Interview Jonathan Zaccaï (Simon Konianski)

Par Thomas Messias
29 juillet 2009
MAJ : 19 octobre 2018
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Il vient de boucler un nouveau tournage, enchaîne les interviews et a pas mal de sommeil à rattraper. Avalant ce qui doit être son dixième café de la journée, Jonathan Zaccaï est fatigué mais il a le sourire. Fier et désireux de défendre Simon Konianski,  le film de Micha Wald dont il est le héros, il brûle de répondre à chacune de nos questions.

 

 

 

 

Autant le dire d’entrée, Simon Konianski est un film formidable, à propos du duquel il y a peu de réserves à émettre. La seule concernerait peut-être le titre, pas assez accrocheur…

Je m’étais posé la question à propos de ce titre. Mais Micha Wald [le réalisateur, NDLR] y tenait dès le départ, et malgré quelques autres propositions c’est ce titre qui est resté. J’espère que les gens arriveront à le garder en tête.

 

Comment t’es-tu retrouvé sur ce projet ?

Ça faisait très longtemps que je voulais faire de la comédie, qui est un genre que j’ai assez peu abordé. Comme le producteur de Simon Konianski est aussi celui d’Élève libre, mon précédent film et pas vraiment une comédie, il a parlé de moi à Micha. Comme je faisais beaucoup le con sur le tournage, il s’est dit que je ferais un très bon Simon. Il m’a fait lire le scénario, mais j’avais quelques réticences. J’avais tellement envie de faire de la comédie que je m’étais fixé un niveau d’exigence assez élevé pour ne pas me planter, donc j’ai pas mal hésité ; et puis je me suis découvert pas mal de points communs avec Simon et sa famille, ce qui ne m’enchantait qu’à moitié. C’est comme si on me proposait de faire un film avec ma famille, de partir en Ukraine avec eux… Ça peut-être l’horreur. Finalement j’ai craqué, et j’ai bien fait.

 

Sur bien des aspects, le scénario ressemble à une pente savonneuse. C’est quand même un film souvent très drôle mais qui finit par nous emmener du côté des camps de la mort… C’est pas un peu effrayant quand on lit une chose pareille ?

Le mélange des genres avait de quoi faire peur, c’est vrai. C’est très compliqué à faire, les gens sont souvent déroutés. Mais Micha était très clair là-dessus, il savait exactement ce qu’il voulait faire, et j’ai vite été emporté dans l’originalité de son projet, sans trop me poser de questions. Le risque en valait la peine. Mais ça nous a donné envie à Micha et moi de tourner ensemble une autre comédie qui soit débarrassée de ce genre de problème. Un film bien con, sans sujet grave derrière.

 

Comment vit-on le fait de se retrouver dans les camps pour tourner un film ?

Je n’ai jamais été marqué par la symbolique des lieux, j’ai donc facilement pris du recul et j’ai vécu tout ça de manière assez détachée. Il y avait évidemment beaucoup de respect, je n’allais pas proposer de faire un foot à l’intérieur du camp… Mais disons que ça ne m’a jamais empêché de me consacrer à mon rôle.

 

 

 

 

Comment est-ce qu’on pourrait résumer le film en quelques mots ? Ça semble assez difficile…

Même si c’est quand même prétentieux, je décrirais bien Simon Konianski comme le Little miss sunshine belge. Ou du Wes Anderson belge. Ça a l’air improbable mais je crois que c’est ce qui colle le mieux. Concernant le pitch du film, j’ai tendance à raconter que c’est l’histoire d’un type qui part en voiture avec deux petits vieux qui vont lui prendre la tête tout le voyage, un gamin hyperactif, et le corps de son père dans le coffre. Là, en général, les gens ouvrent des yeux ronds comme des billes et me disent : « T’es sûr que c’est une comédie ? ». Et là, c’est dur de s’en sortir.

 

Même s’il est très ancré dans le judaïsme et les thèmes qui s’en rapprochent, c’est un film qui semble pouvoir parler autant aux juifs qu’aux non-juifs. Vous avez beaucoup travaillé pour éviter un quelconque sectarisme ?

Quand Spike Lee fait un film sur les blacks, on ne se pose pas ce genre de questions. On a juste envie de voir son film, de découvrir une histoire et des personnages. Là, c’est exactement la même chose. Micha parle d’un folklore qu’il connaît, mais après tout le héros est juste un type en conflit permanent avec sa famille, qui se prend pas mal la tête avec ses proches… C’est aussi un film sur les liens entre les différentes générations, la difficulté qu’elles ont à communiquer. Autant de thèmes qui peuvent parler à n’importe quel spectateur.

 

Au début du film, il y a des scènes de pur comique visuel, notamment une ou Simon se débat comme un beau diable avec un vieux fauteuil cassé. C’était écrit ?

Très sommairement. Ensuite j’en ai fait des caisses, parce que ça me faisait plaisir et que Micha m’encourageait dans ce sens. Il m’a laissé faire tout ce dont je n’avais jamais eu l’occasion : cligner des yeux, gesticuler dans tous les sens… Je suis quelqu’un de très mobile, mais je n’avais jamais vraiment pu exprimer ça. Comme il était très client pour tous mes trucs foireux, j’ai presque dû me freiner moi-même histoire de ne pas en faire trop.

 

 

 

 

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à tourner ?

Bizarrement, ce n’est pas la partie dans les camps, mais tout ce qui se situe avant, avec le road movie en Ukraine. Je vais balancer un peu, mais je n’ai pas eu les partenaires les plus faciles à vivre de ma carrière. Comme Abraham, qui joue l’oncle Maurice, est presque sourd, il a fallu inventer des systèmes pour qu’il sache quand dire sa réplique. Dès le début du tournage, il avait une corde accrochée à la cheville, et un technicien tirait dessus au moment où c’était à lui. Sa mémoire étant également défaillante, il plaçait des antisèches un peu partout donc le cadreur devait faire attention. Ensuite les ingénieurs du son ont installé un système avec une lumière rouge qui s’allumait lorsqu’il devait parler. Irène, qui joue ma tante, débutait dans le cinéma à l’âge de 87 ans, et était incapable de retenir les dialogues. En fait, il n’y a pas une scène qui se soit jouée en continu. Lorsqu’il y a des gros plans sur moi dans la voiture, il faut savoir que je suis tout seul et que je parle à des morceaux de scotch, avec Micha qui me donne la réplique sur le siège passager. À un moment, j’ai cru que j’allais devenir fou. Mais on a tourné cette partie en premier, donc tout ce qui a suivi était un bonheur total.

 

Tu l’as déjà évoqué, mais le film fait vraiment penser à ceux de Wes Anderson, par la mélancolie de son héros comme par l’importance accordée aux accessoires…

Micha est très influencé par Wes Anderson même s’il n’aime pas tout dans son cinéma. Au moment du choix des accessoires, notamment les grosses lunettes de Simon, on avait quelques appréhensions. On craignait notamment que ça n’écrase un peu le personnage, que ça manque de sobriété. Du coup, par esprit de contradiction, on lui a ajouté une minerve. J’avais réalisé un court-métrage avec mon oncle où il portait une minerve alors qu’il n’avait jamais mal au cou. Micha l’avait vu, ça l’avait beaucoup amusé, et il a voulu reprendre cette idée.

 

Par certains aspects et traits d’humour, on songe aussi à Woody Allen.

Je suis un fan absolu. J’ai presque envie de m’inventer des névroses pour parvenir à me rapprocher de lui. Je me sens très proche de ce cinéma-là ; il n’a pas forcément fait que des chefs d’œuvres, mais c’est un cinéaste de référence, le meilleur pour décrire la comédie de la vie, l’apprentissage… J’ai envie de réaliser des films et c’est exactement de ce côté que j’ai envie d’aller. J’aimerais donner ce type de plaisir-là au spectateur, ou en tout cas m’en rapprocher.

 

Les petits vieux ressemblent notamment à celui de La haine, qui raconte ses anecdotes sur la déportation.

Tout à fait. Et ce qui est amusant, c’est que non seulement les personnages rabâchent sans arrêt les mêmes histoires, mais que j’y ai aussi eu droit hors tournage. Abraham, qui est sourd comme un pot et donc n’écoute rien de ce qu’on lui dit, m’a répété à peu près mille fois chaque petite histoire, avec l’énergie d’un garçon de 12 ans. « Le secret de la longévité, c’est le ressort » : c’est son leitmotiv, auquel j’ai eu droit chaque jour, et je crois que je m’en souviendrai longtemps.

 

 

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