Landscapers : critique de l'anti-Bonnie et Clyde british sur Canal+
Un couple d'Anglais en cavale pendant 15 ans après un meurtre, Olivia Colman et David Thewlis pour les incarner, une réalisation incroyable et une écriture qui prend à contrepied le genre des "true crimes stories", c'est Landscapers de Ed Sinclair et Will Sharpe (The Electrical Life of Louis Wain, Flowers). La série anglaise, visible sur Canal+, joue le jeu dangereux d'utiliser ses nombreux atouts pour créer de la sympathie envers les tueurs, et on vous dit pourquoi il faut s'y jeter.
this is a story
Si vous voulez regarder Landscapers pour découvrir une haletante enquête de police doublée d'une chasse à l'homme s'étalant sur 15 ans, vous feriez mieux de vous raviser. La série de Ed Sinclair (dont c'est la première production) se fait un malin plaisir à tout désamorcer comme l'illustre cette scène où Susan (Olivia Colman) raconte à son mari qu'elle croit avoir vu un sosie de Gérard Depardieu, concluant finalement que ça n'était pas lui. Ed Sinclair balaye le suspense pour se concentrer sur le coeur de la série, les interrogatoires et l’histoire des meurtriers, faisant de Landscapers l'anti-histoire adaptée d'un fait divers. Un titre qui la place aux côtés de Fargo des frères Coen.
Dès les premières secondes du premier épisode est annoncée l'artificialité du récit avec la classique phrase d'ouverture du genre "Ceci est une histoire vraie", où le "vraie" s'estompe avant le reste des mots. Cependant, cette fiction assumée est contredite par les génériques d'épisodes mettant des extraits des reportages de l'époque, au milieu de plans de making of et de techniciens démontant les plateaux de tournage de la série.
Ed Sinclair et Will Sharpe brouillent les pistes obligeant le spectateur à prendre une certaine distance au risque d'appréhender ce récit fictionnel comme des faits. Un choix qui va à l'inverse de ce qu'avait fait Michael Bay avec Pain and Gain donc.
Madame et Monsieur Tout le monde
Pourtant, jamais vous ne serez plus perdu que le couple Susan et Christopher, des amants tueurs à la courtoisie anglaise exemplaire. Les deux sont les opposés des archétypes des amoureux-tueurs en cavale comme vus dans Bonnie & Clyde ou Tueurs nés. Leur représentation va à l'inverse des standards et les moque comme on avait déjà pu le voir dans une autre production britannique, The End Of The F***ing World. L'humour typique des sujets de Elizabeth II est donc aussi efficace que réussi pour les situations lunaires de cette affaire aux suspects peu ordinaires.
Et si la série se permet de réécrire ce fait divers macabre qui n’a qu’une vingtaine d’années en choisissant de se concentrer sur les accusés, c'est que les deux victimes étaient détestées. Pour preuve, leur disparition pendant 15 ans n’a alerté personne (on laissera le plaisir de découvrir dans la série comment la police s’est mise à enquêter). Le crime était presque parfait. Pour autant, ce parti pris est-il justifié alors que le mobile même du meurtre est sujet aux théories ?
au pays des merveilles
Landscapers tourne essentiellement autour des personnages de Susan et Christopher. La vérité sur les meurtres n'étant connue que d'eux alors qu'ils ont eu 15 ans pour travailler leur version, toute l'investigation de la police se fait donc dans les confessions et secrets à découvrir du couple. Au cours des interrogatoires, c'est la série qui montre son vrai visage, l'histoire d’un couple de marginaux perdus dans leur réalité façonnée par des mensonges répétés des années durant.
Ce rapport au réel et à la vérité est posé dès l'ouverture du premier épisode annonçant que le couple a été reconnu coupable et emprisonné, mais qu’il clame toujours leur innocence. Deux vérités s'affrontent donc dans la série : l'officielle reconnue par la Justice, et celle de Susan et Christopher. Petit à petit, Ed Sinclair va poser tous les éléments désignant le couple comme le seul et unique coupable, murant de plus en plus les amoureux dans leur vérité et le déni. Cette écriture habile fait de Landscapers un drame complexe et ambigu qui questionne sur la capacité pour des personnes ordinaires de tuer et continuer leurs vies ensuite.
Pour accompagner ce brillant scénario, le réalisateur Will Sharpe a déployé des talents d'originalité pour adapter à l'image les mondes fictionnels dans lesquels existe le couple. Pour Christopher, faisant barrage à la réalité crue de la vie pour protéger Susan, la photo est grisâtre. En comparaison de sa femme perdue dans un imaginaire de films de western qui inonde son visage et l'espace, jusqu'à ce que la froideur des salles d'interrogatoire la rattrape et la mette face aux faits. Chaque épisode permet de se plonger plus profondément dans l'univers des suspects, faisant évoluer la mise en scène qui ne cesse d'être ingénieuse et audacieuse.
À plusieurs reprises, les décors se décomposent autour des personnages, révélant techniciens et caméras, tandis qu'ils marchent jusqu'à un autre plateau de tournage pour que la mise en scène reprenne comme si de rien n'était. D'autres dispositifs scéniques plus minimalistes rappellent ceux que l'on peut voir au théâtre où des lumières servent à délimiter les pièces. L’apothéose de cette excellente réalisation symbolique est atteinte dans l’épisode final inattendu pour ce genre de séries.
"Le projecteur est à l'envers monsieur."
crime et compassion
Plus drame que thriller, la série ne nous place pas juste en spectateur de l'enquête. On vit les tourments de Susan et Christopher, créant un attachement évident pour eux. Ainsi, le ton et l’ambiance de Landscapers changent régulièrement suivant la façon dont le couple appréhende les situations et leurs souvenirs. Et on ne peut que se satisfaire d'une série utilisant à fond les artifices de la mise en scène pour exprimer des émotions. Des effets façon expressionnisme allemand, une image réaliste à la manière de vieux reportages télé et des lumières imitant les ambiances de films d'épouvante sont parmi les quelques idées de Will Sharpe pour représenter la psyché des personnages.
Dans l'idée de nous en apprendre plus sur les motivations du couple d'assassins, des flashbacks se déroulant à différentes étapes de leur relation parsèment la série. S'ils contribuent à créer encore plus d'empathie pour Susan et Christopher, tentant de justifier leurs actes, ses scènes souffrent d'une temporalité peu claire. En cause, des acteurs non-maquillés qui changent seulement de perruques en fonction de l'âge de leurs personnages. Impossible donc de savoir quand se situent ses retours en arrière, et donc de comprendre la construction de leur amour et de leur décision de passer de gentil couple à gentil couple tueur.
Les interprétations impressionnantes de David Thewlis et Olivia Colman contribuent énormément à la compassion que l’on a pour Susan et Christopher. Le rôle a d'ailleurs été écrit pour Colman, Ed Sinclair étant son mari. Ce personnage d'Anglaise perdue qui refoule ses émotions jusqu’à exploser est une autoroute pour la Reine d'Angleterre de The Crown qui prouve à nouveau son talent fou. Et il fallait bien David Thewlis pour tenir face à elle, incroyable en homme ordinaire amoureux voulant jouer les héros. Mais cette volonté de créer autant d'attachement pour les tueurs et de les comprendre laissent perplexe d'un point de vue moral.
Ce sont au final les policiers qui prennent le mauvais rôle. Tout au long de la série, ils sont moqués en plus d’être montrés antipathiques face au raz de marée d’émotions que sont Susan et Christopher. La différence de traitement des groupes de personnages crée un choc qui déséquilibre Landscapers. Kate O'Flynn est la seule actrice jouant une inspectrice à tirer son épingle du jeu, l’imposant comme un excellent second rôle.
La morale finale, délivrée d'une manière paresseuse et classique, parachève cette intention qui pousse à avoir pitié de ce couple, gâchant le message jusque là subtil de Ed Sinclair. Les dernières scènes viennent conclure avec des poncifs une série qui faisait preuve d’énormément d’intelligence et de réflexion tant dans la forme que dans le fond.
Landscapers sera disponible en juin 2022 sur Canal+.
Lecteurs
(0.5)13/06/2022 à 20:08
Cool ! Elle était déjà dans ma liste.