Critique : Sanjuro

Jean-Noël Nicolau | 12 septembre 2006
Jean-Noël Nicolau | 12 septembre 2006

Poursuivant dans la veine de divertissement pur entamée par la Forteresse cachée, et dont l'apothéose serait peut-être le Yojimbo mis en scène un an auparavant, Akira Kurosawa offre avec Sanjuro (la « suite » de Yojimbo) un film de sabres d'une fluidité et d'une évidence cinématographiques mémorables. Comme dans ces deux œuvres précédentes, le réalisateur offre à son acteur fétiche, Toshiro Mifune, un rôle de samouraï rustre et solitaire, mais dont les capacités physiques et stratégiques semblent sans faille. Sous les oripeaux douteux de Sanjuro, mercenaire bourré de tics et peu avare en familiarités, Mifune bouffe littéralement l'écran, portant l'essentiel du film par son charisme hors normes. Si ses compagnons, sortes de 7 samouraïs inversés, obtiennent presque autant de temps de présence, ils sont quasi invisibles, réduits à des « poussins » qui suivent, avec admiration et crainte, les moindres gestes de Sanjuro.


Ici, pas de place pour le contemplatif, l'œuvre ne fait qu'une heure et demi, ce qui est rare pour Kurosawa qui a généralement besoin de plus de deux heures pour développer ses ambiances. Dès le premier quart d'heure, tous les enjeux et principaux protagonistes ont été exposés et une belle scène d'action a déjà eu lieu. Si, comme dans la Forteresse cachée, le suspens va se révéler essentiellement topographique (chacun cherchant ce qui se trouve en fait chez le voisin), les déplacements ne se font que sur des distances fort réduites, mais à la façon d'un jeu où la malice de Sanjuro (et ses talents de sabreurs) sont les seules règles. Dans le camp adverse, seul Muroto, arriviste qui assume parfaitement son immoralité, semble pouvoir tenir tête à un Mifune déchaîné, mais il sera trompé aussi sûrement que les autres.


Il serait dommage de réduire Sanjuro à un divertissement efficace mais un peu vain. En effet, de manière très subtile, Kurosawa parvient à rendre son anti-héros particulièrement attachant. De son patronyme qui signifie « Camélia » à sa maladresse auprès des femmes (certes décrites de manière très frivole, voire misogyne, comme souvent chez le cinéaste) en passant par sa solitude de « sabre nu », Sanjuro acquiert une humanité qui le rend d'autant plus attachant. Loin de la froideur ou des thèmes tragiques de nombreuses autres œuvres du maître japonais, le film est dans son ensemble léger et riche en moments comiques, ayant plutôt mieux supporté l'épreuve du temps que ceux de la Forteresse cachée.


Sanjuro est aussi passé à la postérité grâce à deux séquences particulièrement inoubliables. La première voit Mifune affronter une vingtaine de samouraïs à lui tout seul, et la seconde est bien sûr le duel entre Sanjuro et Muroto, qui conclut le métrage. L'aspect très exagéré du combat a priori inéquitable contre les sabreurs se retrouvera ensuite plus que fréquemment dans les films d'arts martiaux et dans le cinéma d'action en général. Mais le plan le plus connu de l'œuvre est sans nul doute le geyser de sang du duel final, effet totalement inattendu, l'un des premiers trucages « gore » du cinéma moderne, qui aura traumatisé plus d'un futur réalisateur (à commencer par le Tarantino de Kill Bill). En concluant son histoire par cette apothéose outrancière, Akira Kurosawa ouvrait la porte à un renouveau du cinéma d'exploitation, plus nerveux, plus violent, faisant la part belle aux héros marginaux et sans concessions.

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