Critique : L'Enfant

George Lima | 18 octobre 2005
George Lima | 18 octobre 2005

2001. Jean-Pierre et Luc Dardenne tournent Le Fils. Non loin du plateau, passe, matin midi et soir, une jeune femme seule poussant un landau. Le père est absent du tableau de famille. Germe alors dans l'esprit des deux frères le scénario de L'Enfant, nouveau né du duo phare du cinéma vérité. Rien d'étonnant alors qu'un film basé sur l'observation quotidienne et l'univers qu'ils explorent depuis leurs débuts, à savoir la « Belgique d'en bas », sonne si juste.

L'Enfant, c'est une bouleversante histoire de paternité ancrée dans une réalité sociale où précarité financière, morale et intellectuelle se confondent. Au sein de ce contexte difficile (mais jamais misérabiliste) se débat Bruno, prolongation hypothétique du jeune personnage de La Promesse qui aurait mal tourné. Si mal qu'il ne vivrait que de larcins, égoïstement, allant même jusqu'à voler et vendre son propre enfant pour quelques billets. Malgré la gravité de la situation, jamais les réalisateurs n'accusent ce père fugueur de ses erreurs car si ce môme de 20 ans agit de la sorte, la faute ne lui incombe pas totalement. Personne en effet ne lui a jamais inculqué les codes et les valeurs du monde dans lequel il évolue à l'aveuglette avec les seules armes qui lui aient été données : la débrouillardise et l'insouciance.

Mais là où les Dardenne font montre de tout leur talent et de leur subtilité, c'est lorsque cette absence de diabolisation n'engendre aucune victimisation du père. Vendre un enfant est un acte monstrueux et les frères cinéastes le filment comme tel en insistant sur l'irresponsabilité et l'égoïsme de leur héros. Preuve en est la réponse que Bruno fait à Sonia lorsque celle-ci, révoltée et détruite, apprend la perte (temporaire) de son bébé : « C'est pas grave, on en fera un autre ! ». Cette unique réplique fait écho à la réflexion que proposent les réalisateurs belges sur la paternité : donner la vie et élever un enfant ne s'improvise pas mais se choisit et s'assume. Sonia, elle l'aura compris rapidement malgré son jeune âge et son évident manque de maturité. Bruno, lui, aura besoin de temps et d'une prise de conscience forcée par la peur de perdre sa petite femme. Car, L'Enfant, c'est aussi cela : une jolie histoire d'amour entre deux adulescents (la fameuse « génération Kids » telle que décrite par Houellebecq dans son dernier livre : La possibilité d'une île. Ndlr !) qui apprendront à grandir ensemble par la force des choses et des obstacles. Sous les traits de ces apprentis parents coincés au carrefour de leur vie, Jérémie Rénier et la nouvelle venue Déborah François sont criants de justesse. Bien que pathétiques au sens premier et positif du terme, leurs personnages, grâce au naturel et à la simplicité de leurs interprètes, ne provoquent ni révolte ni compassion excessives.

Le mérite en revient également à la mise en scène minimaliste, caméra à l'épaule, des frères Dardenne dont l'approche technique se révèle une fois de plus davantage documentariste que dramaturgique. Même si, de temps à autre, les cinéastes se piquent de quelques scènes dignes de grandes fictions cinématographiques à l'image d'une séquence de course poursuite à scooter où rythme et suspense se côtoient habilement. Une façon comme une autre de prouver à leurs détracteurs que le cinéma vérité peut lui aussi être vivant. Les mêmes détracteurs ne manqueront d'ailleurs pas de faire le parallèle et de pointer du doigt les similitudes avec Rosetta, autre palmé doré de la fratrie. En effet, le style épuré, l'environnement sordide et le propos social des deux films sont des cousins très proches. Mais chez les Dardenne, cette répétition induit également la redite d'une émotion profonde et l'aboutissement d'une réflexion sociale. Et il est assez rare d'être happé par autant de justesse pour bouder son plaisir, son émoi et son admiration.

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