Critique : Train de nuit

Nicolas Thys | 29 mars 2012
Nicolas Thys | 29 mars 2012
Pour beaucoup, en France, le cinéma polonais se limite à Roman Polanski, qui n'y a pratiquement pas tourné, voire à la dernière partie de carrière de Kristof Kieślowski qui fût Française et à Andrzej Wajda, oscarisé et palmé. Pourtant les réalisateurs importants sont nombreux et le pays a activement participé au renouveau des années 1950 et 1960, annonçant et poursuivant les nouvelles vagues en Europe et ailleurs. Jerzy Kawalerowicz fait partie de ces noms méconnus et à déterrer d'urgence de l'oubli dans lequel on l'a enseveli.

Son Train de nuit est un véritable petit chef d'oeuvre, encensé à sa sortie en 1959 avant d'être mis de côté. En le découvrant, plus d'un demi siècle après, ce film apparaît encore comme une oeuvre forte, incontournable et moderne. Contemporain du Septième sceau et de La Source, d'Hiroshima mon amour et de L'Avventura, le film porte les stigmates d'un renouveau esthétique qui puise sa source dans un désir de porter le cinéma hors des studios, de transformer les récits classiques en s'affranchissant de toute obligation d'action pour préférer une atmosphère, pour nous transporter dans un espace-temps radicalement différent. Le comparer à Antonioni et Bergman importe finalement peu, si ce n'est pour insister sur la manière dont le cinéma a cherché à une époque, et indépendamment des conditions politiques, géographiques ou historiques de la production des films, à se renouveler.

Dans Train de nuit, l'histoire s'efface devant la sensation. Le cinéaste procède par couche, introduisant un lieu, le train, les fantômes qui vont hanter ce lieu, des gens comme les autres qui sont des fonctions avant d'être des individus, et un mystère qu'on perçoit sans savoir vraiment où il va mener, un fait divers au fond d'un journal. Et le voyage commence. Le train se fait labyrinthe, on suit des personnages dont on ne sait rien, ni où ils vont, ni ce qu'ils font. Des étrangers qui vont devoir apprendre à se connaître et une tension palpable tout au long du film née de cette musique en écho, répétitive, une voix cristalline venue d'ailleurs et quelques notes de piano et de ces symboles religieux qui se succèdent et ne peuvent qu'accentuer le macabre. Et malgré l'espace étroit, le train n'est finalement qu'un tombeau filant au loin, vers une libération factice, la caméra est étonnamment fluide, les mouvements sont amples et le rythme haletant.

Et plus on avance, plus l'ensemble s'obscurcit, plus le mystère se résout, plus le macabre surgit jusqu'à cette course poursuite au milieu de nulle part dans un petit cimetière de campagne où des dizaines d'individus anonymes en poursuivent un autre tels des zombis affamés. De l'ensemble, d'un noir et blanc imposant, où les êtres semblent tous porter le deuil ou venir de cieux éthérés, nait un voyeurisme omniprésent et une sensualité froide. Les corps se frôlent mais ne se touchent pas, la séduction opère à peine, le dialogue est impossible. La distance entre les individus semblent plus grande encore dans le couloir et les compartiments du wagon que s'ils étaient à mille mètres les uns des autres. Et pendant que le train file sans qu'on ne sache jamais vraiment quelle heure il est, c'est à l'absurdité de l'existence que le cinéaste nous confronte, à la lâcheté et à l'horreur de ce monde que peuplent des êtres qui se croisent sans se voir, à sa comédie aussi. A l'exception de ce couple muet au second plan : un marin et une fille. Quelques regards, aucun mot, aucun geste. Une leur d'espoir et une touche de blanc dans un monde de morts-vivants...

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