André Dussollier - Interview carrière (Part 2)

Laurent Pécha | 29 novembre 2009
Laurent Pécha | 29 novembre 2009

A l'occasion de la sortie d'Une affaire d'Etat, nous avons rencontré André Dussollier. Impossible de ne pas en profiter pour entamer une interview carrière auprès de cet acteur mythique. Il s'agit ici de la retranscription écrite d'une interview vidéo dont le concept est le suivant : André Dussollier tire une question au hasard dans un chapeau et y répond. D'où l'aspect un peu désordonné mais passionnant de cette seconde partie... Retrouvez aussi la première partie de l'entretien.

 

Alice ou la dernière fugue : fan de Chabrol ?

Il faut dire qu'Alice ou la dernière fugue est un film de Chabrol, et Claude est, ma foi, un gourmet et un gourmant du cinéma. A cette occasion, j'ai eu la possibilité de cotoyer Jean Carmet, Charles Vanel et même Emmanuelle... Sylvia Kristel... actrice à succès à l'époque. J'avais un double rôle, le diable qui se métamorphose. Une rencontre une peu éphémère à mon grand regret, car j'aime beaucoup cet homme.

 

Tanguy : même sans Resnais, Sabine est encore là.

J'ai envie de dire un mot sur Etienne Chatiliez que j'aime beaucoup. Sous son insolence, sa manière d'être avec les sujets de ses films, les êtres qu'il rencontre, il est d'une grande affection et d'une grande attention... il a un grand amour pour le cinéma et les acteurs. Sabine Azéma, je ne la connais que par les films d'Alain Resnais, on en avait fait pas mal ensemble. Là, je la rencontrais avec Etienne et on a été très différent, on a découvert une autre manière de travailler. C'est logique, les rapports n'étaient pas les mêmes, c'était une comédie plus déjantée, plus insolente, que celles dans lesquelles on avait pu jouer jusqu'alors. J'aime l'insolence d'Etienne, on en a besoin.

 

 

Première fois au cinéma, il était comment Truffaut ?

Il a un point commun avec Lelouch, c'est d'être le premier spectateur de ses films. J'étais inquiet à l'idée de tourner avec Truffaut. Je n'avais jamais fait de cinéma, j'étais apprenti comédien. Truffaut était venu voir un spectacle au Conservatoire, il fait partie de ces réalisateurs qui vont chercher les acteurs, qui leur proposent des rôles qu'ils n'ont pas fait, qui leur font confiance. Il m'a fait cette réflexion, alors qu'on tournait une scène en trois ou quatre prises. Pour lui, cela suffisait, mais pour moi, non, je voulais aller plus loin, chercher d'autres choses. Il me trouvait après encore en train de gigoter. Et il m'a dit « vous êtes le seul acteur avec Michel Bouquet à répéter les scènes après les avoir tournées ». Au théâtre, on peut fouiller le personnage, alors qu'au cinéma, c'est très rapide. Mais j'étais ravi, il l'était aussi, j'aurais voulu le retrouver. Trois ans avant, je faisais des études de lettres à Grenoble, je voyais ses films et je n'avais pas idée que je commencerais le cinéma avec lui. Il était bon public, souriant...

 

L'amour part terre : première fois avec Jacques Rivette.

Une expérience étrange. Il avait la trame du film, mais c'est Pascal Bonitzer qui écrivait les scènes au fur et à mesure, au jour le jour. J'ai l'habitude de travailler chez moi, d'avoir une vue globale, sauf avec Lelouch bien sûr. Mais là, on ne connaissait peu ou pas l'histoire, on écrivait les personnages chaque jour, on se sentait presque observé, dans notre façon de se comporter. Cela se ressentait de fait sur les scènes à jouer et à tourner.

 

On connaît la chanson : premier César du meilleur acteur.

Premier, bah oui, et seul. C'est gentil de dire le premier. Les Césars, il faut que beaucoup d'éléments soient réunis et favorables pour en décrocher un. Il y a ici cette belle idée d'Alain Resnais, d'introduire de la chanson dans le quotidien de ces gens magnifiquement écrits par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui. C'est leur deuxième collaboration avec Alain après Smoking / No Smoking. C'est un film de jeunes, un film de jeune Resnais, que tous les jeunes metteurs en scène auraient aimé faire. Et puis chanter du Bashung et du Johnny.

 

 

 

18 ans après : Les bronzés 3 avant l'heure ?

Dieu sait que je l'admire Coline Serreau, elle peut jouer une pièce, monter un film et écrire en même temps. C'est une grande bûcheuse, je lui dois beaucoup avec Trois hommes et un couffin. 18 ans après était une demande des producteurs, associée à l'idée pour elle de faire d'autres films après. Evidemment, je pense que l'on aurait pu faire mieux avec la confiance que les spectateurs nous avaient donnée. J'espère que qu'on se rattrapera avec Coline.

 

Vidocq : premier gros nanar.

Dans l'héritage du cinéma français, c'est celui qui écrit qui réalise. Et donc, quelques fois, les producteurs disent que si tu l'as écrit, t'as qu'à le réaliser. Ce n'était pas le cas de Pitof. Et c'est vrai que pendant le tournage, il s'occupait plus des effets, de la fabrication, du montage final, que de l'étape du jeu, des temps de jeu. Pour Vidocq au final, il comptait plus sur ce qu'il savait faire, que sur la trame ou les personnages. Je me rappelle des scènes tournées avec Gérard Depardieu... et à la fin, il n'en restait plus rien. Il y a toujours dans un film, le scénario qu'on lit, celui qu'on tourne et celui qui est monté. Dans cette trajectoire, il peut se passer bien des choses.

 

Un ticket pour l'espace : première fois où Dussollier se lâche ?

C'est gentil de le dire, mais pour moi, ce n'était pas une surprise. J'aime Kad et O, leur humour décalé, iconoclaste... il suffit de les laisser tous les deux et c'est parti. J'étais content de jouer un personnage extraverti, de saisir cette occasion de faire découvrir au public une autre part de moi. Mais en soi, on le sait déjà.

 

 

 

Trois hommes et un couffin : première rencontre avec le public.

J'étais en train de jouer une pièce de théâtre avec Patrick Chesnais et Catherine Rich, et je leur ai dit que j'allais tourner une petite comédie. Le scénario me plaisait bien. Mais les producteurs ne voulaient pas de moi et Coline a dû insister. J'ai hérité du rôle peu avant le tournage. Le film a fait 5 000 entrées le premier jour, pareil le deuxième, et ainsi de suite pendant deux mois non stop. Une surprise totale. C'est là que le cinéma d'auteur français est devenu un cinéma populaire.

 

Le film choral : une passion ?

Non, pas du tout, j'en ai un peu marre des films choraux. J'ai envie que le rôle ait sa propre identité mais il faut s'appuyer sur le groupe. Dans un film choral, on a toujours envie d'avoir un rôle qui porte le film.

 

Scènes de crimes : première fois dans un vrai film de genre.

Le film m'est arrivé comme ça. Je croyais que je ne jouerais jamais de flic, je m'étais même fait à l'idée. Delon, Gabin, Ventura, tous les gars de ma génération, on avait les mêmes idoles. Mais moi, je n'avais pas l'air d'un flic. A la lecture du scénario, je cherche donc un rôle qui pourrait me correspondre parmi les personnages, je cherche mais  pas chez les personnages de flics. Je rappelle alors Frédéric Schoendoerffer pour lui demander s'il n'y a pas une erreur, pour connaître le rôle envisagé. Bah, le flic là, me répond-il. Vous êtes sûr ? Mais oui, moi, Scènes de crimes, je l'ai écrit en étant à la criminelle, au 36 quai des orfèvres. Venez, m'invite-t-il, vous verrez comment ils sont les flics. Je rencontre là-bas un ancien prof d'histoire devenu flic et découvre un réalisateur qui va à la rencontre des gens, de leurs envies, qui suit l'enquête d'un flic mais aussi après, leur univers, leur vie. Des gens comme vous et moi. Par la suite, l'image du flic a évolué.

 

 

 

36 quai des orfèvres : première fois avec un ex-flic, Oliver Marchal.

Alors là, je monte en grade, je suis le chef de la police. Je me rappelle une scène où Olivier a joué au réalisateur farceur, au flic farceur. Il me met dès mon premier jour, une scène avec Depardieu, Auteuil et une soixantaine de figurants qui jouent des flics. Il fallait que je fasse un discours sur ce qui va et ne va pas dans la police. C'était une scène importante... et après, Olivier me révèle que tous les figurants étaient en fait de vrais flics. Si j'avais su, je n'aurais pas osé prononcer un mot de mon discours.

 

Première fois du devoir bien accompli ?

C'est une bonne question. Quand j'ai fait le Truffaut, j'avais en tête des acteurs comme Dustin Hoffman, des acteurs qui se métamorphosent. J'e n'étais pas encore armé comme comédien. Mais mon premier grand plaisir, je peux le dire, parce que j'avais tout, le rôle, la possibilité de le jouer comme je le voulais. C'est Mélo. Il y avait une harmonie entre le rôle, le jeu, la préparation et une sorte d'idée du cinéma, cette sensation que je pouvais prendre du plaisir à faire ce métier.

 

Le fabuleux destin d'Amélie Poulain : le roi de la voix off.

C'est marrant, parce qu'en fait, Jeunet ne trouvait pas de voix off. Il avait fait des essais. Il montait son film à Boulogne, et dans le bureau d'à côté, Becker travaillait sur Un crime au paradis je crois. Il m'a entendu et m'a demandé de faire un bout d'essai. C'était la première fois qu'on me demandait de faire une voix off, mais ça a scellé notre rencontre, et on a construit un vrai personnage à part entière. Notre référence était la série, Les Incorruptibles et la voix off française qui introduisait chaque épisode. Jean-Pierre voulait la voix de l'acteur de la série, mais elle avait changé. Il fallait donner un ton journalistique, introduire les scènes, les personnages, il y avait un vrai travail de composition, très artisanal comme souvent chez Jeunet. Il est dans le détail, et j'aime ça.

 

 

 

Mon ami le traître : Rambo avant l'heure ?

Un film de José Giovanni et la rencontre avec Thierry Frémont. Mes modèles ont toujours été les acteurs américains, et lui est dans la même exemplarité. Il le prouve avec Une affaire d'Etat. Il a donné à son personnage une densité physique qui n'était pas dans les lignes du scénario, bien qu'il l'induisait. Il est arrivé sur le plateau totalement affûté. Il est souvent apprécié à la télévision, avec de belles récompenses, et je pense qu'il trouvera de plus en plus de grands rôles au cinéma.

 

La petite apocalypse : première fois avec Costa-Gavras.

J'adore ce cinéma important. J'étais content de le rencontrer, c'est un metteur en scène qui nous prend sous touts les angles. J'aimerais bien le retrouver, sur un sujet politique en phase avec le réel. Raconter les sentiments, l'évolution des mœurs, c'est quelque chose, mais raconter les faits, les français ne le font peut-être pas assez.

 

Premier de vos films que vous sauvez ?

C'est une question dure, mais pas dure parce que difficie à trouver, mais dure parce qu'il faut faire un choix. Plusieurs alors : Tanguy, Trois hommes et  un couffin, On connaît la chanson, Les enfants du marais... et je sais pas, je suis finalement content qu'il n'y en est pas qu'un.

 

 

 

Le Colonel Chabert : première fois avec Depardieu

C'était... on se fait toujours un monde quand on va rencontrer un acteur qui a une grande notoriété, on se demande comment ça va se passer. On est très opposé, dans la vie et dans la manière de vivre ou de travailler. Il a un côté physique, sportif, mais aussi une part d'enfant, que je partage avec lui. Cela n'a jamais été difficile, on s'est tout de suite bien entendu.

 

Premier clash sur un tournage ?

Il n'y en a pas eu tellement. Faut toujours s'adapter et comprendre comment ça marche. Voir l'horlogerie du metteur en scène et sa manière de réagir, puis parler et lui donner l'impression qu'on est d'accord. C'est exactement la rencontre qu'on voulait faire, ce qu'il voulait nous dire. Sur un tournage, à chaque répétition, le réalisateur trouvait que ça n'allait pas. Il donnait des indications aux acteurs, que nous ne trouvions pas justes. On est alors devenu aussi tordus que lui, et à la fin de la première semaine, on jouait le contraire de ce qu'on voulait jouer pour pouvoir jouer au final comme on le souhaitait. C'était sur Extérieur, nuit. J'ai une autre anecdote sur la première scène de Gérard Lanvin, où il devait être soûl. On est au bar tous les deux et il se dit qu'il va s'aider un peu avec un verre. Il boit pour être dans la griserie de l'alcool, on l'a tous fait. Mais le metteur en scène mettait du temps à se préparer, et Gérard prenait un deuxième, un troisième verre. Au moment de tourner, il avait avalé un bonne bouteille et s'est écroulé sur le comptoir. Voilà comment on apprend le métier. Cela me fait penser à la belle histoire entre Dustin Hoffman et Laurence Olivier sur Marathon Man. Hoffman a une scène où il doit être essoufflé et il se met à courir en rond dans la pièce. Olivier lui demande ce qu'il fait et Hoffman lui répond qu'il se prépare. « Mais vous n'avez qu'à jouer. » Voilà, il y a deux écoles, on essaie de mélanger réalité et fiction, et on perd la distanciation.

 

Première fois en Staline ?

La première et la seule, parce que jouer Staline dans Une exécution ordinaire, c'est un défi. Marc Dugain me l'a proposé, et je lui ai répondu que je ne lui ressemblais pas... mais après, je me suis dit pourquoi pas. L'écart est si grand, le défi d'autant plus intéressant. On a dit banco, on a fait des essais et pas seulement sur les maquillages mais aussi sur l'incarnation avec tous les éléments que l'on disposait. Je suis content d'avoir joué ça, c'est un peu cinglé, et ce ne sera intéressant que si les gens croient au personnage.

 

Cliquez sur la photo pour retrouver la première partie de l'interview

 

Propos recueillis par Laurent Pécha

Retranscription par Vincent Julé

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