Hokusai : critique du vieil homme et la vague

Déborah Lechner | 27 avril 2023
Déborah Lechner | 27 avril 2023

À force de la voir imprimée sur des totebags, des coques de téléphone ou des sweatshirts, tout le monde ou presque connaît La Grande Vague de Kanagawa, au même titre que La Joconde de De Vinci, Le Baiser de Klimt ou La Nuit Etoilée de Van Gogh. En revanche, tout le monde ne connaît pas forcément le contexte dans lequel s'inscrit l'oeuvre japonaise, sa signification, son mode de fabrication ou la vie de celui qui l'a créée. C'est tout l'objectif du film Hokusai, du nom de l'artiste (du moins un d'entre eux). Mais si la promesse était alléchante, cette ambitieuse fresque d'époque réalisée par Hajime Hashimoto a malheureusement pris l'eau. 

BI(O)GRAPHIE

Entre la tentation d'idéaliser son sujet ou de trahir la réalité pour embellir un scénario artificiel, l'impossibilité de condenser une vie entière en deux heures et le risque de coller à un cahier des charges trop contraignant, le biopic est un genre aussi casse-gueule qu'exigeant. S'il n'échappe pas à quelques impératifs, le film évite plusieurs écueils propres à l'exercice, à commencer par la caractérisation peu anoblie – et donc plus crédible – de l'artiste.

Dans sa note d'intention, le réalisateur a expliqué que même si Hokusai reste un maître incontesté, il ne voulait pas le dépeindre comme un être au-dessus du commun des mortels, mais comme un homme faillible et proche de ceux qui contemplent ses oeuvres. Ainsi, le jeune Hokusai est une personne mal aimable, envieuse et trop sûre d'elle qui se lance dans une quête d'excellence. Et son talent n'est pas là pour justifier son sale caractère ou ressasser le mythe d'un génie artistique légitimement excentrique et abusif.

 

Hokusai : photoPerformance ultra solide de l'acteur Yûya Yagira

 

Plutôt que de l'auréoler ou de lui conférer des dons innés, Hokusai construit progressivement la légende sous un jour plus défavorable, dans l'adversité et la jalousie face à d'autres artistes qui eux sont bel et bien présentés comme des avant-gardistes particulièrement doués. Le film met ainsi un certain temps à asseoir le génie et la sagesse du peintre qui, lui-même, ne se serait pas considéré comme bon avant ses 60 ans. Comme dans tout biopic, le scénario a dû faire des choix, et laisser de nombreux aspects de ses 89 années de vie de côté pour délester l'histoire. Peut-être même trop pour son propre bien.

En plus de ne pas assister à ses premiers coups de pinceau ou à l'éveil de sa passion, le récit survole, voire saute, plusieurs étapes de sa vie professionnelle et privée (mariage, échecs, formation de son école ou naissance de ses enfants). Et cela n'aide pas à créer une proximité avec le public ou à insuffler de la chaleur et de l'humanité au personnage. D'ailleurs, comme son oeuvre est très dense (on lui prête quelque 30 000 dessins) et qu'il n'a réalisé son chef-d'oeuvre testamentaire qu'à 70 ans passés, la narration forcément elliptique doit faire l'impasse sur plusieurs décennies. De fait, contrairement à la volonté du réalisateur, Hokusai reste une figure distante, difficilement sondable et donc peu attachante ou inspirante.

 

Hokusai : photoLe vieil homme et la mer 

 

AU-DELÀ DU BIOPIC 

S'il ne rend pas vraiment hommage à sa vie ni à son oeuvre phare qui occupe une place finalement minime dans le récit, Hokusai est un magnifique écrin qui cultive une esthétique picturale, la sublime affiche n'étant qu'un petit avant-goût du raffinement général du film. Plusieurs plans sont composés comme des tableaux et la caméra opte pour de nombreux plans fixes qui participent à l'aspect contemplatif, voire méditatif. La direction artistique est également à saluer, en particulier la recréation des quartiers populaires d'Edo, les tenues et chambres de Geisha et autres intérieurs exigus et feutrés.

Les jeux de lumière subliment l'ensemble et apportent des touches plus éthérées et lyriques. Le point d'orgue : cet instant suspendu, onirique, où le jeune et le vieux Hokusai travaillent ensemble à la réalisation d'une peinture, un acte de foi après le meurtre d'un vieil ami qui a voulu dépasser sa condition de samouraï en devenant écrivain. Le travail de création, s'il n'est pas vraiment étudié, a donc lui aussi une place importante à l'écran, avec de nombreuses scènes de dessins, de peintures et de fabrication d'estampes.

 

Hokusai : photoPortrait du vieil homme en nage 



Mais l'esthétique soignée ne parvient pas à détourner l'attention du scénario alambiqué, incompréhensiblement réduit à 1h30 pour la distribution en France. S'il ampute l'artiste d'une majeure partie de sa vie, le film veut rendre compte de ses relations avec d'autres artistes, mais surtout du contexte complexe dans lequel il s'inscrit. Et là encore, son format restreint l'empêche de pleinement développer ses thématiques sociales et politiques pourtant centrales.

L'intention est d'ailleurs limpide, le film s'ouvrant sur une descente et le saccage des locaux d'un éditeur jugé trop subversif par le pouvoir en place. Mais si certains éléments sont certainement des évidences parfaitement dispensables pour le public japonais (ou quelconque connaisseur de la culture nippone), ce n'est pas le cas pour un public moins renseigné qui aura sûrement plus de mal à comprendre les enjeux.

Les moeurs et courants artistiques de l'époque, les oppositions politiques, le shogunat ou l'importance des artistes cités n'étant pas creusés, voire à peine exposés, il est assez difficile de ne pas ressortir de la séance avec un sentiment d'inachevé et d'incompréhension désagréable. Ce manque de contexte fait d'Hokusai une oeuvre moins accessible qu'escomptée, qui s'adresse à un public de passionnés dont les connaissances pourront boucher les trous béants du scénario. Les non-initiés eux se contenteront de boire la tasse.

 

Hokusai : affiche

Résumé

Hokusai est un film beau et généreux sur la forme, mais trop incomplet et dépouillé dans le fond, alors même que la vie de l'artiste et l'époque à laquelle il a vécu semblaient être des terreaux plus que fertiles. À trop vouloir épurer son récit, le film l'a anémié. 

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Lecteurs

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commentaires
Toshi
11/05/2023 à 13:45

Ne pas oublier que la version mise en exploitation en salle a été amputée de 30 mins, ce qui peut expliquer certaines ellipses qui dans la seconde partie laissent un goût de trame un peu décousue.

didi
29/04/2023 à 13:15

vu, et c'est absence d'explication et d'introduction rapide dans ce japon autoritaire, qui permet de toucher du doigt cette culture dont on nous a enseigné que les clichés ! et nous permet d'apprécier cette lutte entre l'excellence de la reproduction et le mise en scène du mouvement dans l’œuvre d'Hokusai ! 1h30 c'est suffisant pour ressentir l 'intime de la violence jouissive de l'acte de peinture ! Très beau film mais ce n'est pas une explication de choses! C'est une reconnaissance d'un art et de ces artistes,et de la culture dont on nous a nous occidentaux enseigné que la vision racisée et primaire, pour nous faire penser que nous étions seul maitre du monde en tout !

Ano
28/04/2023 à 02:22

N’ayant pas vu la version rabotée du film, j’ai du mal à comprendre ce charcutage. Le film se tenait très bien, c’est pas comme si une durée de 2h était insoutenable.

Luci1
27/04/2023 à 18:45

Vu hier ... C'est vrai que le film est bien court et assez peu explicatif. Certains aspects restent un peu mystérieux et l'ellipse de presque 50 ans ne facilite pas les choses. Mais quelle beauté ! Quelle grâce ! Les images sont magnifiques et le rythme envoutant. Et après tout il est assez plaisant de devoir se creuser un peu les méninges pour une fois. Ce film est l'opposé des productions occidentales où tout est expliqué et souligné à la truelle pour être sûr qu'on a bien compris. Ici le réalisateur parie sur la culture et sur l'intelligence de son public. Finalement c'est plutôt flatteur et stimulant. Je regarderai la version longue dès que possible !

Pierre_Oh
27/04/2023 à 13:58

Je voulais aller le voir à la base, mais pour les remercier du charcutage incroyable d'une heure de film par rapport à la version originale ils iront se faire voir. Je regarderai la vraie version intégrale lorsque j'en aurai l'occasion mais je n'ai pas envie de soutenir un procédé qui m'excède à ce point. J'espère que ce sera un four.

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