Rapidement, le film pulvérise les doutes du spectateur rétif. Joseph Kocinski est un metteur en scène racé, qui ne cède pas aux effets de mode, ni aux sirènes du spectaculaire. Il installe son histoire et ses personnages avec efficacité et élégance. Mais le véritable choc du film se produira avec l’entrée de Sam sur la Grille, coeur du monde de Tron, précipité dans l’univers électronique pour retrouver son père disparu. Dès lors, le spectateur est embarqué dans un enchaînement de séquences à la beauté surréaliste et incandescente. Le métrage de Disney est tout sauf cynique, peut-être est-il encore plus kamikaze dans sa conception que son prédécesseur. Pour beaucoup, Tron a le mérite d’être une création originale, quand sa suite ne serait qu’une séquelle gonflée à la 3D. Grave erreur.
Car Legacy repousse avec une joyeuse furie toutes les limites de l’original, en revisite les séquences, les combats, les courses de motos lumineuses, avec pour ambition d’aller dans chaque domaine encore plus loin. A tel point que les séquences d’action prennent le parti de l’anti-spectaculaire au profit d’un esthétisme renversant, transformant certains passages obligés en véritables séquences expérimentales, où tout repose sur l’agencement des formes, de la lumières, et du son. De ce maelström jaillissent de purs moments de cinéma.
La bande originale n’est pas en reste, grâce à la partition chirurgicale et planante des Daft Punk. Et on constate, effaré, que si le résultat est presque toujours splendide, il est très éloigné des standards du cinéma commercial, et ne lui concède rien, sinon pour le détourner. Ainsi Disney nous offre une oeuvre somme, tout aussi casse-gueule que l’original au vu des sommes et du temps investis.
Kocinski a développé ce qui faisait le charme, sinon la valeur de l’original : la représentation faussement candide d’un univers virtuel. Au final,Tron tient autant du fantasme que de la réinvention mythologique, avec l’informatique pour horizon de notre imaginaire. Cette dimension où tout n’est que programme, suite infinie de 0 et de 1, où Kevin Flynn (Jeff Bridges, impérial) devra préserver son individualité, nous rappelle que l’émergence du post-humain est un devenir qui se rapproche à grandes enjambées. Les personnages se le rappellent sans cesse : tout n’est que jeu, un jeu cruel et répété à l’infini, où celui qui gagne perdra sous peu. De cette profession de foi réitérée et honnête, le film tire sa force mais aussi sa profondeur.
Toutefois Tron Legacy n’est pas parfait. A ce titre, l’une des meilleures idées du film, l’existence des I.S.O, entités aux origines mystérieuse et mystiques, est à peine exploitée, sacrifiée au montage. De même, si le scénario se tient pendant les cent premières minutes, la dernière demie-heure souffre de fautes de goût étonnantes, qui affaiblissent un film lancé à des hauteurs stratosphériques. Peut-être par peur de donner ouvertement dans la fable électro-luminescente, Kocinski a donné à son grand méchant des motivations et un projet en fin de compte assez banals, qui recyclent maladroitement les Star Wars et Matrix, alors qu’une bobine plus tôt, Tron les enterrait sans cérémonie.