Tropic : critique d'un coup de cœur alien

Geoffrey Crété | 27 juillet 2023 - MAJ : 02/08/2023 16:21
Geoffrey Crété | 27 juillet 2023 - MAJ : 02/08/2023 16:21

Tropic, c'est l'histoire de deux frères (incarnés par Pablo Cobo et Louis Peres) qui veulent devenir astronautes, de leur rencontre avec une météorite effrayante, et d'une transformation monstrueuse qui va changer leurs destins. Quelque part entre La Couleur tombée du ciel de Lovecraft et Bienvenue à Gattaca, Tropic est le premier film d'Edouard Salier, remarqué avec ses clips et courts-métrages ainsi que sur des séries (notamment La Révolution et Mortel sur Netflix). Et c'est un de nos coups de cœur de l'été. En salles le 2 août.

tonnerre sous le tropic

En quelques instants, l'affaire est quasiment pliée. Image, son, musique, écran titre : Tropic respire le cinéma par tous les pores. Dès sa première scène captivante et évocatrice, le film ouvre avec brio les portes de son petit monde faussement normal où aura lieu le drame venu du ciel.

Le décor : une école militaire de haut niveau, qui forme les futurs astronautes dans la moiteur de la Guyane. Les personnages : des jumeaux, Tristán le leader, et Lázaro le suiveur. Le problème : une chose alien tombée du ciel qui défigure Tristán, et le transforme en monstre. À partir de là, tout implose. La famille, la relation entre les jumeaux et leurs destins tournés vers les étoiles.

Edouard Salier, le réalisateur et co-scénariste (avec Mauricio Carrasco, qui est à l'origine du projet), a choisi un cadre purement cinématographique pour raconter cette histoire d'amour-lutte fraternelle entre jumeaux, qui s'emballe dès les premières minutes notamment grâce à un montage redoutable. Et quelque part entre le drame familial, la science-fiction (avec une touche body horror) et même le teen movie, Tropic trouve un étrange et fascinant chemin.

 

 

la peur tombée du ciel

Sous ses petits airs de faux film de genre français (ceux qui sont régulièrement attaqués, car pas assez "genre" et trop "auteur"), Tropic en impose déjà par la construction de son univers. C'est le résultat d'une somme de choix : placer son récit dans un décor exotique qui n'est jamais réduit à une carte postale, mélanger les langues parlées par les personnages (notamment au sein de la famille), ne pas préciser l'époque. Le territoire semble toujours un peu familier et un peu étranger, ce qui colle parfaitement avec la contamination de la météorite qui ronge le corps et rompt l'équilibre.

Le choix de tourner en 16mm prolonge ou plutôt incarne cet effet. Ce n'est pas (juste) un jargon de cinéphile-fétichiste catégorie 1 qui s'estomaque sur la technique : c'est une réalité organique à l'écran, avec du grain qui grouille dans les recoins noirs de l'image, qui habille les effets spéciaux et superbes maquillages, et donne encore plus la sensation d'un film hors du temps grâce à la photo de Mathieu Plainfossé. La scène de la rencontre aquatique du troisième type, avec un vert extraterrestre qui brille comme dans le téléfilm Tommyknockers, illustre bien ce savant équilibre.

 

Tropique : photo, Pablo CoboBlack Mirror, saison 1, 15 millions de mérites

 

Cerise sur le gâteau : la superbe musique de SebastiAn (de chez Ed Banger). Mi-rétro mi-mélancolique, elle habille le récit à merveille avec des mélodies entêtantes. Elle est là pour rendre les entraînements quasiment épiques, pour épouser la douce tristesse de certains instants de solitude, et pour accompagner les élans de violence où s'engouffrent les personnages au fil du cauchemar. C'est la bande originale idéale, qui donne une impulsion fantastique aux scènes, et donne immédiatement envie d'être écoutée les yeux fermés après le film.

Et quand ce n'est pas SebastiAn, c'est un morceau comme Desenfocao de Rauw Alejandro qui rajoute une couleur à l'expérience, dans une des plus belles scènes du film, loin des aliens et près du cœur.

 

Tropique : photoComme un poison dans l'eau

 

LE MASQUE DE FRère

Cet alien tombé du ciel est une couleur qui vient repeindre tout un petit monde, et en renverser les valeurs. D'un coup, le frère parfait et séducteur devient le monstre, et le plus fragile récupère le pouvoir sur le devant de la scène. Grâce à ce coup de pouce cosmique, Lázaro prend la place de son frère superstar Tristán, comme si cette étoile filante et infernale avait exaucé un vœu secret, inconscient.

Le scénario de Mauricio Carrasco et Edouard Salier ne tourne pas autour d'une simple rivalité, pure et dure. C'est là toute l'intelligence de l'écriture : raconter le trouble entre la complicité et l'affrontement, l'amour et la violence, l'admiration et la haine... et finalement soi-même et l'Autre. Ce n'est pas anodin si cette météorite tombe sur des jumeaux, littéralement l'incarnation du double.

 

Tropique : photoLes garçons sauvages

 

La très belle scène où Tristán et Lázaro parlent de sexe et de désir en est un parfait exemple. Le rapport au masculin et à la virilité (le corps, la beauté, la performance, la victoire) se joue autant entre les deux frères que sur la scène publique et impitoyable des entraînements. Le corps est un outil qu'il faut maîtriser, ou une barrière qu'il faut dépasser.

Tropic rappelle alors Bienvenue à Gattaca, qui s'attardait aussi sur la dualité de (faux) frères, une bataille contre son propre corps, et des rêves tournés vers les étoiles. Les deux films s'achèvent d'ailleurs quasiment de la même manière, une fois la Terre laissée derrière, avec tous ces cadavres, réels et métaphoriques.

 

Tropique : photo"It's Simple, We Kill the Batman"

 

C'est grâce à cette richesse thématique, cette ampleur visuelle et musicale, et le talent de l'acteur Pablo Cobo que Tropic tient la route malgré quelques errances. Avec notamment ce groupe d'élèves handicapés qui forment une jolie bande à part, finalement laissée de côté malgré leur charisme et l'étonnante énergie de teen movie qu'ils apportaient.

Avec 1h50 au compteur, Tropic prend le risque de traîner sur quelques passages, particulièrement sur la dernière ligne droite. Mais c'est aussi ça, la preuve de sa réussite : on en ressort avec beaucoup d'images, sons et sensations en bouche, et avec le sentiment d'avoir traversé une étrange et unique rêverie. Et c'est exactement ce qu'on peut attendre et espérer du cinéma.

 

Tropique : Affiche

Résumé

L'univers hors du temps, la dualité entre jumeaux, la chose alien tombée du ciel, la métamorphose cauchemardesque, la musique de SebastiAn : Tropic respire le cinéma par tous les pores. Et ça fait du bien.

Autre avis Mathieu Jaborska
Un premier long-métrage qui tire le meilleur de son approche minimaliste de la Couleur tombée du ciel et refuse de tomber dans le piège du film à thèse. Et qu'est-ce que c'est beau !
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commentaires
Benoit1976
03/12/2023 à 20:36

Bonsoir Morcar, je confirme que la bande-annonce rend plutôt bien compte de ce qu'est le film. C'est la bande-annonce qui m'a donné envie de voir ce film plus qu'aucun autre et mes espoirs n'ont pas été déçus. Le film est magnifique, singulier.

Ano
11/08/2023 à 00:11

Un film passionnant dans les thèmes qu’il abordé souvent avec justesse, et son ambiance particulière. Dommage que la fin nous impose des passages obligés du genre dont on se serait bien passé.

Kaplan
02/08/2023 à 16:09

Franchement, au regard de la bande-annonce, des critiques et des images glanées de ci de là, ça me tente bien ! De plus, nous avons en France un sacré problème avec les films de genre (une minorité est bonne mais une majorité est à oublier direct').
J'irai ce week-end !

Franken
28/07/2023 à 19:57

@Trashyboy2
………………….. "bande-annonce incompréhensible, rien n'expliquant le pourquoi d'une transformation soudaine."

Ne pas tout savoir d’un film avant de le voir, quelle plaie, hein !!!

Trashyboy2
28/07/2023 à 08:31

Effectivement, bande-annonce incompréhensible, rien n'expliquant le pourquoi d'une transformation soudaine.
Avec en plus le sentiment que des éléments clés de l'intrigue (et peut-être même la fin, avec une mort annoncée ?).
Néanmoins, l'ambiance est là, donc j'ai envie de croire qu'elle ne rend pas forcément justice à l'œuvre dans sa globalité.

Hasgarn
28/07/2023 à 07:34

Carrément d’accord avec Morcar.
La BA est belle et distille une ambiance mais j’ai eu l’impression de me retrouver devant un film d’ôteurrr un peu chiant. Rien à voir avec votre description.

Intriguant, toutefois

Kyle Reese
27/07/2023 à 23:26

Belle BA. Histoire ambitieuse et musique planante qui fonctionne bien. Je suis très surpris par l’utilisation du 16mm. Ça rend très bien du moins sur l’écran ma tablette.

Birdy l'inquisiteur
27/07/2023 à 16:03

@Rafe : il est bien connu que la fée Talent évite soigneusement de se pencher sur les berceaux français.

Étrangement pourtant,, les plus grands réalisateurs du monde portent le cinéma français en très haute estime.

Cidjay
27/07/2023 à 13:39

"Quelque part entre La Couleur tombée du ciel de Lovecraft et Bienvenue à Gattaca, Tropic est le premier film d'Edouard Salier"

C'est bon, vous me l'avez bien vendu. j'irai voir ça !

Franken
27/07/2023 à 12:46

Après les bandes-annonces qui pffff montrent tout le film y en a marre, voici celles qui n’en montrent pas assez alors ça donne pas envie…

Je trouve au contraire qu’elle sort du lot, d’abord par le travail sur l’image (et qu’est-ce que j’aime ce grain), sur les cadres et aussi, alors que je trouve le cinéma français complètement à la ramasse sur ce point, sur le son.
Intrigué.

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