de Blockbuster, qui expédie dès sa première scène l’importance prise par Netflix dans le quotidien des gens, quitte à avoir remplacé l’interaction humaine des vidéoclubs.

 

Blockbuster : photo, Randall Park, Melissa FumeroMessage à caractère informatif

 

Or, l’absurdité de ce concept aux airs d’humiliation terminale est aussi immonde qu’on pouvait le supposer. En plus de capitaliser sur le symbole de toute une époque dont Netflix a été en partie le fossoyeur, la plateforme fait de Blockbuster et de ses personnages de joyeux petits ringards, si bien que ces derniers sont contraints d’accepter, résignés, que cette évolution n’est que l’ordre logique des choses.

La série de Vanessa Ramos (entre autres à l’écriture sur Superstore et Brooklyn Nine-Nine) traite ainsi ses protagonistes comme les "derniers dinosaures" rigolos mais indubitablement pathétiques d’une Amérique de zone commerciale fantôme. Pire, derrière le projet de résistance du dernier Blockbuster sur Terre, tenu par un idéaliste un peu bêta (Randall Park), les employés malhabiles en viennent à devenir les instruments d’un entrepreneuriat cynique. C’est en adoptant les méthodes de l’ennemi, celles d’un capitalisme agressif, que le magasin peut s’en sortir, quand bien même son imagerie de sitcom déconnectée du réel voudrait nous faire croire le contraire.

 

Blockbuster : photo, Kamaia Fairburn, Olga Merediz, Madeleine Arthur, Tyler AlvarezDes personnages inspirés et originaux (non)

 

Netflix Killed the Video Stars

C’est d’ailleurs la grande malhonnêteté (ou l’inconscience) de Blockbuster. Son vernis doux et léger, typique de la workplace comedy à la The Office, recouvre avec ses sourires et ses personnages loufoques la dure réalité des commerces en fin de vie, jusqu’à désamorcer en permanence ses enjeux (comme la démission potentielle d’un des employés).

Le concon de la sitcom n’a pas à être chamboulé, d’autant que Vanessa Ramos se contente de recycler les codes les plus usités du genre avec fainéantise. La pauvre Melissa Fumero ne fait que reprendre son rôle de Brooklyn Nine-Nine, afin de servir la soupe à une énième romance censée servir de fil conducteur.

 

Blockbuster : photo, Randall ParkStarter pack de start-upper

 

La comparaison avec la comédie policière qui lui sert de modèle n’en est que plus terrible, puisque cette dernière a toujours tenu à prendre en considération l’image et les questions autour des forces de l’ordre américaines (violences abusives, racisme…) dans sa fiction.

À l’inverse, Blockbuster se contente d’un hors-champ confortable, où on nous parle d’humain et d’importance de l’interaction sans jamais nous en montrer. Encore eût-il fallu avoir pour cela de véritables personnages, et non pas des pancartes dévitalisées, suite de clichés sur pattes aux dialogues indigents.

De ce constat d’une tristesse infinie, la série reste avant tout une très mauvaise sitcom, sans rythme et sans tempo comique, dans laquelle le vidéoclub n’est qu’un décorum comme un autre. Aucune idée de scénario – et encore moins de mise en scène, d’une platitude extrême – n’est tirée de ces rayons et de ces étalages de films dans lesquels il faut savoir naviguer, en attendant le conseil d’un passionné. La culture est encore une fois limitée à du consommable, à une quantité de jaquettes quelconques agencées n’importe comment en arrière-plan. Une certaine idée du futur selon Netflix.  

La saison 1 de Blockbuster est disponible sur Netflix depuis le 3 novembre 2022.

 

Blockbuster : Affiche US

Résumé

Indigente et insultante, Blockbuster est un doigt d’honneur cynique et autosatisfait à l’idée même d’héritage de la culture vidéo, en plus d’être une très mauvaise sitcom.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.8)

Votre note ?

commentaires
Magnitude
07/11/2022 à 23:07

C'était du Netflix lisse et sans personnalité comme à son habitude. J'ai même pas terminé le 1er épisode.

Vidéoclub minuscule avec 6 employés ? Et vlà les personnalités...
C'est peut-être le cas dans les suivants, mais il aurait fallu des habitués (la fan de comédie romantique, le fan d'horreur) pour trancher avec le casting proposé.

The Moon
06/11/2022 à 15:19

@LeWaw,
C'est tellement vrai ce que tu dis sur Matrix et Blade Runner...

Spydom
06/11/2022 à 09:13

C'est pas graveleu,la série est sympa et les acteurs aussi,pas tous des inconnus, tant mieux,pas la série du siècle, mais ç'est sympa.

ropib
05/11/2022 à 21:37

Je ne vois pas pourquoi la fin des video-clubs, comme étant la fin de quelque chose, serait nécessairement une mauvaise chose. L'imprimerie qui va soutenir une alphabétisation de masse, la démocratisation de la culture et de l'instruction, la démocratisation des moyens de production et donc obliger la remise en cause de structures hiérarchiques souvent abusives, a mis à mal l'activité des moines copistes. A l'époque il y a eu des volontés d'interdiction de l'imprimerie et un soutien financier à cet ordre avec des moyens publics... et puis bon, pas mal de lecteurs de la bible ont été tués. Etait-ce vraiment une bonne idée ? Franchement quand-même, idéologiquement je trouve ça très douteux.
Globalement soutenir systématiquement la reproduction du même, l'injustice de la continuité de l'histoire, le soutien aux forces en présence (oui parce que bon, les vidéo-clubs, surtout celui-ci, c'est aussi du capitalisme)... franchement c'est pas très "sympathique". Je trouve cet article franchement bizarre, surtout que je pense qu'il y a une sincérité d'ambition sociale, mais en fait c'est complètement paternaliste et pro-capitaliste dans le fond, dans cette idée de conserver des rapports de force obligatoirement justes puisqu'ils seraient anciens. Bref... bizarre.
Moi je veux bien des articles qui prônent le travail choisi, la fin du salariat, la fin du copyright etc., là ce serait une critique du capitalisme. Là je trouve que ça ressemble à une posture trompeuse et manipulatrice. Mais je n'ai peut-être pas compris.

GTB
05/11/2022 à 18:32

@tlantis> vous en avez de bonnes...

le Waw
05/11/2022 à 15:56

Au dela du fait que cel a puisse etre mal ecrit, le choix meme de la franchise blockbuster fait que j ai du mal a etre nostalgique d'une enseigne qui en elle meme a participe a la mort des vrais videoclubs. À l epoque ou je vivais au canada, j etais inscrit a au moins 5 videoclubs, et a part pour les nouveautes tres estampilles m1milles, souvent coupés et remontés selon des criteres cathos et familliaux. Sans parler des etales completts avec 100 exemplai et es d'un meme film. Pas questionnd'y trouver un bonnvirux Lynch ou cronenberg. Non c'etait des etales complets de Baby geniuses, Titanic ou Rush Hour 2.
Heureusement il y avait des franchises comme Movieland ou je passais ma vie et ou il y avait le plus grand ch9ix de films que j'avais jamais vu. Ou encore le legendaire video club de repertoire La Boite noir. Mais blockbuster. Sincerement c'etait le videoclub, allo cine, pour les cinephiles a deux balles qui voient Matrix tout les week ends ert qui ne connaissaient meme pas l'existance de Blade Runner. Pour ceux qui vont voir ce que la masse va vo8r parceque Drucker ou Hanouna a dit que c etait bien. Alors oui malgre mes critiques envers Blockbuster, j'y ai quand meme passe du temps, mais c'etait lors de mon treking journalier a arpenter tout les video clubs de la ville comme un rat de centre commercial.

JR
05/11/2022 à 15:32

Il y a 11ans, j'étais licencié de mon travail de projectionniste. Mon ami Vincent, a la même époque à écrit (et il a encore des piles et des piles de scenar) une série sur le dernier cinéma du monde "Code Op's".
Il y a 6ans, on a proposé une web série à une grande marque "le dernier vidéo club"... Drama comique sans succès... Bon, finalement, la fin des choses, c'est pas forcément une bonne idée.

@tlantis
05/11/2022 à 15:02

Mince moi qui voulais regarder , Netflix sais vraiement rien faire de bon…

OMG
05/11/2022 à 12:24

Agree !
Regardé deux épisodes.
C'est mal écrit, mal produit, mal filmé mais bien casté. Les acteurs n'y croient pas et ma grand-mère non plus.

votre commentaire