Critique : Loungta, les chevaux de vent

Eric Dumas | 31 août 2004
Eric Dumas | 31 août 2004

Fondateur du théâtre Zingaro, Bartabas mêle depuis 1984 avec habileté et intuition, chevaux, musiciens, danseurs et acrobates. Il a inventé une nouvelle forme théâtrale, alliance subtile de chorégraphies équestres et de musiques du monde : le théâtre équestre. Après avoir édité les deux longs métrages de Bartabas, Mazeppa et Chamane, MK2 sort l'intégrale des spectacles du théâtre Zingaro en DVD.

Dernier spectacle en date de la troupe Zingaro, Loungta prouve une nouvelle fois la grande intelligence de Bartabas. S'il joue avec un mot tibétain ( loung signifiant « vent » et ta « cheval »), il s'inspire également de cette culture pour sa mise en scène. Les « chevaux du vent », loungta, sont aussi des drapeaux à prières. De cet objet, de cette texture dansante, lui vient l'idée de suspendre au-dessus et tout autour de la piste une cloche de tissu translucide aux motifs et paysages divers. Si la scène est assimilée à une boule de cristal dans laquelle peuvent naître des images, elle est aussi une mappemonde, dessinant les reliefs et les contrées d'un étrange pays.

En utilisant cette « tente » pour désincarner personnages et animaux, il entraîne dans son sillage les spectateurs qui naviguent entre vie et mort, incarnation et dématérialisation des corps... Cette opposition des univers, comme à l'habitude du metteur en scène, envoûte le public. À la fois barrière et frontière, le fin voile fait dans la nuance. Nouveau paradoxe, celui de la matière « immatérielle » qui gêne tout en ouvrant une vision inédite : un monde parallèle. À condition qu'ils ne soient pas réfractaires aux voix si particulières des dix moines tibétains qui psalmodient et jouent de leur instrument, les spectateurs sont conviés au royaume de l'au-delà, et transportés par une incantation envoûtante.

Au centre de la piste, les « numéros » s'enchaînent, s'offrent sur des plateaux de lumière. En sortant de cette ronde éclatante, les personnages sont condamnés à l'extinction dans une nouvelle métaphore existentielle. À l'extérieur de ce cercle vital, la disparition rôde, prenant les traits de cavaliers aux masques mortuaires. Petit à petit, la tendance s'inverse, et de cette dépression surgit une image de liberté, blanche et immaculée. Avec sa traîne de volatiles, elle déchire l'espace et permet une libération. La vie et l'indépendance s'opposent à l'anéantissement et à l'enfermement qui, bien qu'inévitables, ne doivent pas être une barrière, un obstacle.

Tourné sans public (suite aux problèmes liés au déroulement du festival d'Avignon 2003), le spectacle y gagne dans sa mise en scène. Plutôt que de se « reposer » sur ce point de vue, la représentation est véritablement consacrée à son enregistrement et en tire de bien belles idées. Les traits s'affirment à chaque nouveau spectacle. Le dessin proposé ici est sans conteste une merveilleuse courbe qu'une main ferme et douce trace sur une toile de soie.

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