Deauville 2013 en totale improvisation

Jérémy Ponthieux | 6 septembre 2013
Jérémy Ponthieux | 6 septembre 2013

Il y en a qui mise tout sur le hasard. Planifier un programme précis à l'avance, organiser ses vacances en connaissant page par page le catalogue de l'agence, voilà des choses qui leur sont étrangères, inconnues. Tel un trompettiste fou emporté par l'entrainante cadence du batteur qui lui sert d'accompagnement, j'ai été atteint du virus de la « Miles aigüe » et me suis également lancé dans le grand bain de ces gens pour qui le lendemain est une aventure permanente. Ma destination ? Deauville, sa plage, sa bourgeoisie du troisième âge et bien sûr : son festival. 

Inutile de revenir sur la constitution de cette 39ème édition, puisque Simon l'a très bien fait dans l'article à lire ici. D'autant plus que la sélection découverte se réduit finalement au jour et demi passé sur place, soit finalement bien peu. Sur un coup de tête donc, direction le Centre International de Deauville, sorte de grand complexe où les spectateurs obtiennent leur pass tout comme les journalistes leur accréditation. Bien qu'étant resté du côté payant de la force, il faut prendre aussi le temps de remercier toute l'équipe en charge du festival, qui conserve le sourire et prend le temps de répondre à vos questions, quand bien même celles-ci seraient posées pour la trente millième fois. Même du côté presse, l'accueil a été chaleureux et amical, ce qui fait toujours plaisir à voir.

Ce moment d'intense émotion dissipée, revenons à nos moutons cinématographiques avec la première découverte du festival : A Single Shot, signé David M. Rosenthal. Projet alléchant de par son casting quatre étoiles (Sam Rockwell en tête d'affiche, mais aussi William H. Macy ou Kelly Reilly), le film suit le parcours de John Moon, chasseur barbu au bord du divorce qui par un homicide involontaire et un sac truffé d'argent attire de vieux loubards pas franchement très tournés vers la négociation. Déjà guère loti d'un pitch à réveiller les morts, Rosenthal paraît quelque peu hésiter sur la marche à suivre, entre l'atmosphérique présence de la nature et le déroulement pépère d'un coup fourré où tous les ennuis s'accumulent. Jamais innovant, A Single Shot agit même parfois sur son spectateur avec un rapport manichéen à la dramaturgie, en ce que tout et n'importe quoi s'acharnent contre ce pauvre John Moon, jusque dans un final haletant mais gratuit. Heureusement, il y a Rockwell, acteur sous-exploité qui livre toujours le maximum de lui-même comme ici avec une interprétation au bord de l'implosion, mentalement comme physiquement coriace. Saluons aussi Jason Isaacs et son écrasant charisme, tellement convaincant qu'on en vient à oublier un look qui frôle le ridicule.

 

Découragé par le monde amassé devant Le Majordome, cette première (courte) journée se termine à l'hôtel, se reposant d'un lendemain qui s'est avéré chargé : 4 films vus, le tout entrecoupé de demandes répétées mais vaines pour la projection de Joe le soir. Et là, dans un festival qui compte quand même beaucoup de projets ressemblants, une perle, une claque, une bombe à retardement qui vous explose à la tronche jusque dans son générique final. Confirmation du buzz accumulé dans de nombreux festivals (grand prix à Sundance, pour ne citer que lui), Fruitvale Station est une chronique humaine qui inspire une vraie sensation d'injustice, doublée d'une réflexion politique qui ne transite pas par du discours. Ouvrant son film sur les images réelles du faits divers qui a glacé le sang d'une partie de l'Amérique en 2009, Ryan Coogler raconte 48 heures de la vie d'Oscar Grant jusqu'au terrible incident du nouvel an à la Fruitvale Station. Sans jamais recourir à des procédés dramatiques attendus, le réalisateur reste collé serré à son protagoniste central, ni démon ni saint, juste terriblement humain, et qui tente d'oublier son douloureux passé en canalisant ses démons intérieurs. Soutenu par une brillante interprétation générale, le metteur en scène déclenche chez son spectateur une empathie telle avec Oscar que le climax final ne s'en révèle que plus déchirant, jusque dans un ultime plan aux résonnances assourdissantes. Grand prix du festival ? Au vu des réactions déclenchées dans l'audience, ça ne serait pas du vol.

 

Pas le temps de se reposer qu'on enchaîne tout de suite avec une déception relative puisque ses échos dithyrambiques (on le compare à Jesse James, imaginez le poids) ne laissent au final place qu'à une proprette souris. The Retrieval, réalisé, produit et monté par Chris Eska, nous narre l'histoire du jeune Williams et de son oncle Marcus qui, en pleine guerre de Sécession, dénoncent à un groupe de chasseurs blancs les quelques noirs susceptibles de faire de serviables esclaves. Encore pétri d'innocence, le jeune garçon verra son destin changer radicalement le jour où il aura pour mission de ramener en bon port un fugitif répondant au nom de Nate. Belle idée que celle de présenter un négatif à l'imagerie d'un conflit déjà beaucoup traité, surtout avec un budget aussi maigrelet pour l'illustrer. Sauf qu'en noyant son film sous la musique, Eska ne donne aucun relief aux quelques nœuds narratifs qui font avancer l'histoire, nœuds par ailleurs assez peu surprenants pour quiconque ne s'imagine pas cette période avec du rose à tout bout de champ et de l'amour dans les chaumières. La méchanceté des chasseurs ou la lourde saloperie de l'oncle profiteur sont parfois surlignées, alors que les réactions amorphes du gamin finissent par gentiment taper sur les nerfs. Pour autant, le long-métrage est conduit avec un vrai savoir-faire, camoufle habilement ses manques économiques et se révèle même percutant dans son final. Une constatation qui est dû pour grande part au charisme et au talent de Tishuan Scott, acteur trentenaire dont on réentendra parler pour sûr.

Dans un avis totalement opposé à Simon (ce qui prouve que le cinéma est aussi fait pour diviser drastiquement son audience), Blue Ruin m'a décemment séduit, avec la simplicité de son intrigue qui va droit au but et sa manière de vouloir déjouer les codes du film de vengeance. Suivant le parcours d'un type déterminé à assassiner le meurtrier de ses parents, le long-métrage signé Jérémy Saulnier distribue méticuleusement les composantes de son intrigue, laissant planer sur son protagoniste central une relative ambiguïté. Anti-héros par excellence, ce dernier n'a aucune agilité physique, s'avère anti-social au possible et déjoue par son attitude tout les tics du genre (notamment lorsqu'une ancienne connaissance lui propose de s'améliorer au tir). Léché dans sa composition de l'espace et son traitement photographique, Blue Ruin s'achève en plus sur un final gratuit mais libérateur, où jusqu'au dernier moment on retient son souffle. Pas un grand film mais un vrai plaisir coupable. Et un auteur à suivre.

Enfin, comment ne pas finir ce festival sur un long-métrage aussi atypique que Wrong Cops, dernier délire en date du non moins délirant Quentin Dupieux. A la vue de ce nouvel opus, on a toujours autant de mal à saisir ce qui rend génial un bordel aussi radical, si ce n'est une potacherie générale qui annule facto sensu toute prétention ateuriste. La mise en scène approximative de Dupieux créée un paradoxe d'avec sa science singulière du montage filmique autant que musicale. Continuant son étrange expérimentation, Mr Oizo ne s'arrête jamais de tester diverses combinaisons, alternant des échos musicaux avec des leitmotivs répétés, parfois au mépris d'une intrigue qui part en sucette à la moindre occasion. Mieux, le récit multiplie les autoréférences avec un plaisir complice, comme ce programme télé où l'on brûle des pneus et qui « a l'air fantastique ». Et puis surtout, le film est traversé d'une énergie d'anar sous stéroïdes à s'en dilater la mâchoire, trouvant son point culminant dans un épilogue über-gay où tout le monde assument les mouvements de son bassin dans une joie décomplexée. Une sorte de je m'en-foutisme nécessaire pour dire au revoir à Deauville et au reste de sa sélection franchement prometteuse, que j'ai quitté un petit pincement au cœur. Oui, le cinéma américain, c'est bien !

 

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