Servant Saison 3 : critique Madame est servie sur AppleTV+

Simon Riaux | 25 mars 2022
Simon Riaux | 25 mars 2022

Après deux saisons inquiétantes mais plus qu'imparfaites, Servant, la leçon d'effroi de M. Night Shyamalan nous saisit enfin à la gorge avec sa saison 3. Apple TV+ tient-elle la série la plus terrifiante du moment ? ATTENTION SPOILERS.

HORS SERVICE 

Qu’il est fastidieux d’élever en paix son enfant, quand ce dernier a déjà fini au moins une fois au fond d’un compost, que sa nounou a des airs de démonesse lubrique, et que les membres d’une secte adepte des sévices physiques (mais pas trop regardante sur l’hygiène), s’invitent chez vous. C’est sans doute ce que se dit le pauvre Sean, quand démarre cette troisième saison de Servant, qui aura poussé sa petite famille à bout, mais aussi la suspension d’incrédulité du spectateur. 

En effet, la série qu’on a un peu vite présentée comme celle de Shyamalan (qui n’en est pas le créateur ni le scénariste, mais la produit et en a réalisé une poignée d’épisodes), à défaut de trouver une ligne narrative claire, s’est lancée dans quantité de pistes, fréquemment foireuses, pour nous maintenir en haleine. Portée par une mise en scène parfaitement maîtrisée, et ce dès son pilote, un concept tour à tour intrigant puis dérangeant et une quasi-unité de lieu et d’action, la série a fait le choix malin d’opter pour des épisodes n’excédant presque jamais les 28 minutes.

 

Servant : photo, Nell Tiger FreeDe l'importance de ne pas mettre les doigts dans la prise

 

Une contrainte qui pousse toujours l’histoire à avancer, à multiplier les retournements, twists ou effets-chocs, mais qui s’avère très voyante quand le capitaine du navire est beurré comme une tartine et navigue à vue. Or, à force de pirouettes, retours en arrière, voire de répétitions lourdingues, Servant avait fini par accumuler les séances de surplace scénaristiques, flirtant - très - dangereusement avec le grand-guignol, tant on avait achevé sa deuxième saison sans guère plus croire aux aléas monstrueux de l’existence de nos personnages.  

Il était presque devenu impossible d’accorder du crédit à leurs interactions, à leurs choix ou à leurs trahisons, tant ils paraissaient n’exister que pour faire gagner du temps à une tripotée de scénaristes incapables d’arrêter un plan d’attaque. 

 

Servant : photoUne soirée plateau-télé qui va nécessiter une petite surdose de Xanax

 

SERVICE D’ORDRE 

Ce qui frappe dès les premiers chapitres de cette nouvelle saison, c’est combien son écriture s’est resserrée autour d’enjeux palpables, tout en redéfinissant la plupart de ses protagonistes. Si l’humour absurde n’a pas à proprement parler disparu, il ne fait plus office de béquille ou de diversion, mais ne surgit plus que pour souligner l’effroi ou l’horreur d’une situation donnée. Situation qui est ramenée de manière limpide à des enjeux concrets.  

 

Servant : photo, Lauren Ambrose"Les enfants sont merveilleux !"

 

Dorothy veut à tout prix normaliser l’existence de son bambin, s’inscrire dans un quotidien de maman active et socialement intégrée, quand Leanne s’inquiète des signes avant-coureurs d’un nouvel assaut du culte qui entend la récupérer. Sean, pour sa part, est décidé à ne plus laisser les horreurs du passé broyer tant sa psyché que sa carrière, quitte à renouer avec l’émission télévisée qui scella naguère son destin... et celui de son fils. Les conflits sont clairs, les enjeux sont tangibles. 

Mieux, Servant prend enfin en compte les agissements passés de son trio de héros complètement azimutés, quitte à leur faire affronter des conséquences monstrueuses. Dorothy, invraisemblablement protégée et épargnée par les autres personnages au cours des saisons précédentes, va faire face à une montagne d’adversité, et plus généralement un déroulé d’une cruauté particulièrement éprouvante. 

 

Servant : photo, Nell Tiger FreeLeanne a mangé du tigre. Et du figurant.

 

Avec une aisance et une précision qu’on n’attendait plus, la série en fait le cœur émotionnel des évènements, une victime à la fois logique et sacrificielle de tout ce qui a précédé. Certes, ce virage ne va pas sans une quantité de références, hommages (ou pillages) francs en direction de Rosemary’s Baby, mais cette nouvelle direction a pour elle l’avantage d’une immense cohérence.

La voir ainsi désignée comme une forme d’antagoniste par les membres de son propre foyer devient un vecteur d’angoisse puissant, au fur et à mesure que son châtiment se dessine. Car si cette mère torturée a indubitablement disposé elle-même les ingrédients de son martyr, assister à sa mise en place provoque une angoisse redoutable, lancinante.

 

Servant : photo, Lauren AmbroseQuand l'addition est un chouïa salée

 

SÉVICES À LA PERSONNE 

Cette remise sur les rails narratifs permet logiquement aux qualités déjà présentes au sein de Servant de s’exprimer de plus belle. Pour commencer, tout le casting est une nouvelle fois impeccable, le bonheur de voir Rupert Grint et Toby Kebbell bénéficier de rôles à la hauteur de leur talent est un régal de chaque scène. Face à eux, la jeune Nell Tiger Free peut enfin exprimer autre chose que la crainte d’obscurs mystères mystérieux, alors que son personnage se déploie, gagne à chaque épisode un peu plus d’ampleur. 

Quant à Lauren Ambrose, elle pousse plus loin encore qu’à l’accoutumée le vibrato névrotique de la malheureuse Dorothy, laquelle ira littéralement jusqu’à se voir disloquée par les passions abominables qui dominent désormais ses proches. Sentir, au gré des chapitres, comment un époux prêt à tout, un frangin libidineux, mais inquiet, jusqu'à une gouvernante dévouée, font d'un foyer assiégé une toile d'araignée sans issue est aussi délectable qu'inquiétant.

 

Servant : photo, Toby Kebbell, Rupert Grint"Divorcer au fer à souder, ça se fait, nan ?"

 

D'autant plus que des dialogues, comme la dramaturgie ou le découpage, sont tous d'une précision remarquable. Ces réussites sont rendues possibles par une solide équipe côté mise en scène, qui orchestre, avec plus d’éclat encore qu’à l’accoutumée, des scènes d’apothéoses cauchemardesques. 

C’est particulièrement vrai lors de l’épisode charnière de mi-saison, qui opère une bascule retorse, alors qu’une fête des voisins dégénère inexorablement. Tous les personnages s’y voient précipités, ballotés, et pour certains, broyés, tandis que notre diabolique foyer central paraît désormais tout à fait inconscient, insensible aux mécaniques maléfiques qu’il a initiées dans sa demeure. Fort de cette résurrection inattendue, Servant s’avance désormais vers une quatrième et ultime saison, qui pourrait bien être l’opportunité pour ce récit labyrinthique de trouver une conclusion à la hauteur de nos attentes inquiètes.

Servant saison 3 est disponible en intégralité sur Apple TV+ depuis le 25 mars 2022 en France

 

Servant : photo

Résumé

Pour la première fois, la série trouve enfin un centre de gravité stable, une narration resserrée et des enjeux tangibles. Le résultat s'incarne en une dizaine d'épisodes parmi les plus cauchemardesques de la production sérielle contemporaine, annonciateurs d'un final en forme de rite sacrificiel passablement monstrueux.

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Lecteurs

(5.0)

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commentaires
Kyle Reese
30/03/2022 à 21:14

1 an d'attente après cette fin qui ne peut que marquer le spectateur... ça va être long.

La meilleur saison oui, même si j'ai apprécié les 2 précédentes, avec le coté grand guignol de la seconde assez réjouissante et quand même plus flippante je trouve que celle-ci à l'horreur plus psychologique.

J'aime beaucoup ce format, une fois qu'on a l 'occasion de regarder tous les épisodes à la suite en 2-3 soir. Encore une fois au menu, une mise en scène digne d'un chef étoilé, d'une précision quasi chirurgicale, avec une ambiance trouble à la fois chaleureuse, cosy, et mortifère, des dialogues aux cordeaux, des acteurs impeccables et des situations toujours très tendue avec cette sensation paranoïaque constante.

Une saison riche en péripétie, le plus marquant pour moi fut la scène de la cuisine dans l'épisode 4 ... avec la tension qui monte, qui monte, comme des oeufs en neige jusqu'à ce que ...

Bref, une série très bonne série à la tonalité unique, avec des ingrédients de qualités et des mets goûtus. Et surtout ... bon appétit !

J'espère voir Nell Tiger Free dans de beau rôle au cinéma.
Marrant et logique qu'elle ai choisi un maquillage de tigre à la fête des voisins.

Trc
28/03/2022 à 01:32

Meilleur saison des 3 clairement l'histoire avance un peu plus ... On se doute un peu où ils nous emmène mais pressé de voir l'ultime saison en espérant qu'ils lâchent les chevaux

Euh
25/03/2022 à 17:11

Même si toujours très bien filmée et interprétée, la saison 2 m'ennuyait et j'ai laissé de côté, il est temps que je m'y remette donc !

Trashyboy2
25/03/2022 à 14:07

Woputain, cette fin!!! Comme l'a dit Domo, clairement la meilleure saison! Des acteurs au top, le personnage de Leanne prend enfin de la hauteur, espérons à présent que la saison 4 offre un final digne de ce nom.

C'est en tout cas bien amorcé!

Kyle Reese
25/03/2022 à 13:22

Cool, je n'ai pas lu l'article à cause du "spoiler alerte" mais vu que cette 3 ème saison est enfin finie je vais pouvoir m'y mettre ayant bcq apprécié les 2 premiers à l’ambiance vraiment unique et une mise en scène très classe. Reste ensuite Raised by Wolves 2 dont la diffusion se termine aussi bientôt ...

Domo
25/03/2022 à 12:57

Clairement la meilleure saison des 3 !

Trashyboy2
25/03/2022 à 12:51

Je n'ai pas encore regardé le dernier épisode de cette saison, mais je dois dire que je l'ai suivie avec grand intérêt, là où les précédentes m'ont souvent perdu en cours de route, toujours rattrapé par le potentiel certain.

Et en effet, cette saison me conforte dans l'idée qu'il y a vraiment de quoi faire. Parfait si la saison 4 sera la dernière, il ne faudrait pas aller au-delà je pense (clôturer avec la saison 3 ne m'aurait pas choqué, mais cela aurait sans doute amené à précipiter les choses, donc c'est sûrement préférable).

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