Monica Vitti : mort d'une déesse du cinéma italien, icône chez Antonioni

Geoffrey Crété | 2 février 2022 - MAJ : 02/02/2022 15:19
Geoffrey Crété | 2 février 2022 - MAJ : 02/02/2022 15:19

L'Avventura, L'Éclipse, Désert rouge... Monica Vitti, actrice immense du cinéma italien, est morte à 90 ans.

Tout le monde se souvient de son regard perdu sur l'île aride et rocailleuse de L'Avventura, cherchant désespérément Anna, et une réponse à cette énigme existentielle. Personne n'a oublié son jeu de palet sur le sol en dammier face à Marcello Mastroianni dans La Nuit, ses silences douloureux face à Alain Delon dans L'Eclipse, ou ses déambulations dans les fumées industrielles du Désert rouge.

Née Maria Luisa Ceciarelli le 3 novembre 1931, Monica Vitti était une déesse du cinéma italien, un visage et une voix incontournables dans les années 60, et une icône dans le cinéma de Michelangelo Antonioni. Et sa mort, à 90 ans, donne immédiatement envie de replonger dans ce noir et blanc magnifique, pour mesurer l'importance de cette actrice dans le septième art.

 

Monica Vitti : photo, L'AvventuraCeux qui m'aiment n'oublieront pas ce train

 

L'AVENTURE C'EST L'AVVENTURA

Résumer Monica Vitti à la muse d'Antonioni est tentant, vu qu'elle lui a inspiré quelques uns de ses plus grands films, en plus de partager sa vie pendant dix ans. Mais ce serait trop facile. Il n'y avait simplement pas un homme créateur et un sujet filmé : il y avait deux artistes fantastiques, qui se sont nourris et ont connu ensemble une gloire foudroyante, avec au moins un chef d'œuvre.

L'histoire a commencé en 1957, lorsque le cinéaste a engagé Monica Vitti comme doubleuse sur son film Le Cri, après l'avoir vu interpréter du Georges Feydeau sur scène. Une rencontre fatidique qui n'a rien d'un hasard, puisque depuis son enfance, elle rêvait d'être actrice, malgré la peur et le jugement de sa famille.

Antonioni l'intègre immédiatement dans sa troupe de théâtre, composée de jeunes comédiennes et comédiens. Mais l'aventure commence dans le bien-nommé L'Avventura, qui provoque un petit séisme en 1960.

 

Monica Vitti : photo, L'AvventuraLa croisière ne s'amuse absolument pas

 

Né dans le chaos (financements fragiles, tournage très compliqué, et même une crise cardiaque pour l'actrice Léa Massari), L'Avventura remue le Festival de Cannes en 1960. L'année où La Dolce Vita de Federico Fellini remporte la Palme d'or, à l'unanimité, Antonioni récoltes cris, huées et hurlements lors de la projection. Personne ne comprend ce faux film policier, qui commence avec la disparition mystérieuse d'une héroïne, avant de glisser vers une tragédie existentielle sur l'absurdité et la tristesse profonde des sentiments et du désir.

Dès le lendemain, des dizaines d'artistes, dont Roberto Rossellini, publient une lettre ouverte pour défendre L'Avventura contre les attaques. Le jury, présidé par l'écrivain Georges Simenon, lui donne un prix, pour sa "remarquable contribution à la recherche d'un nouveau langage cinématographique".

L'Histoire s'écrit en direct avec L'Avventura, qui rencontrera un succès à travers le monde, et trouvera aussitôt sa place dans l'histoire du cinéma moderne.

 

Monica Vitti : photo, La Nuit Malheureux au jeu...

 

L'Avventura sera le premier volet d'une trilogie, où Monica Vitti trouvera logiquement sa place. Au second plan de La Nuit en 1961, avec sa perruque brune, face à Jeanne Moreau et Marcello Mastroianni, l'actrice revient au centre de l'équation amoureuse et amère de L'Eclipse, en 1962, où elle donne la réplique à Alain Delon.

En 1964, elle interprète pour la première fois la tristesse et la solitude en couleur chez Antonioni, dans Le Désert rouge. Le film remporte le Lion d'or à Venise, en 1964.

En l'espace de quatre ans, Monica Vitti devient une icône du cinéma italien - et du cinéma tout court.

 

Monica Vitti : photo, Le Désert rougeDésert du désir

 

après antonioni

Cette renommée ouvre des portes à Monica Vitti, notamment vers la France. Dans Les Quatre Vérités, film à sketches notamment réalisé par René Clair, elle croise Anna Karina et Charles Aznavour. Dans Château en Suède, de Roger Vadim, elle donne la réplique à Jean-Louis Trintignant et Jean-Claude Brialy. Elle tourne plusieurs films avec Luciano Salce, et s'aventure avec brio dans la comédie, notamment La Fille au Pistolet (nommé à l'Oscar du meilleur film étranger en 1969).

En réalité, c'est un retour aux sources : toute petite, Monica Vitti aimait faire rire ses frères et soeurs, avec des marionettes. Le visage opaque de la tristesse chez Antonioni laisse place à l'énergie de la comédie.

En 1966, elle brille chez Joseph Losey dans la comédie Modesty Blaise, adaptée des comics de Peter O'Donnell. Dans ce pastiche de James Bond aux décors et costumes absurdes, elle incarne une agent secret des services secrets britanniques, aussi décalée, libérée et impertinente que Barbarella, née à la même époque.

 

Monica Vitti : photo, Modesty BlaiseBarbare-presque-là

 

Plus rare à partir des années 70, Monica Vitti continue à collaborer avec de grands cinéastes : Ettore Scola (Drame de la vie conjugale), Vittorio De Sica (Drôles de couples), Dino Risi (Moi, la femme), Luis Buñuel (Le Fantôme de la liberté), ou encore Carlo Di Palma, directeur de la photographie d'Antonioni qui est passé derrière la caméra comme réalisateur.

En 1980, des années après leur séparation personnelle et professionnelle, Monica Vitti retrouve Antonioni dans Le Mystère d'Oberwald. Ce sera leur dernier film ensemble, et le rôle était parfait : celui d'une reine.

En 1983, c'est encore dans les turpitudes d'un couple qu'elle retrouve le succès, avec Flirt, réalisé par Robert Russo. Sauf que cette fois, elle a co-écrit le scénario. Au festival de Berlin, elle reçoit l'Ours d'argent pour une contribution spéciale.

En 1989, Monica Vitti réalise, co-écrit et interprète le premier rôle de Scandale secret, face à Elliott Gould. Juste retour des choses, c'est à Cannes, dans Un certain regard, qu'elle le présente. Ce sera son tout dernier rôle au cinéma.

 

Monica Vitti : photoDernier Flirt pour la route

 

En 1995, alors qu'elle était couronné d'un Lion d'Or pour l'ensemble de sa carrière à Venise, Monica Vitti commençait à être atteinte de la maladie d'Alzheimer.

Morte à Rome ce 2 février 2022, Monica Vitti emporte avec elle un chapitre entier du cinéma, et particulièrement du cinéma italien, comme l'a signifié le ministre de la Culture Dario Franceschini : "Adieu à Monica Vitti, adieu à la reine du cinéma italien".

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commentaires
Tom’s
02/02/2022 à 23:07

M Vitti était un visage inoubliable, une beauté sereine, inconfondable, elle dégageait un truc mélange de charme et introversion .

Pat Rick
02/02/2022 à 20:07

C'était une actrice charmante et élégante.