Près de dix ans après la sortie de Mad Max : Fury Road, quatrième volet des aventures de Max par le cinéaste australien George Miller et premier à mettre en scène le désormais iconique personnage de Furiosa, on continue d’être estomaqué par le film.
Comme le réalisateur Steven Soderbergh, qui a abordé le sujet plusieurs fois dans des interviews, on se refait régulièrement des séquences du film. Et à chaque fois la même question revient : par quel miracle peut-il bien exister ? Pourtant aujourd’hui encore, il reste quelques rabat-joies et rageux rabougris qui râlent. Qui aiment à penser que bon, c’est bien mignon notre film, mais c’est quand même très vide côté scénario, c’est juste une grosse scène d’action sans fin quoi.
Cette remarque, outre la mauvaise foi qu’elle révèle, permet de mettre le doigt sur un problème récurrent des discours qui entourent le cinéma sur la place publique cinéphile : nous ne sommes pas tous d’accord sur la définition même de ce qu’on appelle un « scénario ». Utilisons donc cette accusation blasphématoire (car Fury Road est une religion, tout à fait) comme une excuse pour mieux parler d’écriture dans le long-métrage de George Miller, en utilisant une scène en particulier : l’affrontement entre Max et Furiosa, juste après la tempête de sable. Soit une preuve magnifique que l’action, si on veut qu’elle soit impactante, doit être bien écrite.

Après la tempête
Posons le contexte : au beau milieu du Wasteland, nos personnages viennent de survivre à une tempête. Nous avons d’un côté Max et le War Boy Nux, qui est lui inconscient. De l’autre, nous avons l’imperator Furiosa et son camion, dont on découvre à ce moment-même les passagers : cinq jeunes femmes qui ont fui la Citadelle et son leader-gourou Immortan Joe.
Une scène comme celle-ci nous amène à réfléchir à l’essence même de l’écriture filmique, ou même de la narration tout court. Pour le dire simplement : qu’est-ce qui fait le récit ? La réponse la plus simple est la suivante : un personnage a un objectif (gagner une course, séduire l’être aimé, survivre en pleine mer) mais fait face à un obstacle (la voiture n’a plus d’essence, un rival amoureux, des requins) qui l’oblige à faire des choix. Le génie de cette scène d’affrontement est qu’elle oppose plusieurs groupes de personnages qui ont des objectifs très différents, et qu’elle le fait en utilisant tous les éléments du décor pour permettre de chorégraphier une progression narrative de manière ludique, en ménageant tout du long la tension.

Par exemple, lorsque Max découvre que les jeunes femmes ont de l’eau, son désir change temporairement. Avant de demander à être libéré de ses chaînes, il va vouloir récupérer le tuyau d’eau et reprendre des forces… Et les gouttes projetées sur le visage de Nux, allongé à côté, lui font reprendre conscience. En vérité, la scène est si bien pensée que chaque élément qui apparaît à l’écran est utilisé par les combattants pour prendre le dessus sur les autres.
La porte de voiture sert de bouclier, la chaîne qui relie Max à Nux sert autant à les handicaper qu’à les aider à affronter Furiosa. Le point culminant de l’action survient lorsque cette dernière révèle un pistolet caché dans le camion, ajoutant un paramètre supplémentaire dans une chorégraphie déjà extrêmement complexe, mais qui ne paraît jamais confuse, parce que chaque geste est motivé par l’écriture.

Bats-toi, je te dirai qui tu es
Max veut dégager son visage du masque de fer qui l’emprisonne. Il est enchaîné à Nux et à une portière de voiture, qui sont aussi des entraves à sa liberté. Pour obtenir ce dont il a besoin de la part du camp de Furiosa, il a sa disposition un fusil qui n’est hélas plus fonctionnel mais qui va pouvoir servir de leurre.
Nux n’en a rien à faire de Max et de sa vie, mais son objectif à lui est de capturer Furiosa et les jeunes femmes pour les ramener à la Citadelle ; pour cela il est prêt à coopérer avec Max. Furiosa quant à elle veut reprendre la route avec les jeunes femmes et échapper à Immortan Joe. Une réalité d’autant plus urgente pour elle et pour Max, qui lui aussi est en cavale, que leurs ennemis se rapprochent dans leur dos ; ce qu’on appelle dans l’écriture scénaristique un compte à rebours, ou une épée de Damoclès.

La scène ne dure que quelques minutes, et pourtant rien que par son écriture, elle nous permet de mieux connaître les personnages. Si le cinéma est l’art du visuel et du mouvement, alors la caractérisation passe avant tout par les actes. Et si une scène d’action est l’acte le plus spectaculaire que l’on puisse mettre en scène au cinéma, alors elle est (quand elle est bien écrite) la plus belle manière de façonner un ou des protagonistes.
Max ne vit que pour sa liberté, c’est ce qui transparaît de chacun de ses gestes ; il n’a aucune intention de faire véritablement du mal aux jeunes femmes, mais il doit les menacer pour s’en sortir. Les jeunes épouses d’Immortan Joe sont très vite caractérisées par leur courage et leur détermination, puisqu’elles s’impliquent dans l’affrontement en aidant Furiosa malgré leur absence d’expérience ou de moyens pour lutter. On a rarement vu au cinéma une scène d’action aussi précisément écrite, dans ses moindres détails.

S’il vous plaît, dessine-moi un Mad Max
Le paradoxe, et c’est là où Fury Road se démarque de littéralement tous les autres films du cinéma moderne, c’est qu’il n’a pas de scénario. Les détracteurs du film auraient-ils donc raison ? Pas vraiment, car ne pas avoir de scénario ne signifie pas que le long-métrage n’a pas été écrit… Cela veut simplement dire que l’outil de travail qu’on utilise à Hollywood pour préparer des films et qu’on appelle un scénario, qui comprend les scènes du films avec l’action et les répliques des personnages, a été remplacé par un autre.
La fabrication du film a demandé à George Miller et ses équipes un travail titanesque pendant plusieurs décennies, avec toujours en tête l’idée qu’il s’agit d’un processus collaboratif. Plusieurs années durant, le réalisateur a travaillé avec des artistes de manière à élaborer un story-board gigantesque, une fresque digne d’une tapisserie de Bayeux moderne pour un film qui a donc vocation dès les premières étapes de sa fabrication à être une histoire visuelle de bout en bout.
Pourquoi s’ennuyer à décrire l’action d’une course-poursuite sans fin sur le papier, alors qu’on peut tout simplement la visualiser ? Arrivé à une certaine étape du développement, George Miller a tout de même fait appel à l’acteur et auteur australien Nick Lathouris pour élaborer une sorte de texte scénaristique. Pour l’aider à solidifier les images dessinées en creusant le folklore du Wasteland, en imaginant les histoires personnelles de chacun des protagonistes et antagonistes, et en articulant au mieux les différentes scènes d’action du film pour obtenir une progression narrative organique.

Même si jusqu’au bout du parcours créatif, George Miller reste le seul maître à bord à choisir ce qui ou non se retrouve à l’image, toutes les personnes impliquées sur Mad Max : Fury Road ont été invitées par le cinéaste à participer. Chaque cascadeur jouant un War Boy a apporté sa touche de vie au projet en écrivant la biographie de son personnage, en choisissant ses accessoires et en donnant un sens à chaque petit détail de son costume.
Il en va de même pour les techniciens qui ont fabriqué les véhicules du film, ainsi que pour les chorégraphes qui ont designé les scènes de combat : rien n’est laissé au hasard, tout a une raison d’être intra-diégétique. La scène de combat utilisée comme exemple ici a été écrite à la fois par George Miller et ses artistes, par les chorégraphes Greg Van Borssum et Richard Norton, et par les doublures cascades pour Max et Furiosa, Dane et Dayna Grant, pour qui la bagarre fut une rencontre amoureuse.
La militante et activiste Eve Ansler, autrice des Monologues du Vagin, a participé à un workshop d’une semaine avec les actrices qui jouent les femmes d’Immortan Joe pour les aider à trouver leurs personnages en se nourrissant d’histoires réelles, de femmes qui leurs ressemblent. Combien de films peuvent se vanter d’avoir connu une production pareille ?

Chaque âme embarquée dans le désert par George Miller a participé, d’une manière ou d’une autre, à un processus créatif total dans lequel l’écriture s’est faite avec plusieurs centaines de mains, toutes serrées autour de la même plume. Voilà ce que vous pourrez répondre la prochaine fois que vous tomberez sur un rageux qui accusera Mad Max : Fury Road de ne pas avoir de scénario : c’est peut-être le film le plus précisément écrit de l’histoire du cinéma.
George Miller à su se réinventé sa Saga MAD MAX avec MAD MAX FURY ROAD 💀🛠️🔥un Chef’d’oeuvre qui nous explose les yeux.
Ce film est un coup de point à tout les production insipide . L’histoire est un Road movie dans la ligné des MAD MAX. Charlize Theron est étonnante charismatique sublime .
Le problème est le toujours le même. La majorité ignore même les bases d’un récit. Et sa construction.
Pour celle-là, un scénario est une simple histoire créée par un empilement de péripéties de roman de gare. Que l’on illustre par l’image.
Le commentaire précédent donne le ton !
Ben si, Fury Road n’a pas de scénario; Le fait que l’esthétisme du film soit réussi, le direction d’acteur soit réussie, Tout ça, c’est très bien. mais il n’y a pas de scénario ou un scénario hyper minimaliste pour ne pas froisser les gens. Max tombe de nulle part, il est attaché au capot d’une voiture à la poursuite d’un camion qui s’échappe d’une ville. il se libère du capot, monte dans le camion et essaie d’aider les passagers du camion. ils échappent aux poursuivant pour finalement se dire qu’ils vont retourner en arrière vers leurs poursuivants pour re-rentrer dans la ville. débile, mais beau esthétiquement.le charisme de charlize theron a fait le reste..
Très juste.
Il y a une évidence dans la précision de la mise en scène. L’intrigue n’est pas complexe mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien fait.
Il y a souvent confusion entre qualité d’écriture, originalité et complexité