Critique : Disgrace
Harcèlement moral et sexuel, après-apartheid, viol et culpabilité : le programme de ce Disgrace est on ne peut plus lourd. il faut dire qu'il s'agit de l'adaptation très fidèle d'un roman de J.M. Coetzee, prix Nobel de littérature, qui n'est pas vraiment le genre d'auteur dont on lit les bouquins sur la plage en mangeant des Figolu. Voici un film âpre, poisseux, collant et humide comme le climat qui règne en Afrique du Sud. Et une oeuvre passionnante, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Pendant deux heures pleines, on est en effet gêné aux entournures par les personnages et leur évolution, sans jamais savoir quelles conclusions tirer de tout cela et sans vraiment saisir s'il y a une morale à cet enchaînement d'histoires sordides. Sachant que c'était déjà l'impression produite par le roman, on peut estimer que la scénariste a bien fait son travail, restituant intelligemment les thèmes très délicats et l'atmosphère pesante qui le caractérisait.
Dans Disgrace,
tous les personnages sont antipathiques. Tous. Les rares souffles d'air
sont bien trop éphémères pour être réellement convaincant, et
dissimulent la plupart du temps un malaise ou un mensonge qui ne
tardera pas à être dévoilé. Le héros incarné par John Malkovich est
même particulièrement détestable : l'emprise qu'exerce son personnage
de prof sur l'étudiante avec laquelle il couche ne tarde pas à nous
plonger dans un embarras des plus épais. Sa fille a beau être victime
d'un viol évidemment choquant, on éprouve à peu près zéro compassion
pour cette demoiselle aussi glaciale après le drame qu'elle l'était
avant. Et ainsi de suite. Et pour éviter tout manichéisme, les noirs
sont eux aussi décrits de la pire des manières, des jeunes agresseurs
jusqu'au voisin faussement bienveillant. Ce refus des conventions est à
la fois très louable et extrêmement pesant, et mène le spectateur blanc
à s'interroger sur sa propre bonne conscience : alors que tout le monde
est plus ou moins mis dans le même sac, pourquoi a-t-il soudain
l'impression d'assister à un film raciste ? Interprétation personnelle,
maladresse du style ou fait établi ? Il n'y a aucune réponse claire à
cette question, et c'est là que le film finit par fasciner : on guette
en vain le moment où Disgrace révèlera enfin sa véritable nature.
Au-delà
de ce questionnement, il y a aussi l'idée selon laquelle l'Afrique du
Sud est loin d'avoir réglé ses problèmes. Ce que Clint Eastwood ne
faisait souvent qu'effleurer dans un Invictus beaucoup moins pessimiste - pas bien difficile, certes.
L'apartheid fait partie du passé, certes. Mais ses conséquences
perdurent. Demeure une crainte réciproque à l'égard de l'autre,
considéré selon sa couleur comme un rebelle en puissance ou un
esclavagiste en herbe. Et comme il n'y a qu'un seul Mandela et que la
Coupe du Monde de rugby n'a lieu que tous les quatre ans, le pays
manque clairement de solutions pour parvenir enfin à fédérer réellement
un peuple forcément scindé en deux camps, voire plus. Disgrace
ne prétend pas apporter la moindre piste, se contentant de dresser un
constat terrifiant, qui donne envie de se tenir loin, bien loin, de ce
pays pourtant au coeur de toutes les attentions en ce début 2010.
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