Patrice Leconte (Dogora)

Didier Verdurand | 6 mai 2006
Didier Verdurand | 6 mai 2006

Véritable touche-à-tout du cinéma français, Patrice Leconte est sans conteste l'un de ses plus grands artisans. La sortie en DVD de Dogora nous permet de revenir sur cette œuvre étonnante par sa forme mais surtout frappante par sa sincérité. Boudée en salles, elle mérite amplement d'atterrir dans votre salon, pour un voyage qui ne laisse pas indifférent.

 

 

Les critiques de Dogora ont été très partagées. Comment avez-vous vécu sa sortie en salles ?
Je me suis demandé à un moment si je n'aurais pas dû sortir Dogora sous un faux nom. Des critiques m'attendent au tournant. Les critiques qui ont un a priori avant de voir les films sont très nombreux et certains ne peuvent pas blairer ce que je fais. Nous aussi, spectateurs, avons un a priori, mais nous ne parlons pas des films… Signé par un pseudonyme, Dogora aurait pu être visionné plus sereinement pour ne pas être embarrassé par des considérations perturbantes, comme celle de savoir pourquoi je fais ce film avant Les Bronzés 3. À l'arrivée, nous ne l'avons pas fait parce que mes producteurs et le distributeur pensaient que c'était un argument pour le public de signer avec mon vrai nom. Les gens qui ont adoré Dogora ne se posent pas de questions, ce qui a renforcé mon idée que les critiques qui ont détesté ne l'ont pas aimé pour de mauvaises raisons, un peu comme si ma démarche était impure ou opportuniste. C'est très troublant d'être accusé de roublardise lorsque vous faîtes un film avec la plus grande sincérité du monde, mais ça finit par ne plus me toucher vraiment.

 

Quel a été l'accueil à l'étranger ?
Dogora est sorti dans quelques pays seulement. Il est très dur à vendre car difficile à sortir. Jusqu'à présent, il est sorti dans des circuits très limités. L'accueil est positif d'autant qu'il n'y a pas ces questions sur mon nom ou ma carrière incohérente, les gens ne jugent pas de la même manière qu'en France. J'ai fait des films qui ont mieux marché à l'étranger pour cette raison.

 



 
Notamment L'homme du train.
Oui, dans tous les pays où il est sorti. En France, plus encore que mon nom, c'est celui de Johnny Hallyday qui a été un handicap pour la carrière du film. Il est un éternel sujet de moquerie, ce qui est d'ailleurs très dommage, nul et facile. Les américains ne connaissent pas Johnny, donc ils n'ont pas vu Johnny descendre du train, mais un acteur avec une dégaine, une silhouette, une voix, une gravité, des silences, des regards et ils ont été conquis.

 

Vous avez présenté Dogora au Cambodge ?
Depuis le début, mon envie était de retourner là-bas pour le montrer. C'était la moindre des choses. J'y suis retourné avec Etienne Perruchon mais hélas, deux jours avant que nous n'arrivions à Phnom Penh, on a appris que le Bureau du Cinéma Cambodgien interdisait la projection. Le petit mot signifiant l'interdiction était très aimable et disait que Dogora ne véhiculait pas une image assez positive du Cambodge. J'étais très déçu car nous avions réservé une salle de 500 places, organisé trois projection à la suite, les gens seraient venus voir ce que nous avions tourné chez eux… On s'est rabattu sur une projection à l'Institut Français. C'était nul car il n'y avait que des expatriés dans la salle. Le Bureau du Cinéma Cambodgien veut qu'on montre le site d'Angkor, les temples, les hôtels modernes qui se construisent autour….

 

Angelina Jolie…
Oui, Angelina Jolie en train de bronzer et de se faire photographier… Si vous voulez montrer la réalité quotidienne, vous n'aurez jamais d'autorisation.

 




 
La trilogie des Qatsi de Godfrey Reggio vous a-t-elle inspiré ?
J'ai adoré ces films que je compare à de la poésie ou de la peinture. Je suis très fan aussi de Philip Glass. Quand l'envie de faire Dogora m'est tombée dessus au coin d'une rue de Phnom Penh, avec la musique de Perruchon, je dois avouer que je me suis demandé si on pouvait vraiment le réaliser. Les films de Reggio sont revenus à la surface et m'ont donné le culot nécessaire. Il faut aussi saluer le travail de notre monteuse, Joëlle Hache avec qui je travaille depuis longtemps et qui apporte énormément à mes films grâce à sa science du rythme et du raccord. Elle a tout compris aux images qu'elle avait. Je suis bouleversé quand le talent atteint la perfection qu'est la sienne.

 

Quelle est l'image de Dogora qui vous tient le plus à cœur ?
C'est difficile car les images marchent beaucoup par contraste. Celles qui sont charmantes, légères et gracieuses côtoient les plus désolantes de pauvreté et de dénuement. Malgré tout, un plan me touche, me ratatine, à chaque vision tellement je suis submergé par l'émotion. Il est dans une séquence nocturne, où toutes les solitudes du soir tombent. Une mère a l'air très âgée – je me suis aperçu plus tard qu'elle était jeune – dans un hamac en pleine rue. Son fils dort à ses pieds pendant qu'elle berce un bébé. Son regard exprime la détresse et l'interrogation. Je me suis demandé si ça valait le coup de vivre une vie pareille. Que vont devenir ses enfants ? Cela nous renvoie à nous, occidentaux, qui avons le privilège de vivre dans un monde en paix, avec de l'eau courante et tout le reste.

 




 
Vous avez tourné pour la première fois en Haute-Définition. Convaincu par l'expérience ?
Dans cinq, dix ans ou plus, tous les films seront en HD, il est impensable que le support film subsiste donc vivons avec notre temps ! Il est cependant difficile de l'imposer à des producteurs. Je me suis rendu compte que les gens font l'amalgame lorsqu'on leur parle de HD, ils imaginent la petite caméra qui se met dans la poche. Il ne faut pas confondre avec DV. La HD n'est pas léger du tout et il est très performant. Pour Dogora, le travail en post-production a été exceptionnel, l'image est sublime, il n'y a au aucune perte dans le transfert. Quand un proche ami, Eduardo Serra, a vu le film, lui-même qui en connaît sur le sujet, croyait que je l'avais finalement tourné en 35mm alors qu'il savait que je voulais le faire en HD ! C'est dire si la technique est au point aujourd'hui. Je serai ravi de faire tous mes films à venir en HD mais Les Bronzés 3 se fera en support film.

 

Les gens pensent aussi que la HD est moins chère.
C'est absolument faux, ça revient au même. On fait l'économie du film en se passant des chargeurs, de la pellicule, le tirage en labo, etc... Avec la HD, vous avez des cassettes d'une formidable autonomie de 55mn, donc largement supérieure aux 10mn de bobines. Mais à l'arrivée, quand vous devez transcrire ces images virtuelles – numériques – sur pellicule, le transfert est extrêmement coûteux.

 

Vous avez surveillé de près l'étalonnage du DVD ?
J'ai regardé le résultat et ils ont été très fidèles à ce que nous avions filmé. Je suis satisfait en général des étalonnages en DVD. Un autre de mes films, Ridicule, est sorti le mois dernier, dans une luxueuse édition, avec de nombreux intervenants dans les bonus. Il était déjà sorti en 1998 aux débuts de ce support et il n'y avait pas à l'époque une telle attente de bonus en tout genre. Et en juin sortira mon premier film, Les vécés étaient fermés de l'intérieur avec Coluche et Jean Rochefort. J'étais amusé d'évoquer trente ans plus tard dans le commentaire audio un tournage pour le moins chaotique. Je ne tiens jamais à faire les commentaires mais les gens insistent disant que je m'en sors très bien même si je les fais à l'aveugle.

 



 
Y a-t-il une raison particulière au fait que vous ne revoyez jamais vos films ?
Je me dis « À quoi bon ? ». Il m'arrive de revoir dix minutes mais je réalise vite que je connais tout par cœur et j'arrête. Récemment, à un colloque, on nous diffuse une longue scène des Bronzés font du ski, celle où il boivent l'alcool de crapaud chez les paysans….


Scène que tout le monde a vu 250 fois !
Je ne l'avais pas revue depuis sa sortie et sans vouloir paraître immodeste, j'étais mort de rire, je ne me souvenais plus de la moitié des détails !

 

Des membres de la rédaction se plaignent que Tango n'est pas encore édité.
Comme un écrivain qui aime avoir ses livres chez soi, je trouve normal qu'un réalisateur veuille avoir les DVD de ses films chez lui même s'ils ne les regardent pas. Après la sortie des Vécés, seuls Tango et Monsieur Hire ne seront pas encore disponibles. J'essaie de pousser la roue dans le bon sens. Il y a un problème de droits autours de Monsieur Hire, mais on devrait le résoudre, cela prendra juste du temps. Je parlais de Tango avec un type de TF1 Vidéo, surpris d'apprendre qu'il n'était pas édité, et il m'a dit qu'il se pencherait là-dessus, donc à suivre….

 

Les spécialistes est votre plus gros succès. On vous a souvent demandé d'en faire une suite ?
Cela n'a jamais été vraiment proposé. Beaucoup de films d'action ou d'aventures, ça oui… Je considère un peu Une chance sur deux comme sa suite, même s'il a eu nettement moins de succès. Je le trouve quand même très distrayant. J'étais électrisé de bonheur à l'idée de tourner avec Belmondo et Delon. Les jeunes de 15 / 25 ans se foutent de ces monstres sacrés, leurs idoles sont plus proches d'eux et la carrière du film s'en est ressentie, surtout que les spectateurs des générations au-dessus ont attendu le passage télé : près de 9 millions de téléspectateurs l'ont regardé quand il est passé sur TF1 !

 



 
Vous n'avez pas l'air de souffrir d'une éventuelle pression avant de vous attaquer aux Bronzés 3, vous semblez au contraire décontracté !
C'est valable aussi pour les membres de Splendid, mais si je commence à aborder ce film en pensant à la grosse attente des gens, aux paris qui se font dans la profession – marchera, marchera pas, combien de millions ? – alors je n'oserais jamais dire « moteur ! » ! Il faut que je me préserve et nous sommes aujourd'hui dans une insouciance finalement plus grande que celle qui nous habitait lors des deux premiers Bronzés.

 

Quel est le budget ?
(Patrice Leconte prend un Figaro et lit que Les Bronzés 3 coûtera 35 millions d'euros et devra réunir au moins 8 millions de spectateur pour être rentabilisé.) Je ne connaissais pas ce montant. Le film ne coûte pas ça du tout. Nous le ferons pour une somme entre 50 et 60 millions de francs, ce qui est largement confortable pour faire un très bon film dans un endroit idéal. Mais Lhermitte, Jugnot, Blanc, Clavier, Chazel, Balasko et Lavanant sont des comédiens qui sont devenus des stars et cela a dorénavant un prix. Tout ça pour dire que les 35 millions d'euros, vous ne les verrez pas à l'écran. Il n'y aura pas d'effets spéciaux, d'hydravions qui se crashent en pleine mer ou des conneries comme ça ! Ce sera un pur Bronzés. Quand j'ai lu le scénario, non seulement je l'ai trouvé à pisser de rire mais en plus, je me suis dit que c'est exactement ce qu'attendent les fans des deux premiers. La question que tout le monde se pose est évidemment : que sont-ils devenus ? Se sont-ils embourgeoisés ? Ça serait plutôt le contraire….

 

Vous allez tourner où ?
(Hésitant.) On nous a dit et redit de communiquer le moins possible dessus... On va tourner au bord de la mer en Italie mais ça ne sera pas dans un club de vacances.

 

Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportraits de Patrice Leconte.
Les affiches, françaises et américaines, donnent un aperçu des films réalisés par Patrice Leconte durant sa carrière.

 

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