David Twohy : l'homme de l'ombre

Guillaume Meral | 21 septembre 2013
Guillaume Meral | 21 septembre 2013

Il y a des réalisateurs comme ça, que l'on a instinctivement envie de défendre pour leur volonté de faire le cinéma qu'ils aiment sans faire de concessions à leur époque, de préserver l'intégrité de leur univers sans distanciation postmoderne pour faire mouiller les salons où ça cause méta entre deux tasses de thé, de pratiquer leur art avec l'humilité de l'artisan qui s'efface derrière son histoire. Un statut que David Twohy a longtemps défendu avec un talent et une assurance qui en a fait l'un des auteurs-réalisateurs les plus talentueux en activité, mais dont les dernières sorties viennent jeter un doute sur sa capacité à assumer plus longtemps la noble vocation dont il s'était fait l'un des hérauts. Comme si, frustré devant la reconnaissance marginale récoltée par sa ligne de conduite, et les années de galère passées à monter des projets qui n'aboutissent pas le bonhomme avait tout simplement céder aux chants des sirènes du relativisme artistique. Quitte à brocarder son talent et  l'aura de sa plus belle création, le bad mother fucker Richard B. Riddick, dont la dernière aventure vient malheureusement de porter un sévère coup d'arrêt aux prétentions mythologiques développées dans son épisode précédent

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D'emblée, il convient de scinder le parcours de David Twohy à Hollywood en deux blocs distincts. Comme la plupart des réalisateurs issus de sa génération, notre homme réalise que le diplôme empoché à l'école de cinéma ne lui ouvre pas une route toute tracée vers la réalisation, et que les studios ne sont pas disposés à lui ouvrir les bras sans qu'il ne montre patte blanche. Ce qui signifie dans le cas présent mettre sa plume au service des autres en attendant qu'une opportunité de passer derrière la caméra se présente à lui. De fait, il n'est guère étonnant pour un artiste comme Twohy que sa filmographie en tant que scénariste soit aussi abondante que celle de réalisateur : en bon artisan à l'ancienne, donc besogneux, le bonhomme se lance à corps perdu dans les jobs alimentaires en attendant son heure, n'oppose pas à la réalité du business un égo d'artiste tourmenté et accepte de n'être que l'un des maillons de la chaîne de fabrication.

 

 

Ainsi, après s'être fait les dents sur deux petites séries B  (Critters 2 et Warlock), et travaillé sur le draft précoce de l'une des productions les plus polémiques des années 90 (Alien 3), Twohy accède à un échelon supérieur et voit son nom figurer au générique de certains des productions les plus emblématiques (en bien ou en mal) des années 90 (Le fugitif, Waterworld, A armes égales...). S'il est difficile de mesurer la part d'implication exacte de l'auteur dans le processus artistique des films précités (selon son propre aveu, son scénario du Fugitif fut largement réécrit par Jeb Stuart), et même si certains d'entre eux s'avèrent plus proches de sa sensibilité que d'autres (Waterworld, son univers post-nuke dirty, son antihéros solitaire et autodidacte, et ses bad guys en forme d'armée de conquistadors déglingués annoncent Les Chroniques de Riddick du bout des lèvres), on pourra difficilement prétendre à une période de faste artistique pour l'auteur, qui voit son nom associé à certains des camouflets les plus retentissants de la décennie (est-ce à lui que l'on doit le légendaire « Suck my dick » de Demi Moore dans A armes égales ?), sans compter les nanars que tout le monde a oublié six mois après leur sorties (Terminal Velocity, Impostor anyone ?). Un palmarès peu reluisant dans lequel il est difficile de déceler la trace d'un talent qui n'attendait que son autonomie pour s'affirmer.

Les efforts de Twohy vont commencer à payer dès 1992 avec Timescape, premier film au parcours confidentiel, et surtout The arrival, son véritable ticket d'entrée dans le milieu. Petite série B d'invasion extra-terrestre qui puise sous influence  Body snatchers, The arrival connaît un succès d'estime qui se confirmera surtout en vidéo, jusqu'à se voir gratifié d'une seconde vie en tant que franchise DTV. Pas suffisant toutefois  pour imposer immédiatement Twohy en tant que réalisateur à part entière, malgré la bonne tenue de l'ensemble (jusque dans la direction d'acteurs : Charlie Sheen ne fait même pas rire). En effet, le film témoigne déjà de l'un des particularismes les plus attachants de Twohy, et qui lui a peut-être porté préjudice par la suite : sa propension à rester dans l'ombre de son oeuvre. De fait, le bonhomme a beau jouir du statut de réalisateur-scénariste sur l'intégralité de sa filmo (donc en position de revendiquer la paternité de son œuvre sans équivoque), son nom s'efface systématiquement derrière ses créations. Un comble pour celui qui a élaboré l'un des plus foisonnants univers de SF/fantasy de ces dernières années (et accessoirement l'un des seuls 100% originaux de la décennie 2000) avec Les chroniques de Riddick, d'autant plus quand d'autres se voient estampillés créateurs visionnaires pour avoir collé trois ralentis dans un dégueuli de fonds verts (Zack Snyder, dédicace à notre rédac chef vénéré). Le fait est que Twohy n'a jamais vraiment su marquer son territoire, préférant déléguer à autrui la tâche d'incarner ses œuvres auprès du grand public (pour le commun des mortels, Riddick est ainsi indissociable de Vin Diesel). Comme si finalement, ses années passées à courir le cachet en tant qu'anonyme dans le système des studios avait fini par déteindre sa personnalité.

Un constat qui ne porte en rien préjudice à un talent qui va réellement s'affirmer dans ses films suivants. De fait, Twohy passe nettement à la vitesse supérieure avec Pitch Black, excellent survival qui devient son premier vrai succès au box-office et marque les premiers pas de l'une des plus fascinantes icônes des années 2000 : Richard B. Riddick, tueur en série aux yeux aussi perçants que le tranchant de sa lame, marginal revendiqué et authentique bad mother fucker dont la solitude se confond avec une asocialité revendiquée. Pas conçu au départ pour porter une mythologie à part entière sur ses épaules, le personnage présente cependant déjà les contours d'une aura iconique qui doit tout aux talents de conteurs de Twohy, qui affiche ici sa déférence au Alien de Ridley Scott tout en adaptant son formalisme à ses propres besoins narratifs. A l'instar du père Scott, Twohy façonne sa mise en scène de façon à sonder dans l'instantanéité de l'action les terreurs intimes de ses personnages, tout en matérialisant leurs démons à travers l'existence de Riddick, qui n'apparaît à l'écran dans un premier temps que par bribes, et seulement lorsque les personnages confient leur part de noirceur à la caméra (d'où le non-sens total d'en dupliquer la structure au sein de Riddick). Comme si en définitif Riddick se fabriquait depuis la culpabilité des uns et des autres, se nourrissait du chaos de leur âme pour prendre vie. Un parti-pris qui confère à la narration une patine de conte antique à la morale inconfortable, dans lequel le démon serait sauvé par le sacrifice de ceux qui lui ont donné naissance.

Twohy persiste dans l'émanation des démons infectant l'âme humaine avec son film suivant, Abimes, dans lequel un esprit vengeur sème la terreur dans un sous-marin américain après que celui-ci ait recueilli des naufragés en pleine seconde guerre mondiale. A l'instar de Pitch Black, la sécheresse de la narration (amplifiée par l'art du  raccord chez Twohy, qui lie directement une parole ou une idée, même suggérée, à sa réaction immédiate) confère au film une pureté presque hors du temps, à l'image de ces protagonistes pris dans l'engrenage d'une terreur primale. Superbement raconté, doté de partis-pris de mise en scène qui ne cessent de se densifier au fur et à mesure du récit (la claustrophobie du cadre révèle progressivement la difficulté pour certains personnages de conserver leur secret), agrémenté d'un twist magistral et de quelques scènes de flippe pas piquées des vers (la scène du miroir), Abimes se paye pourtant un bide assez conséquent au box-office. Twohy peut remercier les inénarrables frères Weinstein pour une sortie promptement sacrifiée, le bide de K-19 la même ayant probablement refroidi les ardeurs des frangins malfaisants, qui ne voyaient pas l'intérêt d'aller au charbon avec leur propre film de sous-marin (quand bien même les deux n'avaient strictement rien à voir).

L'échec du film ne freine en rien l'ascension de Twohy, qui accède à la cour des grands lorsque la popularité nouvellement acquise de Vin Diesel lui octroie la possibilité de développer une suite à Pitch Black centrée autour du personnage de Riddick. Si l'association du carton que fut Pitch black en vidéo avec la hype d'alors autour de Diesel semblait promettre un avenir radieux au film, la réalité fut malheureusement toute autre au regard du méchant gadin que le film se prit  lors de son exploitation en salles (57 millions de recettes U.S pour 110 millions de, budget, ouch), tuant dans l'œuf tout espoir de voir se développer la fascinante mythologique développée dans le film (l'acteur et Twohy envisageaient alors une trilogie). Echec profondément injuste au regard du résultat, tant Les chroniques du Riddick affiche des ambitions artistiques devenues trop rare dans le cinéma populaire aujourd'hui, qu'il s'agisse d'une direction artistique inventive qui n'a pas peur de synthétiser des courants d'influences à priori antinomiques, une mise en scène qui sait construire son identité au regard de l'univers dépeint, ou des élans épiques d'une narration qui n'oppose jamais le nouveau statut d'élu prophétique de Riddick à son aura transgressive. Un bien bel ouvrage qui n'est pas appelé à connaître de prolongations sur grand écran, comme est malheureusement venu le rappeler le troisième épisode.

Alors qu'il accédait au statut de créateur d'univers, le bide des Chroniques mit un coup d'arrêt aux ambitions de Twohy (et à l'ascension de Diesel par la même occasion),  qui pourtant continue à entretenir, avec le soutien indéfectible de son acteur principal, l'espoir de prolonger les aventures de son héros sur grand écran. Une arlésienne qui dura neuf ans, période durant laquelle le cinéaste se fait discret, ne comptant à son actif que le scénario d'un projet avorté (The Brazilian Job,  suite de Braquage à l'italienne), et Escapade fatale, petit thriller hitchcockien pas vraiment inspiré, qui rétrospectivement a le mérite d'annoncer la déconfiture Riddick. Comme si, fatigué de son statut populaire ignoré, Twohy avait baissé les bras et abandonné son style aux compromissions avec toutes les tares de son époque. Tout d'un coup, ses effets de style, comme ses raccords brutaux ou son art de l'iconisation reconstructrice,  ne sont plus subordonnés à autre chose qu'à la religion du coup de coude complice, et son art du récit se mue en faux-semblants qui s'annulent. Pour parachever le tout,  Twohy ne trouve rien de mieux pour justifier son twist improbable qu'un flash-back de dix minutes qui tente d'imposer au spectateur une relecture de l'histoire confinant au révisionnisme.

Autant de défauts jusque là absents de son cinéma que l'on retrouve dans Riddick, qui s'apparente davantage à un enterrement en mode mineur que la célébration tant attendue du retour de l'une des dernières icônes transgressives du cinéma de genre. Visiblement désireux de prolonger la franchise, Twohy et Diesel cèdent à la tentation des artifices les plus ostentatoires pour se mettre le public dans la poche (duplication décérébrée de la structure de Pitch black, poses bad ass forcées, giclées de sang aussi abondantes qu'inoffensives), et se dissimulent derrière le R-rated et la modestie de la production comme caution de l'intégrité de leur démarche. Du bad ass de supermarché en somme, d'autant plus que Twohy a clairement perdu de sa superbe derrière la caméra (on taira les écueils d'écriture) ne se reposant plus que sur ses qualités picturales pour iconiser son héros au détour de quelques plans des plus graphiques. Une déconvenue majeure, d'autant que Twohy contrevient à plusieurs reprises à l'essence de son personnage, dans une volonté évidente de le rendre plus accessible (ce final...). Rien de pire qu'un antihéros qui essaie soudainement de plaire à tout le monde. 

Il paraît difficile aujourd'hui d'anticiper le devenir de David Twohy, surtout à l'aune du parcours sommes toutes assez décevant que Riddick est en train de connaître en salles. Et s'il est toujours profondément hypocrite d'enterrer un réalisateur autrefois admiré sur la seule fois d'une ou deux sorties de parcours, on peut toutefois avancer que la carrière de Twohy ressemble à un rendez-vous manqué avec la postérité, comme si le succès n'avait jamais voulu consacrer la profession de foi défendue becs et ongles par son cinéma. On ne peut qu'espérer que l'avenir infirme ce constat, si tant est que le réalisateur ne retrouve le mojo qui fit de lui l'un des plus fiers représentants du cinéma fantastique.

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