Nanny : critique d'un Get out du ghetto sur Amazon

Ange Beuque | 20 décembre 2022 - MAJ : 20/12/2022 17:15
Ange Beuque | 20 décembre 2022 - MAJ : 20/12/2022 17:15

Paranormal Activity, American Nightmare, Insidious... Difficile d'être passé à côté de ces phénomènes horrifiques estampillés Blumhouse Productions, dont la renommée tient beaucoup à ces films alliant concept solide et budget limité. Lorsqu'elle n'est pas occupée à décliner ses licences ad nauseam, la société fondée par Jason Blum finance divers projets en espérant dégotter la prochaine pépite. Avec Nanny, elle mise sur la réalisatrice afro-américaine Nikyatu Jusu, qui met Anna Diop (Us, Titans) au service de Michelle Monaghan et dont l'asphyxie au coeur d'un présumé rêve américain est à suivre sur Amazon Prime Video.

Petit budget pour grandes ambitions sociales

Avec Nanny, Blumhouse semble courir après la combinaison gagnante de Get Out, qui compte parmi ses plus retentissantes productions récentes. Le parallèle entre le bijou de Jordan Peele et le film de Jusu, qui a décroché le grand prix du Jury de Sundance, est inévitable, avec sa réalisatrice et sa principale actrice noires, son aspiration horrifique et son surnaturel comme exhausteur de problèmes sociaux bien réels. Anna Diop a d'ailleurs joué dans Us, si bien que lorsque son personnage s'entend dire "you need to get out", on ne peut qu'esquisser un sourire.

Une sans-papier sénégalaise désargentée, qui se retrouve à travailler pour une famille aisée de l'Upper East Side de New York, constitue une glaise idéale pour façonner une réflexion incisive sur les injustices raciales et sociétales. L'ascendance sierra-léonaise de Jusu lui offre toute légitimité pour la mener, d'autant que Nanny semble prolonger plusieurs des courts-métrages qui l'ont fait connaître, articulés autour de femmes noires immigrées.

 

Nanny : Anna Diop, Rose DeckerI'm crazy like a fool, Nanny, Nanny cool

 

C'est sur le quotidien d'Aisha que s'ouvre le film, avec son foyer rudimentaire, sa salle de bain attenante et sa confrontation avec sa logeuse sur fond de retard de paiement. S'ensuit la rencontre avec son employeuse (Michelle Monaghan, qui a déjà donné récemment dans l'horreur modeste avec The Craft - Les nouvelles sorcières) dont la cordialité mêlée de condescendance rappelle l’œuvre séminale de Jordan Peele.

L'indélicatesse des tableaux représentant des Africains en souffrance ou le rôle de la langue française comme rappel discret de la colonisation alimentent cette problématique. En se retrouvant aux ordres d'une blanche, Aisha renvoie à son corps défendant à des mécanismes de domination ancestraux, d'autant que son employeuse exerce un contrôle étouffant : la liste d'instructions plus longue qu'un sanglot français après une séance de tirs au but, les caméras...

De même, que l'héroïne ait été institutrice au Sénégal témoigne du déclassement professionnel découlant de sa migration, tout en plaçant au coeur du film la question de la transmission empêchée... sinon celle des inégalités, aisément reproductibles.

 

Nanny : Anna Diop, Sinqua WallsSénégalitaire

 

Nanny McFlippe

Des insectes, des reflets facétieux, des doubles baignés d'une inquiétante étrangeté, des hallucinations, des problèmes de plomberie... Nanny alimente son versant horrifique par une porosité au surnaturel sans grande originalité. Qu'il s'agisse si souvent de moments articulés à la lisière de la réalité et du songe n'aide pas à les rendre indispensables.

À moins qu'une apparition fugace sur fond de musique dissonante suffise à vous terrifier, le visionnage de Nanny devrait laisser votre pouls au repos tant sa grammaire est primaire. Candyman, qui avait également mixé avec brio horreur et précarité, se montrait mille fois plus viscéral.

 

Nanny : Michelle MonaghanMission : babysitting impossible

 

Certes, ces visions gagnent logiquement en intensité au fil du long-métrage, offrant quelques plans plus percutants avec son araignée tapie dans l'ombre et ses scènes aquatiques magnifiquement photographiées. Il faut attendre un cauchemar en piscine à mi-parcours, qui se voit enfin accorder le temps et l'ampleur nécessaire, pour que le trouble s'instille.

Hélas, ces séquences restent trop dispersées pour captiver, et même leur touche de mysticisme africain (Mami Wata, Anansi) ne suffit pas à les distinguer du tout-venant. On comprend finalement qu'elles servent davantage à illustrer l'état psychologique de son héroïne qu'à impressionner le chaland, et qu'il s'agit moins de menaces que de présages. Reste que le spectateur par l'appât du frisson alléché risque d'avoir décroché avant de s'être immergé dans ce réseau de sens.

 

Nanny : Anna DiopAisha, Aisha, écoute-moi

 

Portrait d'une femme entre deux eaux

Une fois délesté de ses oripeaux presque contre-productifs, Nanny révèle sa véritable nature : il s'agit moins d'un film d'horreur que d'un drame perclus de plans angoissants. Son sujet n'en prend que plus de force, avec son héroïne qui se débat pour surnager. Ne pouvant s'autoriser le moindre signe de vulnérabilité, elle n'a d'autre choix que de lutter de toutes ses forces, osant réclamer ses gages et mordre la lèvre indélicate... jusqu'à s'épuiser.

Au regard de ses employeurs, qui multiplient les microagressions en ne respectant ni ses limites ni ses horaires, les irruptions surnaturelles paraissent presque secondaires, sinon qu'elles nourrissent la symbolique de son égarement. Aucune n'est suffisamment novatrice pour frapper puissamment l'imaginaire, mais, à défaut de subtilité, l'allégorie reste pertinente. L'omniprésence du motif aqueux, outre qu'il renvoie à des conditions de vie proches de l'insalubrité, traduit une ambivalence : on ignore si le récit chemine vers un baptême émancipateur ou une noyade.

 

Nanny : Anna DiopQuand la petite sirène noire n'a pas suffisamment énervé les haters

 

Nanny est surtout le drame d'une maternité suspendue : qu'Aisha doive s'occuper de l'enfant d'une autre en attendant, faute de liquidités, de pouvoir rapatrier le sien constitue un évident crève-cœur, qui génère de surcroît un faisceau de jalousies croisées. Appels sporadiques, réseau capricieux et berceuse à contretemps pilonnent son calvaire d'une impossibilité perpétuelle.

Dommage que la greffe entre les différentes composantes du film ne soit pas plus homogène. Certaines pistes sont trop rapidement évacuées (le rapprochement avec son employeuse confinant à l’ambiguïté saphique). Quant aux nombreuses scènes dédiées aux interactions d'Aisha au-delà de son rôle de nounou, si elles confirment le réel centre de gravité de Nanny, elles manquent d'éclat et diluent la tension davantage qu'elles ne permettent de renforcer l'empathie.

Nanny est disponible sur Amazon Prime Video depuis le 16 décembre 2022

 

Nanny : Affiche

Résumé

Le drame qui touche Nanny prend le pas sur l'effroi, au risque de déconcerter ceux qui aspiraient à un petit trip horrifique estampillé Blumhouse. En découle un film déséquilibré et frustrant, bien qu'il se déploie autour d'une tragédie sociétale et familiale poignante.

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commentaires
lolo86
20/12/2022 à 18:53

C'est long, c'est chiant un scénar plat comme les acteurs! On s’ennuie à mourir!

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