S. Yeatman-Eiffel (Oban star-racers)

Jean-Noël Nicolau | 20 novembre 2006
Jean-Noël Nicolau | 20 novembre 2006

En écoutant parler Savin Yeatman-Eiffel, créateur, auteur, producteur, véritable démiurge de Oban star-racers, on comprend rapidement qu'il est un vrai passionné. Intarissable sur la création de sa série mais aussi sur l'animation japonaise en général, la discussion fut un plaisir de plus de deux heures. Impossible de tout retranscrire, mais de sa passion pour Candy aux difficultés de monter un projet d'animation original, Savin Yeatman-Eiffel parvient sans mal à convaincre de sa sincérité et de l'impressionnante somme de travail qu'il a déployée dans la genèse d'Oban.
Oban star-racers est un projet que vous avez débuté il y a presque 10 ans, pourriez-vous nous parler de cette aventure ?
Les prémices datent de 1996, mais le concept a vraiment pris forme en 1997. Pour comprendre d'où est venu le déclic, il faut évoquer un peu mon parcours. J'ai suivi des cours dans deux écoles de cinéma très différentes, d'abord en Angleterre puis à la FEMIS en France. La FEMIS a rapidement commencé à me gonfler un peu - tout y était trop cadré. J'ai cherché à travailler en parallèle à l'extérieur et un de mes projets perso a attiré l'attention de Gaumont Multimédia qui m'a offert une place de directeur d'écriture/scénariste sur leurs séries d'animations. La boîte commençait, ça m'a semblé une bonne expérience. J'y ai travaillé finalement 3 ans et demi.

C'est à partir de ce moment que vous développez vos propres projets?
Bosser pour Gaumont m'a rappelé que j'avais toujours adoré l'animation japonaise. J'ai été complètement secoué quand j'étais môme par Albator, ou par Conan le fils du futur. Tout y était impressionnant, le découpage, la portée émotionnelle, les relations entre les personnages. C'était une vraie révolution pour ma génération.
A la fin des années 80, les politiciens se sont réveillés et ont fait un mauvais procès à la japanim', oubliant un peu vite que toutes les adaptations des grands classiques occidentaux (Sans Famille, Nils Olgerson, Tom Sawyer, Maya, etc…) étaient eux aussi réalisés par les Japonais. Apres ça, l'animation japonaise a quasiment disparu des écrans. J'ai continué à en voir beaucoup malgré tout, qu'un ami ramenait enregistrée directement au Japon sur VHS sans sous-titres. Et puis il a eu bien sûr le choc Akira au début des années 90, suivi par les sorties en salle des premiers Miyazaki.
En télévision, il restait toujours un gros vide. Les projets d'animations en Europe manquent souvent d'ambition mais aussi cruellement d'émotion. Il y a un blocage de la part des chaînes de TV. Pour ne pas prendre de risque, on préfère se contenter du plus petit dénominateur commun. La sous-traitance de l'animation en Asie à des milliers de kilomètres n'arrange rien.
Je commençais à avoir fait le tour de ce qu'on pouvait faire en France et je voulais passer à quelque chose qui en vaille vraiment la peine - ou alors arrêter définitivement l'animation.

Oban Star-Racers était donc le sujet idéal ?
C'est un projet simple à comprendre dans ses bases – une compétition intergalactique - mais dont le fond se révèle plus complexe, plus émotionnel. Je voulais aussi produire la série en bossant directement avec les Japonais, par pour copier bêtement leur style, mais pour bénéficier de leur immense savoir-faire.
J'ai commencé par former autour de moi une équipe de petits jeunes prometteurs et aussi passionnés que moi. Thomas Romain, qui est devenu un collaborateur-clé du projet (futur chef perso et co-réalisateur de la série), faisait encore des études d'ingénieur quand je l'ai rencontré, il n'avait à priori pas particulièrement le profil pour bosser sur un tel projet.
Nous nous retrouvions au bar des Sources à 6 ou 7 toutes les semaines et avons commencé à étoffer l'univers graphique en brainstorming, par petites touches successives.

Le financement du projet a t il été difficile ?
Très difficile. Personne n'en voulait. Les choix artistiques et l'influence japonaise revendiquée faisaient peur. J'ai finit par créé ma propre petite boîte d'animation (dans mon une pièce) Sav ! The World Productions, pour convaincre les investisseurs par notre travail. Ce qui a quand même pris 6 ans au final !

Avant Oban, il y a une sorte de pilote avec le court-métrage en 3D « Molly star racer ».
En 2001, on est passe à la vitesse supérieure sur Oban et on a produit en quelques mois un pilote de quelques minutes majoritairement en 3D. Ce court a été très bien reçu sur le marché, dans les festivals et en particulier sur Internet. Cela a éveillé l'intérêt des chaînes, sans pour autant vraiment faciliter les choses, au moins à court terme. Une grosse chaîne américaine voulait que la série soit livrée dans les 8 mois… Un gros producteur français voulait tout racheter et reprendre la série à son compte… Un autre gros partenaire canadien exigeait que Molly devienne un garçon… C'était un choix difficile, mais j'ai refusé de lâcher du lest sur l'intégrité du projet. Je tenais en particulier à ce que le personnage principal reste une héroïne - un personnage sensible, pas un héros ou un petit soldat « à la G.I. Joe ».

Comment s'est déroulée la production de la série en elle-même ?
J'ai fini peu a peu par trouver et convaincre nos partenaires actuels, mais le processus fut très long, particulièrement avec les boîtes japonaises. En décembre 2003, 6 ans après la création du projet, nous sommes finalement tous partis au Japon pour travailler là-bas sur Oban pendant presque 3 ans. J'ai bossé 6 jours par semaine, à raison de 13 ou 14h par jour, quand ce n'etait pas du 7 jours sur 7, une véritable overdose de travail (rires). Mais je ne vais pas m'en plaindre – c'était un petit prix à payer pour réaliser notre rêve.
La relation entre équipes françaises et japonaises a été difficile à mettre en place, surtout au début. Il a fallu se battre pour garder le contrôle du projet, sans pour autant gâcher l'esprit de collaboration que je cherchais à mettre en place. Il y a eu quelques gros conflits, avant d'arriver à un vrai respect mutuel. C'est vrai que c'était un peu un grand saut dans l'inconnu : c'est la première fois qu'une équipe artistique occidentale vient travailler directement au Japon d'une manière aussi poussée, et la première fois qu'un studio japonais investit autant en amont dans un projet non-japonais.

Comment avez-vous obtenu la collaboration musicale de Yoko Kanno (compositrice culte du monde de l'animation), ainsi que celle de Taku Iwasaki ?
Ca a toujours été mon rêve de travailler avec Yoko Kanno ! Le producteur en charge de la musique d'Oban est son producteur attitré. Mais il a tout de suite exclu que nous travaillons avec elle : il était "trop vieux" pour gérer Yoko Kanno, c'était trop dur pour lui de bosser avec elle !! Nous avons donc choisi Taku Iwasaki, une jeune étoile montante au Japon, qui a de fortes bases classiques, mais aussi un talent très vaste pour tout ce qui est création sonore techno, electro, etc. Il a enregistré avec un orchestre de 40 musiciens une partition très épique, avec des aspects un peu techno/SF. Nous avons obtenu 80 morceaux sur-mesure, ce qui est très rare, même au Japon.
Iwasaki a fait un boulot formidable, mais pour les chansons des génériques, je continuais de rêver de Yoko Kanno. J'ai continue à insister régulièrement auprés de son producteur, jusqu'à ce qu'il débarque un jour au studio avec une démo de quatre instrumentaux, soit disant d'une jeune artiste débutante. Je les ai trouvés excellents. Lui a alors poussé un long soupir : c'était du Yoko Kanno ! (rires) Nous avons donc gardé les deux morceaux qui servent aujourd'hui de générique à Oban. La VF a été enregistrée spécialement pour France 3 et remixée par Kanno et son équipe (les deux versions sont sur le DVD).

Que répondriez-vous à ceux qui comparent Oban star-racers à la course de pods de Star Wars épisode 1 ?
C'est une remarque qu'on entend parfois chez les personnes qui n'ont pas encore vu la série. Ceux qui ont regardés Oban ne font plus cette comparaison. Il n'est pas particulièrement étrange d'avoir des vaisseaux volants dans une histoire de science-fiction. Ce qui est peut être plus étrange finalement, c'est de voir débouler une course de pod dans l'univers de Star wars (rires). Si j'aime beaucoup la trilogie originale de Star wars, cela n'a pas été un facteur d'inspiration sur Oban, et pour ce qui est de la course de pods de l'épisode 1, les courses d'Oban sont très différentes, et je crois beaucoup plus variées.

Parlez-nous de vos différentes influences.
Surtout les grands classiques japonais de la fin des années 70 : Conan, Goldorak, Candy. Sans doute également Evangelion, au moins pour la relation père/fils. Ma série actuelle préférée est sans doute Ikaru no go, que j'adore. J'ai bien aimé sinon Gokusen, ou encore Fantastic children. En long-métrage, j'adore bien sûr le Tombeau des lucioles, Nausicaa de Miyazaki, qui m'a sans doute un peu influencé pour le personnage de Molly. J'aime aussi beaucoup Escaflowne.

Vous vous êtes beaucoup investi dans la création du doublage de la série ?
Le doublage m'a aussi pris beaucoup de temps. J'ai écrit une première version de mes scripts en anglais, mais j'ai tout réadapté complètement avant les enregistrements. La version française est vraiment la version originale. Nous prenions plus d'une journée d'enregistrement par épisode, ce qui est beaucoup pour une série, mais nous a permis de travailler dans le détail. J'apprécie beaucoup le contact avec les acteurs de doublage. J'ai aussi choisi de travailler avec un mélange de jeunes acteurs avec encore peu d'expérience du doublage – pour éviter les "stars"qui font leurs numéros – et des acteurs beaucoup plus expérimentés, avec lesquels j'avais très envie de travailler, comme Jérôme Keen (Don Wei). Pour la voix de Molly, nous avons casté une jeune débutante, Gabrielle, qui a apporté beaucoup de fraîcheur au personnage. Je me suis également chargé au Canada du doublage en langue anglaise.

Il y a un important travail sonore sur Oban.
C'est Jérôme Wiciak, un ancien copain de la FEMIS, qui s'en est occupé. Il a fait le sound design de beaucoup de gros longs-métrages et c'était sa première expérience sur une série. Son boulot est incroyable et rend particulièrement bien dans le mixage 5.1 du DVD. Tous les sons ont été entièrement créés, nous n'avons pas utilisé de banques de sons.

A quels niveaux vous êtes-vous investi dans la création des DVD d'Oban ?
J'ai suivi de près le making-of et l'édition dans sa globalité. Pour le making-of, ce n'était pas évident de rendre compte d'un travail de production méticuleux et paradoxalement pas forcément très visuel. Mais je crois que le film d'Alex Pilot donne une idée de la manière tout cela s'est passé au Japon.

Aujourd'hui, quels sont vos projets ? Un film live ?
Pour le moment, je veux surtout faire une pause et prendre un peu de recul. Mais je réfléchis à plusieurs moyens de continuer à faire vivre l'univers d'Oban, peut-être par l'intermédiaire d'un spin-of plutôt qu'une suite directe. J'ai effectivement également des projets de longs métrages, dont certains que je "traîne" depuis le début des années 90. C'est vrai qu'un long-métrage correspondrait sans doute mieux à mon côté un peu obsessionnel (sourire).

Il va donc y avoir des produits dérivés Oban ?
Je me concentre dans un premier temps sur du merchandising haut de gamme : la musique de la série va être éditée en plusieurs CD, et il y aura bientôt un art book, peut être même des figurines fabriquées au Japon. Nous avons également un jeu vidéo pour téléphone portable qui va sortir. Je réfléchis aussi à un jeu de plateau.

Quelle serait votre conclusion sur l'aventure Oban star-racers ?
La série correspond exactement à celle que je voulais faire, destinée d'abord aux enfants, mais avec de la profondeur et plusieurs niveaux de lecture. J'espère que la sortie en DVD permettra à beaucoup de gens de la découvrir.
Le second coffret DVD qui sortira en février prochain est un peu plus sombre, avec je crois une conclusion émouvante et assez surprenante…

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.