Agora : Alejandro Amenabar évoque le film avec Rachel Weisz

Pierre-Loup Docteur | 4 janvier 2010
Pierre-Loup Docteur | 4 janvier 2010

Venu présenté Agora en octobre dernier au Cine Med, festival situé à Montpellier qui  met en avant le cinéma  méditerranéen sous toutes ses formes, Alejandro Amenabar, en compagnie de son producteur, Simon de Santiago, a donné une conférence de presse où se trouvaient de très nombreux étudiants. En voici les meilleurs moments.

 

 

Vous avez approché différents genres, dont le thriller ou le fantastique. Avec lequel êtes-vous le plus à l'aise ?

Alejandro Amenabar : En tant que spectateur, j'apprécie tous les genres, mais c'est vrai que je suis plutôt attiré par le cinéma fantastique et les thrillers.

 

Pensez-vous réaliser une comédie dans les prochaines années ?

Alejandro Amenabar : Je ne me vois pas du tout faire une comédie. Pas parce que je n'aime pas les comédies mais parce que je ne me sentirai pas à l'aise avec ce genre.

En ce moment, j'ai quelques idées en tête pour mon prochain film, mais j'ai besoin de me débarrasser de ce que je viens de faire avant de passer à autre chose.

 

Pourriez-vous réaliser un film que vous n'auriez pas écrit ?

Alejandro Amenabar : Oui, si quelqu'un me propose un scénario qui me plairait davantage que celui que j'ai déjà dans la tête... J'aimerais bien tomber sur un scénario qui me plaise, avec lequel je me sente à l'aise et qui ne nécessite pas d'être retravaillé. Mais je reçois des dizaines de scénarios depuis des années, et ma priorité reste toujours de tourner ce que j'ai écrit moi-même...

 

Quelle place occupe Agora dans votre filmographie ?

Alejandro Amenabar : C'est mon film le plus ambitieux, du point de vue de la production mais aussi d'un point de vue intellectuel. Après Mar Adentro, j'hésitais entre réaliser un film d'aventures très enfantin ou ce film-là, et je me suis dit que si je devais mourir demain, je préférais avoir tourné Agora.

 

 

Votre film est très dense. N'est-il pas même un peu élitiste ?

Alejandro Amenabar : J'essaye toujours de faire des films sur des sujets qui m'intéressent. Cette fois-ci je voulais travailler sur l'astronomie, et à partir de là j'ai tenté de trouver la forme la plus appropriée pour que le film soit porteur d'un message mais qu'en même temps il reste accessible au public. Mais je suis conscient que, de tous mes films, Agora est celui qui défie le plus le spectateur.

 

Agora est un film qui incite à réfléchir et met le passé en relation avec le monde d'aujourd'hui. Que pensez-vous du monde actuel : a-t-il a progressé ou régressé ?

Alejandro Amenabar : Avec Agora, Je voulais montrer que l'on avance par à-coups : il y a des périodes où l'on progresse et d'autres où l'on régresse. Mais, quoi qu'il en soit, il est évident que l'on avance et, comme je suis quelqu'un d'optimiste, je pense que l'on va vers quelque chose de meilleur.

 

Avez-vous été inspiré par la série Rome ?

Alejandro Amenabar : C'est une excellente série, mais elle n'a pas été une référence pour Agora. Je me suis davantage intéressé aux péplums des années 1950 et 1960, tout en essayant d'oublier toutes ces références cinématographiques au moment du tournage.

 

Quelles ont été vos influences ?

Alejandro Amenabar : Quand on pense à un film se déroulant à cette époque, on pense à des héros, avec des épées, mais je voulais montrer une autre violence, qui est très sale et très moche. Les véritables héros de mon film ne sont pas ceux qui utilisent leurs armes mais leur tête. Je n'ai pas voulu utiliser des ralentis comme dans 300 mais plutôt des mouvements de caméra rapides... J'ai également utilisé des plongées, pour montrer que nous ne sommes que de minuscules fourmis.

D'ailleurs, il y a un changement permanent des points de vue dans le film : il y a une vision de haut qui nous montre à quel point nous somme petits. Ce serait le point de vue d'un éventuel extra-terrestre qui nous regarderait. Et il y a en même temps un regard intime qui correspond au point de vue d'Hypathie, et qui nous montre à quel point même en étant petit on peut être grands par la connaissance. Et après il y a aussi le regard historique.

 

 

Comment avez-vous géré la production de ce film, qui est très ambitieux au niveau des décors, des costumes...

Simon de Santiago : Quand Alejandro est arrivé avec le scénario, c'était un énorme défi pour tout le monde, mais je n'ai pas hésité une seconde à faire ce film, car on ne se retrouve pas tous les jours avec un tel projet. Ce fut une grande expérience, et tout s'est passé très bien même si ça semblait compliqué au début. Le seul enjeu était la taille du projet, qui a impliqué de travailler avec des décors plus grands, des équipes plus nombreuses, des figurants, une multitude de costumes... On a eu de la chance de trouver des financements pour le film, ce qui n'était pas facile. C'est un film qu'on a réussi à financer avant la crise économique. Aujourd'hui, il serait impossible à faire.

 

Où avez-vous tourné le film ?

Simon de Santiago : Agora a été tourné entièrement à Malte, où nous avons construit la plupart des décors, dont la bibliothèque... C'était très impressionnant et cela donne au film un côté très naturel qu'on ne trouve pas dans tous les films aujourd'hui, où le numérique s'impose des fois un peu trop...

 

 

Combien de temps avez-vous mis pour tourner le film ?

Alejandro Amenabar : Le tournage a duré quinze semaines, mais il a fallu quatre ans pour concevoir le projet !

 

Qu'est ce que ce film vous a apporté durant les quatre ans pendant lesquels vous l'avez préparé ?

Alejandro Amenabar : En tant qu'écrivain, c'est le film duquel j'ai le plus appris. Désormais, je sais ce qu'est la relativité, je sais qu'il y a deux théories de la relativité, et deux bibliothèques et pas une...

 

Comment avez-vous vécu l'accueil plutôt mitigé d'Agora au Festival de Cannes ? Est-ce les critiques à l'encontre du film qui vous ont incité à couper des séquences ?

Alejandro Amenabar : Je ne me suis pas senti particulièrement mal traité à Cannes. C'était la première fois que j'y présentais un film, et ça a été une expérience extraordinaire. J'ai coupé quinze minutes car lorsqu'il a été présenté à Cannes, le film était monté, mais un peu rapidement... J'ai décidé de faire quelques retouches car entre Cannes et la sortie en salles j'ai eu beaucoup de temps. Je n'aime pas laisser l'œuvre comme ça, j'aime bien la peaufiner jusqu'au dernier moment.

 

 

Chaque personnage est confronté à des dilemmes existentiels. Vous identifiez-vous à chacun d'entre eux ?

Alejandro Amenabar : En tant que scénariste, j'estime que je me devais de trouver une ressemblance entre chaque personnage et moi-même. Je m'identifie plutôt à Hypathie pour sa curiosité, mais je serai incapable de développer une théorie sur l'univers. Avec Mateo Gil, quand on écrivait le scénario, on s'est demandé de quel côté aurions-nous été si nous avions vécu à cette époque. Aurions-nous été amenés à tuer quelqu'un, l'aurait-on fait ? C'est ce qui arrive à certains personnages : des situations les poussent à se poser la question.

 

Quel a été le facteur déterminant dans le choix des acteurs ?

Alejandro Amenabar : Il y a des portraits heureusement, portraits égyptiens réalisés entre le Ier au Vème siècle, et le niveau de réalisme de ces portraits est assez impressionnant. C'est comme si on avait trouvé des photos prises il y a 2000 ans.

Ces portraits ont eu une grande influence lors du choix du casting : nous avons essayés de prendre des visages similaires, pour les acteurs principaux mais aussi pour les figurants. Dans le cas de la bibliothèque, parmi les acteurs anglo-saxons, on a essayé de trouver ceux qui avaient des traits méditerranéens.

 

Pourquoi avoir choisi Rachel Weisz ?

Pour plusieurs rasions : son talent, sa beauté, ses traits méditerranéens, son intelligence... Et puis surtout car c'est quelqu'un qui pouvait comprendre tout le raisonnement intellectuel du personnage...

 

Pourquoi avoir choisi Michael Lonsdale ?

Alejandro Amenabar : Parce qu'il a le profil de l'intellectuel. Il fallait que juste en le regardant on se dise : c'est lui qui instruit Hypathie.

                                      

 

Pourquoi avoir tourné le film en anglais ?

Alejandro Amenabar : Il y avait deux possibilités. Choisir l'anglais pour des raisons économiques et esthétiques, ou tourner dans les langues originales, soit le copte, le latin et le grec. Mais cela aurait été terriblement difficile pour les acteurs, et j'ai donc décidé de tourner en anglais, c'était plus facile à gérer. Et puis Umberto Eco appelle l'anglais le « latin du XXème siècle »...

 

Les différents accents anglais accentuent aux différences au sein de l'agora...

Alejandro Amenabar : C'est vrai... On a essayé de fuir le « euro-pudding » : on a pris des acteurs britanniques et des acteurs du Moyen-Orient. Je ne voulais pas avoir un français, un italien un espagnol : c'était vraiment le monde anglo-saxon et le monde du Moyen-Orient qui m'intéressaient.

 

Les costumes reflètent aussi des différences entre les différents groupes de personnages...

Alejandro Amenabar : Absolument. La dessinatrice des costumes Gabriella Pescucci a proposé des différences de couleurs afin que l'on puisse identifier les différents groupes : les chrétiens et juifs ont des costumes de couleurs plutôt sombres, les païens sont habillés avec des vêtements plus clairs, et Hypathie symbolise le soleil. On a voulu opposer l'obscurité à la lumière. Mais, en même temps, les costumes s'ajustent beaucoup aux costumes de l'époque. Le noir, le sombre est une couleur très propre au christianisme.

 

 

Agora est-il une critique du christianisme ?

Alejandro Amenabar : Non, dans le film il y a parmi les acteurs et l'équipe des chrétiens palestiniens juifs musulmans... On travaillait tous pour la même chose. Le film n'est pas anti chrétien. Les païens produisent la première attaque, après les chrétiens détruisent la bibliothèque, les juifs piègent les chrétiens, les chrétiens tuent Hypathie... Il y a toujours un moment où un des groupes de religion décide d'utiliser la violence, c'est ce que le film dénonce : des gens prêts à tuer pour défendre leurs idées.

 

Que représentait le christianisme à cette époque ?

Alejandro Amenabar : A cette époque, le christianisme portait un message très attrayant, surtout pour la foule. L'idée de piété et de charité plaisait à tout le monde. Aujourd'hui, le christianisme est devenu ce que le paganisme était à cette époque : j'ai traité le paganisme comme ce qu'est aujourd'hui le christianisme, c'est-à-dire une religion décadente.

 

Quel regard portez-vous sur Davus, esclave partagé entre son amour pour Hypathie et la possibilité d'être affranchi en rejoignant les Chrétiens ?

Alejandro Amenabar : C'est un personnage que je comprends très bien, même avec ses changements d'avis imprévisibles. Il sait que sa condition d'esclave l'empêche d'être l'élève d'Hypathie, mais il sait aussi que, sans cela, il pourrait l'être. Il est amoureux d'elle et elle ne le verra jamais comme une personne normale... Par conséquent, il cherche sa place dans le seul groupe qui peut le regarder comme quelqu'un... et ce sont les chrétiens. Mais il va découvrir que son cercle est proche de l'extrémisme. C'est un personnage qui cherche toujours sa place, qui ne se plait jamais où il est...

 

 

 

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commentaires
gustav Wallas
29/03/2018 à 10:11

ai vus ce film Agora pour des raisons professionnel, chef décorateur de cinema auparavant television et cinema, en ai observe le travail les aménagements décors constructions éléments mises en places accessoires ainsi que les mises en scènes et mouvements de camera cadre etc, après mon premier film en tant que réalisateur bien que ne créant pas de tel importances de constructions et de matériel, j'ai été surpris par le survol trop simple des personnages de leurs propos échanges alors parfois theatral pourtant bien joué, sur un sujet culturellement encore actuel, film de spectacle et non d'aventure
JJM