EYES WILD SHUT
Qui peut nier que Babygirl a des airs de Cinquante nuances de Grey ? De loin, c’est la même couleur, la même odeur. Dans le rôle de presque Christian Grey, Nicole Kidman est la puissante PDG d’une grande entreprise de la tech qui règne sur son petit monde avec assurance. Jusqu’à ce qu’un nouveau stagiaire attire son attention, et lui ouvre les portes d’une relation légèrement BDSM. Les ingrédients sont mélangés mais ils sont là, concoctés par la réalisatrice et scénariste Halina Reijn, notamment remarquée avec son film (médiocre) Bodies Bodies Bodies.
En réalité, Babygirl a plus à voir avec La Secrétaire, le malin film réalisé par Steven Shainberg, où le patron James Spader faisait de sa secrétaire Maggie Gyllenhaal l’actrice de tous ses fantasmes sado-maso. Il y a la même ambivalence, avec l’envie de filmer les corps et le désir loin des conventions et des couardises, sans pour autant abandonner une certaine douceur sentimentale proche de la niaiserie. Une manière de souffler le chaud et le froid, et de créer une connexion directe entre le cul et le cœur.
C’est l’intérêt et la limite de Babygirl, puisque le film n’est jamais aussi intéressant que lorsque la réalisatrice Halina Reijn filme le sexe et ce qu’il y a autour. Et tant pis pour le reste.
ACTION RÉACTION SOUMISSION
Nicole Kidman à la tête d’une entreprise spécialisée dans la robotique, qui répète en boucle des discours comme une automate et se prend des piqûres de botox : Babygirl installe d’emblée une chair devenue glaciale, qui va s’embraser à la première occasion. D’où, peut-être, la symbolique grotesque de cette histoire de chien lâché dans la rue, et de petits gâteaux dans la poche. Il suffisait d’une minuscule étincelle pour réveiller ce corps.
D’autant que la mise en place est ultra-classique. La femme solide vacille pour le garçon impertinent qui ose la regarder dans les yeux, lui répondre, et la faire tomber de son piédestal. Elle n’attendait que ça, et il était né pour ça. Les rôles semblent instantanément distribués, mais c’est justement l’un des sujets de Babygirl : avant de jouer, il faut connaître sa partition. La réalisatrice et scénariste Halina Reijn s’intéresse ainsi à « l’avant ». À la maladresse, la gêne et le ridicule qui précèdent le catalogue des scènes de sexe habituelles, où tout et tout le monde s’enfile et s’imbrique sans hésitation ni lubrifiant – images que le film évite plutôt bien.

Babygirl raconte ainsi ces moments où il faut construire le mode d’emploi, et échanger les mots avant les fluides. Une fois dans la chambre, Samuel perd son masque de petit malin et cherche à voix haute, presque en murmurant, la procédure. Romy, elle, hésite et fait marche arrière une, deux, trois fois. Toutes ces choses que le « sexy » à l’hollywoodienne a tendance à évacuer et éliminer, Halina Reijn les montre.
Et c’est précisément comme ça qu’elle évite les pires écueils du genre, où la pseudo passion sert d’écran de fumée aux relations et personnages pourris et insipides. Il est question de soumission et domination dans Babygirl, mais l’histoire s’écrit à l’écran, avec les scènes de négociations et discussions. L’une des plus belles surprises devient alors ce personnage masculin incarné par l’excellent Harris Dickinson, qui entre d’autres mains auraient été un énième cliché mascu sur patte.

SEXE INTENTIONS
Mais vient le moment où il faut conclure, aussi bien dans le lit (ou au pied du lit) que dans l’histoire. Et c’est un peu le début de la fin pour Babygirl, qui aura du mal à se relever de ce climax sur la moquette à mi-chemin. Dans cette scène inouïe, qui fonctionne presque en miroir avec la Nicole Kidman barbie peroxydée de Paperboy, Halina Reijn sait très bien comment filmer un moment pourtant vu mille fois. Elle place sciemment sa caméra à cet endroit par rapport à l’actrice, et a quelque chose à raconter sur le désir, les respirations, les pulsations, et le temps qui s’étire. Là, il se passe quelque chose.
À côté de ça, beaucoup de scènes semblent alors bien pâles et fonctionnelles dans Babygirl. La soirée au bureau et la cravate laissée derrière, le montage des multiples rencontres, l’anniversaire qui réunit les personnages avec le moment dans la cuisine, la nuit en rave party, la crise conjugale, la rivalité virile… Halina Reijn aligne finalement trop de lieux communs, flirte avec le ringard, et transforme Babygirl en parcours de santé balisé.

Il y a bien quelques scènes qui sortent du lot, notamment la confrontation très bien écrite avec l’assistante (excellente Sophie Wilde), qui interroge intelligemment la responsabilité du féminin dans ce monde. Et dans le rôle de la fille de Nicole Kidman, la très solide Esther McGregor (oui, la fille d’Ewan McGregor) semble destinée à trouver sa place dans la longue liste de nepo babies talentueux.
Mais tout se passe finalement trop bien dans Babygirl, à tel point que le véritable sujet devient de plus en plus abstrait et/ou insipide à mesure que le film avance. Quand il s’agit des corps et de l’érotisme, Halina Reijn évite les facilités. Mais paradoxalement, tout le reste subit le même traitement que le sexe dans le cinéma hollywoodien : trop vite, trop simple, trop facile, trop gratifiant.
Le cul entre deux chaises, comme le film, Nicole Kidman oscille entre des moments de grâce et ses tics habituels – notamment dans sa manière de placer sa voix et son corps dans les scènes les plus bavardes et explicatives. Elle a déjà été bien mieux dirigée que dans Babygirl, mais on ne pourra pas lui enlever une chose : c’est encore un beau choix de carrière pour l’un des actrices les plus actives et intéressantes actuellement.
