Alien tome 1 : Les liens du sang - critique d'un (autre) carnage signé Marvel

Arnold Petit | 18 août 2022 - MAJ : 19/08/2022 03:18
Arnold Petit | 18 août 2022 - MAJ : 19/08/2022 03:18

En attendant, un jour, peut-être, la série Alien de Noah Hawley, les Xénormorphes font d'abord leur retour chez Marvel dans Alien tome 1 : Les liens du sang, paru le 17 août en France chez Panini. Malheureusement, alors qu'il devait marquer le début d'une nouvelle ère éditoriale et donner une seconde vie à la franchise, ce comics de Philip Kennedy Johnson (Le Dernier des Dieux) et Salvador Larroca (X-Men, Star Wars) est une horreur absolue qui ferait passer Prometheus et Alien : Covenant pour des chefs-d'oeuvre.

PERDUS DANS L'ESPACE

Quand Disney a acquis la Fox et s'est emparé d'Alien et Predator, les fans ont craint pour l'avenir des deux créatures à l'écran, mais aussi sur papier. Pendant plus de 30 ans, les comics publiés chez Dark Horse autour des deux monstres sacrés de science-fiction ont considérablement étendu leurs mythologies, ne serait-ce qu'en ayant l'idée de les opposer dans Aliens vs Predator en 1989.

Des auteurs et des dessinateurs comme Mark Verheiden, Mike Mignola, Dave Gibbons, les frères Kubert ou James Stokoe se sont approprié les univers des deux bestioles en profitant d'une liberté artistique presque totale pour les enrichir et les explorer (quitte à aller un peu trop loin et se perdre parfois). Mais à la suite du rachat de l'impérieux Mickey, la maison d'édition indépendante s'est encore fait piller ses licences et ses personnages par Marvel après Star Wars et Conan le Barbare.

Les Xénomorphes et les Yautjas sont tombés sous l'hégémonie de Disney et ont rejoint les super-héros, les Jedis et le Cimmérien au sein d'un empire culturel et éditorial dont les sempiternelles relances remettent en question son surnom de Maison des idées.

 

Alien tome 1 : Les liens du sang : photoQu'est-ce que Bishop fout là ? Bonne question !


Pour autant, au-delà des questions de propriété intellectuelle et de monopole, ce changement de maison d'édition représentait une page blanche et l'occasion parfaite de redonner vie aux deux franchises. Sans surprise, de nouveaux comics ont été annoncés chez Marvel en même temps que des nouvelles adaptations. 

Alors que les Xénormophes s'installaient dans les couvertures d'autres titres avant de faire leur retour dans une série de comics de Philip Kennedy Johnson et Salvador Larroca et la série de Noah Hawley, l'arrivée du Predator dans la galaxie de Marvel a été retardée en raison d'un litige juridique avec Jim et John Thomas, scénaristes du film réalisé par John McTiernan. Disney et les deux frères ont finalement trouvé un accord et le lancement de la série de comics Predator a pu avoir lieu en même temps que la sortie du film Prey, qui s'est révélé étonnamment réussi.

De son côté, Alien tome 1 : Les liens du sang est l'exact l'inverse du long-métrage de Dan Trachtenberg ou de tout ce que les publications de Dark Horse ont pu offrir aux fans. Ici, il n'y a pas de réinvention, de fraîcheur, de rythme ou de plaisir, seulement une histoire insipide, des dessins affreux, des personnages vides et des références à l'excès. Il suffit de regarder la double page du début avec les Xénomorphes et la nouvelle espèce d'Alien qui se trouve entre eux pour comprendre qu'il n'y a rien à attendre de cette chose dénuée de sens ou de bon goût.

 

Alien tome 1 : Les liens du sang : photoÇa ne ressemble à rien ? C'est pas grave !

 

ALIEN : BEST-OF ET BÊTISIER

Alien tome 1 : Les liens du sang avait pourtant des arguments à faire valoir. L'histoire ne commence pas dans l'espace, mais sur Terre en 2200, après les événements des deux premiers films réalisés par Ridley Scott et James Cameron, et suit Gabriel Cruz, ancien membre des Marines coloniaux à la retraite et seul rescapé d'une attaque de Xénomorphes. Alors qu'il essaie d'oublier son passé, le soldat doit finalement retourner affronter les monstres de ses cauchemars au cours d'une nouvelle mission pour secourir son fils, Danny, avec qui il essayait de se réconcilier après un drame familial.

Rien d'original en soi. Les troubles post-traumatiques sont traités à travers des visions sans intérêt et servent surtout à faire un autre clin d'oeil à Aliens en installant un androïde de modèle Bishop dans le rôle du psychiatre et ami de Gabriel. Toutefois, l'idée de s'intéresser à un personnage qui a aidé la Weyland-Wutani à capturer des Xénormorphes en sachant la menace qu'ils représentent (et qui serait donc un antagoniste dans n'importe quel film de la saga) pouvait prendre à contre-pied et surprendre. Si seulement l'histoire n'essayait pas d'en faire un gentil héros incompris et ne représentait pas les activistes qui combattent la multinationale comme des caricatures d'anarchistes stupides.

 

Alien tome 1 : Les liens du sang : photoVous ne ressentez rien ? Eux non plus !

 

D'après le portrait de ses personnages ou sa manière de traiter l'exploitation inhumaine des ouvriers et des militaires au nom du capitalisme et du profit, Philip Kennedy Johnson n'a visiblement rien compris à Alien et à l'aliénation que dénonçait le film à travers son titre, ses personnages en col bleu et son monstre impitoyable.

Plutôt que de confronter l'idéologie de Gabriel à celle de Danny et de développer une éventuelle opposition entre eux, le récit n'exploite la dynamique entre père et fils que dans une séquence hideuse et gênante pour poser la toile de fond, puis survole les quelques passages qui pouvaient être vecteurs d'émotion ou apporter un minimum de profondeur aux personnages.

Afin de cacher la vacuité de son histoire, Kennedy Johnson dispense des messages autour du corporatisme, du deuil ou du rapport entre l'homme et les androïdes, en citant directement les lois de la robotique d'Asimov. Comme pour le reste, le scénariste remplit avec ce qu'il peut, mais la plupart des pistes qu'il lance mènent à des dialogues emphatiques et stéréotypés ou des scènes insensées (comme discuter tranquillement au milieu d'un nid de Xénomorphes).

 

Alien tome 1 : Les liens du sang : photoLes têtes des personnages changent aléatoirement ? Oui et alors ?

 

À partir du moment où Danny disparaît à bord d'une station spatiale et que Gabriel part à sa recherche avec son escouade, Philip Kennedy Johnson ne fait même plus l'effort de proposer quoi que ce soit de nouveau ou de cohérent et déroule son récit à grand renfort de rebondissements délirants et de fan-service.

Du commando de Marines qui se fait décimer par les monstres au personnage qui s'avère être un androïde en passant par le lance-flammes ou le combat final en combinaison spatiale face à un Xénomorphe, le scénario passe son temps à reprendre les idées et les éléments des films qui ont déjà été utilisés jusqu'à l'usure dans les comics de Dark Horse et ressemble donc à n'importe quelle autre histoire générique et oubliable de l'univers d'Alien. Le seul ajout significatif à la mythologie prend la forme de nouvelles espèces de Xénomorphes  qui ne font que confirmer la nullité et le manque de créativité de la chose.

 

Alien tome 1 : Les liens du sang : photoÇa vous rappelle quelque chose ? C'est fait exprès !


LE HUITIÈME PASSAGER ET LE NEUVIÈME CERCLE DE L'ENFER

D'autres comics Alien étaient mal écrits, et d'autres le seront sûrement. Après tout ce qui a déjà été fait autour de la franchise, il est difficile d'innover et de se renouveler tout en respectant les films, le travail des précédents auteurs et les attentes des fans, qu'il faut satisfaire à tout prix.

En revanche, aucune publication de Dark Horse n'a été aussi pauvre et moche. À défaut d'avoir un bon scénario, Alien tome 1 : Les liens du sang aurait pu être un choc graphique et visuel, avec un style marquant, mais les dessins de Salvador Larroca sont tellement infâmes qu'ils rendent la lecture encore plus désagréable.

Tristement célèbre pour avoir décalqué (et massacré) les visages des acteurs de Star Wars à partir de scènes des films et d'images trouvées sur Internet, l'artiste espagnol a manifestement récidivé avec Bishop et les autres personnages, mais aussi avec les Xénomorphes. Les humains et les androïdes, quand ils ne gardent pas la même expression désincarnée sur une page entière, changent parfois de visage et de physionomie d'une case à l'autre, tandis que les monstres extra-terrestres ressemblent plus à des figurines ridicules qu'aux parfaits organismes que vénère David dans Alien : Covenant.

 

Alien tome 1 : Les liens du sang : photoVous voulez des flashbacks qui ne servent à rien ? Vous les aurez quand même !

 

Assez prodigieusement, Salvador Larroca a réussi à totalement saper le travail de HR Giger et l'aspect organique des créatures. Sans explication logique, il rajoute des cornes et des textures métalliques à certains Xénomorphes, ce qui les rend encore moins vivants et menaçants. Comble de l'imbécilité et de l'insulte : le dessinateur s'est carrément inspiré de l'oeuvre Li de Giger pour une nouvelle espèce d'Alien, mais n'est apparemment pas foutu de comprendre que la représenter avec un visage humain et un corps athlétique est une aberration.

Jusqu'à la dernière page, les décors, les personnages et les monstres restent désespérément lisses, aseptisés, même pendant les scènes d'action ou l'apparition (obligatoire) du Chestburster. En plus du fait qu'il ne respectent même pas les règles élémentaires de découpage et de narration avec "des faux raccords", les illustrations ne possèdent aucune substance, aucun dynamisme, aucune cohésion, aucune inventivité, absolument rien. Un néant graphique à l'image du scénario. À elle seule, la couverture d'InHyuk Lee vaut plus que toutes les planches de Larroca.

 

Alien tome 1 : Les liens du sang : photoVous n'avez pas peur ? C'est normal !

 

Au bout du calvaire, il n'y aucun doute : ce premier comics Alien estampillé Marvel est une catastrophe à tout point de vue, mais ne semble pas avoir d'autre vocation que de remplir les kiosques pour gonfler les poches de Disney avant le prochain tome, la relance du titre dans une nouvelle série de comics (déjà annoncée, évidemment) et la rencontre face au Predator. La Weyland-Wutani a gagné, elle a mis la main sur le Xénomorphe et plus rien ne peut l'empêcher de l'exploiter de façon irréfléchie et irresponsable

Alien tome 1 : les liens du sang est disponible chez Panini depuis le 17 août 2022.

 

Alien tome 1 : Les liens du sang : photo

Résumé

Entre l'histoire insipide et usée de Philip Kennedy Johnson, les dessins aseptisés et hideux de Salvator Larroca et les rajouts mythologiques absurdes autour des Xénormorphes, Alien tome 1 : Les liens du sang est assurément le plus mauvais comics Alien qui ait été publié et l'une des pires choses qui soit arrivée à la franchise.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
commentaires
Flo
19/09/2022 à 14:43

Surprenante nouvelle série Alien chez Marvel… Si on accepte le style très « roman photo » des dessins de Salvador Larroca… et l’ambiance nihiliste et désespérée qui existait sous la surface des deux premiers films, et est devenue plus forte ensuite (surtout chez Fincher et Scott)…
Eh bien c’est très satisfaisant.
Cet univers est remis sur la carte, explorant et prenant en compte tous les films (y compris d’autres créations de Giger). Philip Kennedy Johnson, lui même ancien soldat, le raconte à travers le drame d’un vétéran militaire sec et corporatiste, maudit via les membres de sa progéniture – mort, mortel ou conflictuel.
Aucun espoir de rédemption affective dans cette histoire d’Horreur(s), trop tard. Ne reste que le récitatif du protagoniste, un dialogue qu’il n’aura le temps de partager avec personne sauf sa propre conscience.
Car la noirceur surnaturelle est ici envahissante, sous le verni glacé et industriel… Même en n’étant pas bien généreux en instants de tension et d’action habile, c’est l’un des meilleur moyen pour commencer une saga, en attendant des jours meilleurs où il y aura plus de beauté graphique, et où l’Humanité retrouvera de l’Espoir.

leDuc
21/08/2022 à 11:16

Je l'ai recu et lu en grande partie (environ les 3/4), franchement c'est n'importe quoi la critique, j'ai kiffé.
Déjà c'est vraiment pas si moche, dans la veine des vestron pour les connaisseurs, et l'histoire d'un père ancien militaire à la retraite qui doit aller sauver son fils (et un sujet alpha...) n'est pas des plus inintéressantes. Je ne m'attendais pas à voir autant d'aliens pour ma part. Plus dans la veine d'alien 2 que le premier.
Il y a quand meme quelques éléments un peu chelou (no spam), mais en tant qu'amateur ça passe

Arnold Petit - Rédaction
20/08/2022 à 14:51

@C.Kalanda : Salvador Larroca continue d'être embauché probablement parce qu'il travaille rapidement et qu'il tient les délais de publication (ce qui ne serait pas étonnant vu la qualité de son travail).

@Bleh : Si seulement c'était la Mutante... Au moins le crossover aurait été inattendu. Plus que ce machin.

Geoffrey Crété - Rédaction
19/08/2022 à 14:12

@Dave695

Et je peux vous garantir qu'on nous dira déjà qu'on est trop gentil avec She-Hulk et House of the Dragon, par exemple ;) On sera toujours trop/pas assez pour quelqu'un, c'est le jeu.

Dave695
19/08/2022 à 13:57

Je vous trouve bien sévère décidément la rédaction d'écran large

Bleh
19/08/2022 à 10:43

@C.Kalanda : peut être que Larroca est l'équivalent dans le milieu comics d'un yes man pour le cinéma, un bon petit larbin serviable qui fait ce qu'on lui dit de faire sans broncher.

Sinon, je rêve ou sur la double page avec tout les aliens on aperçoit aussi la Mutante ?

C.Kalanda
18/08/2022 à 22:40

Petite question pour celles et ceux qui connaîtraient le milieu mieux que moi : avec une telle concurrence et le nombre de dessinateurs talentueux, comment un gars comme Larroca, s’il est si connu pour être mauvais, peut il encore être embauché ?

Hh
18/08/2022 à 20:02

Dommage ils veulent faire quelques choses de moderne dans l air du temps, ils devraient revenir à la base réfléchir sur les premières actions du film ne pas misé sur le monstre en lui-même même si ont attend que cela mais plutôt sur un suspense digne du premier film.

EternalBG
18/08/2022 à 18:22

Je l'ai vue à la pieuvre cette BD là je savais pas que vous en parleriez

Poe
18/08/2022 à 14:24

Salvador Larroca est connu pour être l’un des pires dessinateurs dans l’univers de Star Wars Marvel.
Et le pire qu’après quelques années de répits, il revient dans l’univers.

Petit mashup qui a été fait sur son travail :
https://pbs.twimg.com/media/EqWoVO-WMAAHKT1?format=jpg&name=900x900

Plus
votre commentaire