Sweat : critique qui ne prend pas un (insta)gramme

Matthias Mertz | 15 juin 2022
Matthias Mertz | 15 juin 2022

Le projet de Sweat, de Magnus von Horn, pourrait sembler Black mirroresque. Le film, décrit comme une comédie dramatique réaliste, s'emploie à montrer la fracture entre Sylwia, l'influenceuse fitness aux nombreux abonnés sur les réseaux sociaux, et Sylwia, la jeune femme en proie à la solitude loin des écrans. Ce film, tout entier tourné vers son héroïne, propose à Magdalena Koleśnik son premier rôle principal. La jeune femme mérite-t-elle notre pouce bleu ?

Juju inSHAPE

En apparence, tout sourit à la jeune Sylwia, incarnée par Magdalena Kolesnik. La jeune influenceuse fitness, fort de ses 600 000 abonnés sur les réseaux sociaux, s'est bâti un quotidien confortable entre passages à la télévision, partenariats rémunérés ou cadeaux de ses fans. Pourtant, la pression constante de son activité la pousse désormais à exprimer son malêtre et sa solitude sur les réseaux qui ont bâti son statut, au grand dam de ses sponsors.

Sweat est entièrement bâti autour de son personnage principal, Sylwia. Pensé comme un presque documentaire, aucune séquence ne la voit quitter le champ, Sweat vit ou meurt donc par son actrice principale qui, pour son premier rôle principal, est stellaire bien qu'elle ne soit pas coutumière de la salle de sport ou des réseaux sociaux.

D'abord, elle nous apparaît sous les traits d'une presque trentenaire énergique, arborant systématiquement un sourire commercial de circonstance, jamais sincère. Dans son intimité, on découvre une jeune femme vulnérable dont la célébrité et le confort matériel n'apaisent pas la solitude. Magdalena Kolesnik parvient à servir les deux visages de l'influenceuse fitness avec brio, et c'est l'enjeu premier du film, qu'on pourrait rapprocher en ce sens de certains biopics.

 

Sweat : photo Magdalena KoleśnikN'oubliez pas de suivre Ecran Large sur les réseaux sociaux ! #ad

 

Imaginez un Rocketman où l'interprète d'Elton John vous semble fadasse, c'est le risque que le film courait. Heureusement, il n'en est rien, et la crédibilité de cette Barbie à la pensée positive remise en question par les limites de son exhibitionnisme émotionnel apparaît aussi solide que ses tablettes de chocolat.

Pour soutenir le personnage de Sylwia, Magnus von Horn a pensé toute sa mise en scène autour d'elle. Le point de vue est subjectif, réaliste, et il se concentre sur trois journées dans la vie de son héroïne. Le cinéaste a ainsi abandonné ses habitudes de story-board pour enregistrer de longues séquences sans s'interrompre, afin de livrer son quotidien (jusqu'aux trajets dans sa voiture de cadre dynamique, ou aux repas liquides protéinés que prend la jeune femme).

La caméra suit en permanence la jeune femme, à de rares exceptions subtilement mises en scène et à sa demande (lorsqu'elle se change, par exemple), elle agit comme un miroir de son état psychique. Ainsi, lors de ses performances sportives (où elle est une véritable gourou d'une pensée positive finement marketée), on observe le visage, mais aussi le corps de Sylwia durant de très gros plans gigotant, sans steadycam. 

 

Sweat : photo, Magdalena KoleśnikMagdalena Kolesnik est-elle crédible en coach sportive ? Mille fois oui 

 

Cela permet de montrer le mouvement, l'énergie de la coach sportive, mais aussi les regards des spectateurs sur son corps. Au contraire, Sweat propose de nombreux plans d'ensemble pour perdre la jeune femme dans des contextes de malaise pour cette dernière, à l'instar d'une visite de famille qui ne se passe pas comme prévu.

La bande-son obéit au même principe de mise en scène, et une dichotomie agréable se forme. Durant les performances et les moments de célébrité intenses de Sylwia, le spectateur est inondé de musique pop couvrant parfois les voix, tandis que dans des contextes plus intimes, la bande-son se fait beaucoup plus discrète pour permettre à Sylwia de se plonger dans cet exercice difficile qu'est le dialogue (lorsqu'il n'est pas réalisé face à un écran).

 

Sweat : photo Magdalena KoleśnikQuand tu dis à la rédaction que t'as un petit faible pour les réalisateurs scandinaves

 

ça fait réfléchir

 Plus de dix ans après l'arrivée de cadors du genre à l'instar de Black Mirror, il semblait difficile de parvenir à nous faire réfléchir sur la place des réseaux sociaux dans notre processus de sociabilisation. Le risque était donc d'aboutir à un film convenu, racontant la réalité désormais évidente qu'avoir une persona très suivie sur les réseaux n'est en rien la garantie d'un épanouissement quelconque. Heureusement, Sweat parvient à déjouer ce piège en réalisant une tout autre ambition.

Il ne s'agit pas d'un rise & fall dans lequel on assiste à la chute d'une icône. Le film n'a pas l'ambition de livrer un message moralisateur en faisant chuter Sylwia comme si elle était l'Icare du fitness sur Instagram. Sweat choisit d'ailleurs de décrire le quotidien d'une célébrité plutôt modeste, qui se produit dans des centres commerciaux en Pologne et pour qui un passage à la télévision locale est une occasion rare, afin de livrer les tenants et les aboutissants d'une relation aussi complexe que toxique, mais aussi de la libération qu'il est possible d'opérer pour embrasser sa vulnérabilité.

 

Sweat : photo Magdalena KoleśnikSylwia espère contrôler son image objectifiée dans un troisième acte cathartique

 

Au contraire, la volonté du récit est de tracer des parallèles, de montrer les co-dépendances entre Sylwia et son audience, mais aussi l'objectification que la jeune femme subit. Face aux hommes, elle est évidemment un trophée, une représentation de féminité traditionnelle, un idéal plastique, mais elle est aussi objectifiée par les femmes, qui commentent son corps comme s'il s'agissait d'un produit, affirmant vouloir avoir ses cheveux, ses yeux ou ses fesses.

Dans l'une des meilleures séquences, le récit montre Sylwia partager un café avec une connaissance qu'elle avait perdue de vue. Si cette dernière s'épanche sur ses malheurs, elle coupe net la discussion avec la coach sportive lorsque celle-ci parvient enfin à se livrer pour demander un selfie. Ce passage permet de montrer une autre version de l'objectification subie par la jeune femme. Hors de son rôle de coach de vie survitaminée, personne ne veut l'entendre lorsqu'elle est à son tour pathétique ou misérable.

 

Sweat : photo Magdalena KoleśnikEn s'enfonçant dans son quotidien, Sweat parvient à rendre le récit humain et bienveillant

 

Sweat parvient ainsi à dégager une humanité rare et à déjouer les pronostics de son spectateur, a fortiori dans un troisième acte dans qui flirte avec le thriller, et prend des risques pour décrire une relation étrange et mutique. Il se joue des attentes des spectateurs, anticipant un dénouement tragique aux péripéties de la jeune femme, et parvient à imposer avec puissance sa conclusion, comme un manifeste d'humanité en réponse à l'injonction moderne d'être sportif, bien dans sa peau, le meilleur soi possible donc.

Et si notre rapport complexe à l'écran et à la sociabilisation qui en découle n'a rien de nouveau, le film parvient en ce sens à rester brûlant d'actualité.

 

Sweat : affiche

Résumé

Sweat est un récit intimiste, rigoureux, surprenant. Loin de vouloir donner des leçons de société, il adopte une forme quasi-documentaire pour injecter de l'humanité (parfois de façon surprenante, à l'image de son troisième acte) dans le rapport complexe d'une Magdalena Kolesnik stellaire à son audience.

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