Le Pont des Pions
Si la comparaison avec la récente série d’espionnage française Le Bureau des légendes est inévitable sur le papier, Totems se démarque pourtant de cette dernière dans le traitement du genre et de ses personnages. Une volonté totalement revendiquée par son co-créateur Olivier Dujols, qui a notamment officié aux côtés d’Éric Rochant à l‘écriture de la série avec Mathieu Kassovitz. Située en 1965, en pleine guerre froide, la série suit Francis Mareuil (Niels Schneider), un jeune scientifique français amené malgré lui à devenir espion pour les services secrets français et la CIA. Durant sa mission, il va faire la rencontre de Lyudmila Goloubeva (Vera Kolesnikova), une pianiste russe contrainte de collaborer avec le KGB.
De ce postulat de base s’ensuit une romance sur fond de manipulation et de faux-semblants, où il devient difficile de différencier les sentiments sincères des convictions politiques. Un point de départ qui marque déjà une différence avec Le Bureau des légendes, ou même avec une excellente série américaine comme The Americans. Ici, il n’est pas question d’espions formés intellectuellement et physiquement pour opérer sur le terrain, mais de citoyens plutôt lambda (un scientifique, une pianiste, ou une infirmière dans le cas du personnage d’Ana Girardot).
Un héros naïf qui veut juste voir la lune
Des personnages ordinaires qui se retrouvent propulsés au milieu d’enjeux extraordinaires qui les dépassent complètement, tels des pions sur un échiquier géant (ou des totems, dans le cas précis). La série se rapproche donc bien plus du cinéma de Steven Spielberg dans sa vision du genre, à l’image notamment de Le Pont des Espions et de son avocat incarné par Tom Hanks, dont Francis Mareuil partage la vision idéaliste. Une naïveté qui va être très vite remise en question durant son escapade dans un Berlin divisé par le mur.
À ce titre, Niels Schneider est un choix de casting très pertinent, puisque l’acteur excelle à retranscrire cette naïveté de jeune premier perdu au milieu de cette guerre d’espions, face à un Lambert Wilson parfait d’ambiguïté, toujours aussi à l’aise quand il s’agit d’alterner entre le français et l’anglais. Tandis que José Garcia impressionne physiquement en agent de liaison entre les services secrets français et la CIA, mais aussi émotionnellement, le personnage dévoilant sa psychologie au compte-gouttes durant les huit épisodes.
The Frenchs
Si Totems a pour atout principal son casting impeccable, la série peut surtout se targuer de n’avoir rien à envier à ses homologues américains auxquels il fait référence, en grande partie grâce aux moyens déployés par Gaumont pour cette série Amazon destinée au marché international. Grâce à sa reconstitution clinquante et soignée de la conquête spatiale des années 60, Totems est un vrai plaisir pour les yeux, car la série est visuellement somptueuse, tout simplement.
Que ce soit dans les décors qui contribuent à restaurer l’ambiance propre au climat de la Guerre froide, mais aussi dans la multitude de lieux où se déroule l’intrigue de la série, dont l’espionnage international s’étend de Paris à Berlin, en passant par Moscou et l’Algérie qui sert de décor au climax très tendu de l’épisode 3, l’ensemble est bluffant visuellement. Au-delà de sa reconstitution plus que soignée, Totems doit aussi beaucoup à la patte de son producteur Jérôme Salle, lui qui réalise aussi les deux premiers épisodes.
Révélé avec son premier film, Anthony Zimmer, avant de s’illustrer davantage dans le genre avec ses deux adaptations de la BD Largo Winch, le réalisateur impose un savoir-faire indéniable dans sa mise en scène, imposant un cahier des charges élégant et soigné aux deux autres réalisateurs de la série (Antoine Blossier et Frédéric Jardin), citant autant les codes du cinéma d’espionnage classique que ceux du thriller paranoïaque des années 70.
On pense notamment à Conversation secrète de Francis Ford Coppola lors des séquences d’écoutes téléphoniques, mais aussi à Blow Out et au cinéma de Brian de Palma en général, notamment dans l’utilisation de la demi-bonnette, à bon escient. Totems revendique un véritable amour du genre qui provoque un certain plaisir à l’écran, à défaut de ne peut-être jamais dépasser le stade de l’exercice de style.
Tokarev
Car oui, Totems a beau être fort divertissant et diablement bien rythmé tout le long de ses huit épisodes (certains cliffhangers vont largement tenir en haleine le spectateur pendant une bonne semaine, c’est certain), la série ne propose pourtant rien de foncièrement nouveau dans le genre. En effet, quiconque aura déjà vu un ou deux thrillers d’espionnage dans sa vie verra arriver à des kilomètres certains twists d’un scénario un poil prévisible, même si le jeu de manipulation entre les personnages en vaut la chandelle. Et l’on regrettera aussi la caractérisation un peu maladroite des personnages féminins, réduits à certains tropes du genre.
Si Vera Kolesnikova brille particulièrement à l’écran lorsqu’il est question d’explorer la fragilité de son personnage, la romance qu’elle partage avec Niels Schneider paraît parfois bien artificielle, servant plus de moteur au récit d’espionnage qu’à l’évolution émotionnelle du jeune espion.
Une romance belle, mais maladroite
Même constat du côté d’Ana Girardot (toujours aussi excellente, soit dit en passant), réduite à une caractérisation assez maladroite en mère de famille qui semble plutôt servir de prétexte aux scénaristes pour explorer certains thèmes en rapport avec la condition des femmes dans les années 60 qu’à véritablement s’y plonger. Une intention louable, mais dont résulte un arc narratif qui semble complètement déconnecté du récit.
Olivier Dujols et Juliette Soubrier veulent traiter beaucoup de choses dans Totems, mais cette ambition démesurée a parfois tendance à se retourner contre leur écriture. Difficile pour autant de leur donner tort, car si cette création originale ne réinvente pas les codes de la série d’espionnage, elle embrasse avec tellement d’envie et d’amour le genre que l’exercice n’en devient que plus plaisant à l’écran.
Les cinq premiers épisodes de Totems sont disponibles sur Amazon Prime Video, les trois derniers seront mis en ligne le 11 mars
La ‘production value’ est vraiment ouf. Vu que les deux premiers pour le moment et assez déçu de (certains mauvais) dialogues qui sont poussifs et explicatifs. Les scénaristes font dire aux personnages des infos qu’on devine, tant le reste est bien écrit. Dommage car ça en devient un peu scolaire et didactique.
Y a aussi un problème sur le traitement des elipses, comme par exemple (mini spoilers au milieu du pilote) la torture que subit le personnage de Niels. On découvre dans les dialogues, que la torture a durée 24h ; hors, que ce soit dans son jeu, dans ses vêtements pas assez froissés ou abîmés, sans parler que quelques claques sur le crâne c’est pas vraiment un interrogatoire de ‘mechant vraiment méchant’. Ça manquait quand même d’un peu de sang au visage, et de quelques contusions pour qu’on puisse voir, ce par quoi le gars est passé. La, on ne ressent rien, et on ne voit rien de ce qu’il aurait dû endurer. C’est finalement sur des détails que les deux premiers épisodes manquent de marquer des points, alors que sur des choses plus durs à mettre en place, c’est ultra maitrisé.
Effectivement José Garcia et les effets spéciaux sont impressionnants. Une belle proposition française, cocorico !