Critique : Waking sleeping beauty

Julien Foussereau | 6 octobre 2010
Julien Foussereau | 6 octobre 2010

1993. Un cadre de Disney demandant à un collègue : « Comment avance la production du Roi Lion ». « Fort bien : l'équipe réalise un film sur ce qui se passe actuellement au sein de Disney ! » Cette anecdote résume bien l'incroyable décennie que traversa Disney : du four retentissant de Taram et le chaudron magique en 1984 au triomphe du Roi Lion dix ans plus tard. Cette période a même un nom : le second âge d'or de Disney. Les réalisateurs de ce précieux documentaire, Don Hahn et Peter Schneider, étaient de la maison et traversèrent cette époque aussi revigorante et enrichissante sur un plan créatif qu'éreintante et impitoyable diplomatiquement. C'était l'époque d'une transition : le départ des derniers sages, gardiens de l'héritage de Tonton Walt et l'arrivée de la relève incarnée par les futurs grands de l'animation américaine que sont John Musker / Ron Clements (La Petite sirène / Aladdin), John Lasseter, Joe Ranft. De même, la direction se restructura au profit de Michael Eisner, tandis que Roy Disney et le jeunot Jeffrey Katzenberg furent choisis pour gérer le studio d'animation. Cette formule porta les fruits que l'on connait avant que les batailles d'égos et l'obsession cannibale de pouvoir du trio ne détruisent cette dynamique.

Sur la forme, Waking Sleeping Beauty évacue judicieusement la figure lourde de la talking head de docu pour des images d'archives précieuses prises à la sauvette illustrant le commentaire de Don Hahn ou les extraits sonores d'intervenants. Il découle de cette décision artistique un sentiment d'immersion fort appréciable au sein du studio mythique à ce moment clé. On perçoit les investissement humains et émotionnels, l'amour du travail bien fait mais aussi la frustration et les frictions avec le direction par le biais d'excellentes caricatures acides, voire franchement méchantes des dirigeants (quoique souvent justifiées en ce qui concerne Jeffrey Katzenberg). Ce retour vers le passé est l'occasion de comprendre pourquoi Bernard et Bianca au pays des kangourous a été sacrifié et bradé malgré des innovations techniques indéniables ou comment... Roger Rabbit a failli capoter à cause d'une communication lamentable entre le directeur de l'animation Richard Williams et Katzenberg.

Enfin, Schneider et Hahn paient leur tribut au regretté Howard Ashman, l'auteur lyrique de La Petite boutique des horreurs. Son homosexualité revendiquée et sa séropositivité étaient des anomalies par rapport aux racines conservatrices de Disney. Pourtant, par sa capacité hors du commun à trousser des mélodies définissant des personnages en un couplet, il joua un rôle essentiel dans le remise sur pied de la dynastie. En poste dès Oliver et Compagnie, son talent explosa dans La Petite sirène avec des petites idées qui firent la différence. Sa pugnacité jusqu'à son dernier souffle dans la préprod' de La Belle et la bête pour imposer sa vision face aux cadres experts en formatage se révèle au final la parfaite métaphore de cette folle époque qui secoua Disney : la friction du pur désir artistique des uns avec les velléités commerciales des autres.

Alors, certes, ne vous attendez pas à ce que la maison Mickey admette qu'elle ait un peu trop louché sur Ozamu Tezuka et son Roi Léo (Disney distribue le film... pas fou !). Oui, on s'extasie énormément sur La Belle et la bête sans que l'auteur de ces lignes comprenne réellement l'engouement pour ce film aussi mielleux que mineur et les révélations tant attendues pour qui connait bien l'histoire de l'empire Disney ne sont pas franchement renversantes. Cependant, et on ne le répétera jamais assez, Waking Sleeping Beauty est l'histoire du studio matriciel qui dériva longtemps après la mort de son fondateur... avant d'effectuer un comeback fracassant. Waking Sleeping Beauty est en cela une success story assombrie par des intrigues de palais jurant avec la bonhommie de l'univers Disney. Et n'oublions pas que le Walt Disney Animation Studio a hébergé en son sein de très bons conteurs. Don Hahn et Peter Schneider en ont fait partie. Avec ce documentaire, ils ont bien retenu la leçon.

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