Critique : Last days

Sandy Gillet | 25 avril 2007
Sandy Gillet | 25 avril 2007

On ne sait si Emir Kusturica réagira aussi favorablement à la vision de Last Days que Patrice Chéreau en 2003 à celle d'Elephant, mais une chose est certaine, le dernier film de Gus Van Sant est bien dans la lignée de sa Palme d'or, atrocement beau. La faute à un point de départ certes minimaliste (les deux derniers jours de la vie de Blake, artiste pliant sous le poids de la renommée et du succès, que Gus Van Sant a voulu tel un hommage à Kurt Cobain, le leader du groupe Nirvana) mais qui permet encore une fois au réalisateur de Portland d'approfondir ses recherches formelles de mise en scène et ses expériences sur le langage cinématographique.

Last Days s'ouvre sur un homme, apparemment vêtu d'un pyjama, marchant péniblement dans une forêt sans autres buts que de peut-être s'y perdre. Après une baignade dans une rivière et une eau que l'on imagine glacée (rituel purificateur ?), ses pérégrinations nous ramènent à un début de civilisation et à une vieille demeure en pierres dont l'intérieur tombe quelque peu en ruine. Bâtisse majestueuse et personnage central du film s'il en est, elle est aussi la visualisation par l'absurde de l'état d'esprit de son propriétaire : en attente de la mort. Dès lors Gus Van Sant va se jouer de nos certitudes et, tout en ne manquant rien des soubresauts d'une vie qui fout le camp à la manière d'une « caméra Endemol » (du nom de la célèbre boîte de prod spécialisée en télé réalité), va introduire dans l'histoire et dans la maison des personnages secondaires (Asia Argento méconnaissable en tête) aussi inutiles que primordiales dans la compréhension de la vacuité d'une vie.

En montrant ainsi que le succès et le sentiment d'être reconnu dans son art n'est pas une fin en soi et ne résout finalement aucun problème existentiel (chose que le commun des mortels que nous sommes a finalement du mal à comprendre), Gus Van Sant met le doigt sur une problématique absente jusqu'ici de sa filmographie mais qui semble pourtant le toucher au plus profond de son être et de son cinéma. Ce qui ne change pas, par contre, c'est la façon de le traiter via des longs plans séquence à la fois statiques et majestueux dans la construction du cadre. Ici pourtant il s'agit moins de suivre, caméra à l'épaule, les déambulations infinies de silhouettes s'acheminant vers leur destinée fatale mais d'incruster sur pellicule un visage, des gestes, bref, à l'instar d'Elephant, un mal être profondément déstabilisant et nauséeux pour le spectateur confortablement installé dans son fauteuil rouge de cinéma. Gus Van Sant allant même jusqu'à déstructurer la bande-son pour que celle-ci ne soit pas toujours en rapport avec les images, sorte de tentative ultime à la compréhension de ce qui peut bien se passer à l'intérieur d'un cerveau complètement replié sur lui-même.

Last Days est donc sans aucun doute possible un film de Gus Van Sant qui s'inscrit dorénavant au sein d'un triptyque où l'on retrouve les mêmes interrogations. À l'instar de Gerry et d'Elephant, le réalisateur part d'une situation donnée connue de tous via les médias et tente d'y apporter des éléments nouveaux en usant de l'œoeuvre de fiction. Ici, il s'agit moins de savoir pourquoi il y a eu un suicide que d'essayer d'en démêler les actes qui ont amené à cette décision extrême. Dans Gerry deux hommes se perdent dans le désert et un seul en revient, il n'y a donc qu'une version des faits qu'il faut mettre à l'épreuve et dans Elephant c'est encore la question du « comment cela est-il arrivé » qui prédomine.

De cette recherche moins formaliste qu'il n'y paraît, on a le sentiment que le cinéaste est tout de même arrivé au bout du chemin et que dorénavant il va falloir tourner la page au risque de s'emmurer vers des expérimentations qui n'en seront plus. Déjà ici on sent poindre des petites habitudes, une once de redite et, ultime petit désagrément, un univers déjà fortement balisé. Reste que Last Days ne s'inscrit pas dans une consommation courante de cinéphage, que sa vision demande un véritable abandon de soi et une absolue confiance dans des règles qui en font un film résolument fait de chair et de sang. Et c'est encore avec ses tripes que Gus Van Sant touche plus que jamais à l'âme d'un cinéma en devenir : le sien.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire