Spider-Man, Avengers... Jack Kirby, ou la grande trahison de Marvel

Arnold Petit | 31 décembre 2021 - MAJ : 31/12/2021 11:20
Arnold Petit | 31 décembre 2021 - MAJ : 31/12/2021 11:20

Il a participé à la création de Captain America, des Quatre Fantastiques, des Avengers, des X-Men, de Black Panther, de Spider-Man et de tous les plus grands héros de l'univers de Marvel. Non, ce n'est pas Stan Lee, c'est Jack Kirby.

Derrière les dialogues, les boniments et le talent du scénariste, il y avait un dessinateur exceptionnel qui n'a cessé d'inventer, réinventer et révolutionner les comics et son industrie, aussi bien chez Marvel que chez DC et tout un tas d'autres éditeurs, laissant son empreinte dans tous les genres, quand il n'était pas en train de les créer.

Et pourtant, malgré son incroyable production et son génie, Jack Kirby est resté toujours dans l'ombre du sympathique Stan Lee, devenu le visage de l'entreprise avec ses fameux caméos, et n'a jamais eu la reconnaissance qu'il mérite alors que, si Marvel trône aujourd'hui au sommet du box-office hollywoodien et que le plus grand méchant de l'univers de DC existe, c'est d'abord grâce à son crayon et son imagination.

Un seul article n'est pas suffisant pour parler de l'existence de Jack Kirby dans son entièreté, mais il était important et nécessaire de lui rendre hommage à l'occasion de la sortie de Les Éternels (dont il a aussi conçu l'univers et les personnages) en revenant sur les grands moments de sa vie et tout ce qu'il a apporté à la bande dessinée. 

 

photoIl a déjà apporté quasiment tous ces personnages, rien que ça

 

STARS AND STRIPS

Avant toute chose, Jack Kirby, c'est un style, dynamique, percutant, rebutant aux premiers abords, difficilement accessible, peu soucieux de l'anatomie ou des perspectives, mais qui dégage une force et une énergie authentiques. Un style qui a donné vie à des personnages, des créatures, des structures et des univers issus de l'imaginaire d'un artiste au sens noble du terme, un créateur de mondes, comme un Céleste forme une galaxie entre ses mains.

Ce génie créatif, Jack Kirby le porte en lui depuis toujours et l'exprimait déjà à travers les dessins qu'il gribouillait gamin dans la cage d'escalier de l'immeuble du Lower East Side, où il vivait dans la misère avec son père et sa mère, immigrés juifs d'origine autrichienne.

 

photoExtrait de Street Code, une bande dessinée plus ou moins autobiographique de Jack Kirby réalisée en 1983

 

À cet âge, Jacob Kurtzberg se passionne déjà pour les bandes dessinées et admire les dessins d'Alex Raymond (Flash Gordon) et Harold Foster (Prince Vaillant, Tarzan). Il va au cinéma dès qu'il peut, lit Jules Vernes, Alexandre Dumas, mais le cache aux autres enfants, de peur qu'ils se moquent de lui. Avec ses amis, il forme un gang et passe son temps à se battre avec les gamins des rues voisines quand il n'est pas à l'école hébraïque.

Les bagarres de quartier, sur les toits ou dans les cages d'escaliers sont quotidiennes et le laissent parfois inconscient sur le pavé, mais se retrouveront plus tard dans ses dessins. Un jour, il découvre un numéro de Wonder Stories et ses récits de science-fiction. Dès lors, il ne cessera de garder la tête en l'air, à rêver d'étoiles et d'univers inexplorés qu'il posera sur papier.

 

photoDans les bas-fonds de New York

 

À 14 ans, ses parents parviennent à l'inscrire dans une classe d'art au Pratt Institute, mais il n'y reste qu'une semaine. À cause de la Grande Dépression, son père est licencié et Jacob doit donc quitter les bancs de l'école et travailler pour aider sa famille. Il devient vendeur de journaux, puis prend des leçons d'art à l'Educational Alliance, mais son professeur le renvoie parce qu'il lui reproche de dessiner trop vite.

Il aide son père et rejoint un club pour jeunes, le Boy's Brotherhood Republic, où il réalise ses premiers dessins pour le journal. Il envisage une carrière dans le cinéma, mais sa mère refuse qu'il parte à Hollywood, alors il reste à New York et trouve un petit poste au studio Fleischer (le concurrent de Disney derrière Betty Boop ou Popeye), où il nettoie les planches des animateurs et devient intervalliste.

Là-bas, il perfectionne sa perception du mouvement, enchaîne les coups de crayon, puis passe assistant-animateur jusqu'à ce que le studio déménage en Floride et qu'il se retrouve obligé de trouver un autre emploi, en tant que cartooniste. Il dessine différents genres de strips, y compris de la satire politique, sous plusieurs noms d'emprunt : Jack Curtiss, Jack Barton, Curt Davis ou Bob Dart.

 

photoUn artiste engagé dès ses débuts

 

DYNAMIC DUO

En 1938, Jack Kirby fait véritablement son entrée dans le monde des comics en intégrant le studio des légendaires Will Eisner et Jerry Iger, figures majeures de la bande-dessinée américaine. Avec eux, il apprend la rigueur, la vitesse, travaille sur différents genres (du western, des récits d'aventures, de la science-fiction) et côtoie d'autres futurs grands dessinateurs comme Mort Meskin ou Bob Kane, futur créateur de Batman avec Bill Finger.

À cette époque justement, le premier numéro d'Action Comics avec Superman apparaît dans les kiosques et bouleverse à jamais l'industrie en lançant le genre du super-héros. Tous les éditeurs veulent leur Kryptonien et les personnages avec des super-pouvoirs se multiplient, se recopient et se croisent, comme leurs auteurs.

 

photoUn des comics illustrés par Kirby chez Eisner et Iger, sous le nom de Fred Sande


Après le studio d'Eisner et Iger, il trouve une place en 1940 chez Fox Feature Syndicate, où il travaille sur Blue Beetle et ses premiers super-héros. C'est là-bas qu'il va faire une rencontre déterminante pour lui et l'histoire du comic book, Joe Simon, directeur de publications, scénariste et dessinateur, lui aussi issu d'une famille juive.

 

photoThe Blue Beetle par Jack Kirby

 

Immédiatement, les deux hommes se retrouvent dans un bureau et s'associent pour travailler sur le deuxième numéro de Blue Bolt, un des héros créés par Simon, puis conçoivent ensuite de nouveaux titres, généralement inspirés d'autres comics : Marvel Boy, un garçon qui acquiert une force herculéenne ; Red Raven, un croisement raté entre Batman et Superman ; Mercury, qui raconte les aventures d'Hermès sur Terre (et pourrait être vu comme le prototype de Thor) ou encore Comet Pierce, un comic book spatial à la Flash Gordon qui prouve déjà l'intérêt de Kirby pour l'espace et les casques aux formes insolites.

 

photoDéjà beaucoup d'idées qui seront reprises plus tard

 

Joe Simon se fait repérer par Martin Goodman, fondateur de Timely Comics (qui deviendra Marvel), et parvient à convaincre Jack Kirby de le suivre. L'éditeur est déjà célèbre pour Marvel Comics et les aventures de Human Torch et Sub-Mariner, mais les deux héros appartiennent en réalité à Funnies, Inc., une société qui écrit des histoires prêtes à être éditées, alors le duo est chargé d'imaginer un nouveau personnage, que Timely pourrait publier sans dépendre d'un sous-traitant.

Ils créent d'abord un super-héros venu d'un autre monde, qui peut voler, projeter des images mentales de lui-même et se déplacer grâce à la fumée, qu'ils appellent La Vision.

 

photoPas de robot ou de Wanda aux origines


Après ça, ils commencent à travailler sur un autre personnage, qui deviendra l'un des plus grands super-héros américains de tous les temps. Inquiets par la montée du nazisme, qui arrive jusqu'aux États-Unis avec le Bund germano-américain (une organisation nazie), les deux auteurs décident de prendre position contre l'isolationnisme et de sensibiliser l'opinion en créant un héros patriotique, qui défendrait la liberté et incarnerait les valeurs démocratiques face à Adolf Hitler.

Jerry Siegel et Joe Shuster avaient eu la même idée un peu plus tôt en envoyant Superman arrêter Staline et le dictateur nazi dans les deux pages de "How Superman Would End the War".

 

photoKingdom Come avant l'heure

 

Kirby puise dans ce qu'il a appris des comics d'espionnage, de western, de science-fiction et d'aventure, mais aussi dans sa jeunesse. La vélocité, la violence et la puissance des coups qu'il donnait plus jeune jaillissent dans ceux de Steve Rogers et les combats dépassent des cases pour aller directement frapper le lecteur.

Les deux auteurs savent qu'ils prennent un risque, mais aussi que ce nouveau héros pourrait tout changer. Ils lui donnent un acolyte, Bucky, auquel le jeune lecteur pourra s'identifier, un costume, aux couleurs du drapeau américain, avec un bouclier pour seul accessoire, et un nom, iconique : Captain America.

 

photoUne approche plus directe que Superman


Le premier numéro, publié un an avant l'attaque de Pearl Harbor, franchit le million d'exemplaires vendus et le succès dépasse tout ce que Simon et Kirby imaginaient. Les deux hommes préparent déjà la suite, mais M.L.J. Magazines, Inc. (futur Archie Comics) menace de faire un procès à Timely pour plagiat en raison de la ressemblance avec leur personnage appelé Shield, créé quelques mois plus tôt (et qui a peut-être bien inspiré Simon et Kirby).

Les deux éditeurs parviennent à un accord et afin de différencier les deux super-héros, Jack Kirby dessine un bouclier rond pour Captain America à partir du deuxième numéro, qu'il porte toujours.

 

photoOn n'a pas le même costume, mais la même passion

 

Les ventes restent constantes et Timely reçoit des menaces de la part de groupes d'extrême droite, dont le Bund. Malgré les manifestations au pied du bâtiment et les insultes qu'ils reçoivent régulièrement par téléphone, Simon et Kirby poursuivent leur travail et le maire de New York place l'éditeur Martin Goodman sous protection policière.

Entre deux numéros de Captain America, ils se chargent des débuts en solo de Captain Marvel (qui deviendra Shazam) pour Fawcett Comics. Kirby est obligé de reprendre le trait de C.C. Beck, qui avait créé le personnage dans Whiz Comics, mais déteste ce qu'il produit, alors il propose à Simon de ne pas signer Captain Marvel Adventures (qui remportera un énorme succès, à son grand regret).

 

photoLa différence entre les deux styles se remarque tout de suite

 

Martin Goodman présente un jour son neveu à Joe Simon et Jack Kirby, Stanley Lieber qu'il leur demande de former. L'adolescent (plutôt pénible d'après Kirby) apporte les cafés, vérifie les fautes d'orthographe en relecture et écrit sa première histoire dans les pages du troisième numéro de Captain America, sous le nom de Stan Lee. À cette époque, Kirby rencontre aussi Rosalind Goldstein, sa voisine et sa future femme, avec qui il restera marié jusqu'à la fin de sa vie et qui le soutiendra tout au long de sa carrière.

 

photoLa toute première collaboration entre Jack Kirby et Stan Lee, plusieurs années avant Marvel

 

Kirby et Simon deviennent des célébrités dans leur domaine et, contrairement aux autres, ne sont pas connus pour leur création, mais bien pour leur nom et leur style novateur.

Ensemble, ils définissent les règles qui régissent les comics encore aujourd'hui. Alors que la plupart des bandes dessinées présentaient généralement une scène par case avec des "têtes parlantes", le duo décompresse les récits, bouscule le découpage, alterne les angles de vue, allonge les affrontements sur plusieurs cases et marque le lecteur par l'utilisation de "double splash page", deux pages pleines qui imitent le cadre d'un écran de cinéma ou de télévision et projettent immédiatement le lecteur dans l'aventure. 

 

photoDetective Captain America

 

Alors que les numéros de Captain America s'enchaînent, ils apprennent que Martin Goodman ne leur versera jamais leur pourcentage. Ils décident alors de travailler dans le même temps pour National Comics, rival de Timely (et futur DC Comics), qui espérait justement débaucher les deux dessinateurs.

Encore une fois, ils font des merveilles et réinventent les personnages de Manhunter et Sandman. Lorsque Goodman apprend qu'ils travaillent pour la concurrence, il les vire et Simon et Kirby rejoignent National Comics à temps plein, pour le double de leur ancien salaire et un meilleur pourcentage.

 

photoSandman et Sandy, qui font trembler les criminels

 

Peu importe le changement d'éditeur, la magie continue d'opérer. Après les super-héros, les deux hommes imaginent des histoires de "gangs de jeunes" comme La Légion des Petits Rapporteurs ou encore les Commandos des Juniors, un énorme succès populaire, qui durera pendant des années. Une nouvelle fois, Kirby s'inspire directement de son enfance et du gang auquel il appartenait pour imaginer ses personnages.

Il se marie en 1942, prend officiellement le nom de Jack Kirby, mais cette période, qu'il a qualifiée comme "la plus heureuse" de sa carrière, va brutalement s'arrêter avec l'entrée en guerre des États-Unis.

 

photo

Les Commandos des Juniors et le capitaine Rip Carter en action

 

FAITES L'AMOUR, PAS LA GUERRE

Joe s'engage volontairement et finit garde-côte vers Washington DC, puis Jack reçoit sa lettre d'appel et décide d'aller lui aussi au front. D'abord désigné pour la Marine, il préfère intégrer l'infanterie. Après un passage par l'Angleterre, il arrive à Omaha Beach quelques semaines après le débarquement de Normandie.

Sur place, il passe devant les blessés, enjambe les cadavres, affronte l'ennemi en avançant dans la campagne française, puis libère un camp de concentration et participe à plusieurs batailles en Lorraine. Pour rester sain d'esprit, il écrit à sa femme, gribouille des dessins dans son carnet et se réfugie dans son imaginaire.

 

photoUne lettre de Jack Kirby à Roz sur un papier allemand

 

Blessé aux pieds et aux jambes à cause du froid, il est soigné en Angleterre et rapatrié aux États-Unis. Une fois rentré, il déserte pour retrouver sa femme. Quelques semaines plus tard, la guerre se termine et il est gracié puis démobilisé, libre de retourner dessiner chez National Comics. Joe Simon rentre à son tour au pays et prévoit déjà la suite pour eux, chez Harvey Comics. 

Kirby ne pense qu'à subvenir aux besoins de sa famille qui s'agrandit avec ses dessins et laisse son partenaire signer les contrats. Les westerns envahissent les postes de télévision, les écrans de cinéma et les pages des comics alors ils créent Boy's Ranch, mais la surproduction de comics engendre une crise dans l'industrie et le duo doit quitter Harvey Comics.

 

photoDeadwood

 

Après la Seconde Guerre mondiale, les super-héros sont sur le déclin, remplacés par des histoires plus réalistes, alors Simon et Kirby suivent la tendance et rédigent des comics humoristiques ou des récits scientifiques. Ils se lancent aussi dans les histoires de crime avec Headline, dont ils réalisent la couverture en se mettent eux-mêmes en scène et qui prétend être basé sur "de vraies histoires de héros de la police et du FBI".

 

photoEt évidemment, Jack incarne le gangster


Dans leur studio, installé dans le grenier de la maison de Simon, ils accueillent plusieurs jeunes artistes, dont Steve Ditko et Carmine Infantino, deux futurs grands noms que Kirby recroisera. Puis ils inventent un nouveau genre en 1947 : les romances comics, avec Young Romance, dont le premier numéro remporte un énorme succès à son tour et pousse à la création de Young Love et Young Brides.

Avec ses histoires à l'eau de rose, qui racontent les amours et les émois de différents personnages masculins et féminins, le duo révolutionne les comics et répond à un besoin de légèreté du peuple américain au vu des ventes considérables, permettant aux comics d'atteindre un public plus large. Le phénomène est tel qu'à la fin des années 40, les romances comics représentent presque un tiers du marché de la bande dessinée américaine.

 

photoAvec "de vraies histoires d'amour"


Même s'ils utilisent quelques ressorts narratifs classiques, Simon et Kirby s'évertuent à décrire les relations humaines en évitant les clichés et la moralisation. Dans leurs comics, ils parlent effectivement de désirs et de frustrations, mais remettent aussi en question le puritanisme américain et les préjugés en traitant de politique, d'inégalités sociales ou de la place des femmes dans la société et du poids qu'elle exerce sur certaines d'entre elles.

Même si la démarche sera d'abord de détourner les codes de la bande dessinée pour en faire une oeuvre d'art, les dessins de Kirby inspireront largement Roy Lichtenstein et d'autres artistes de Pop Art. Avec l'argent qu'ils gagnent, les deux compères se payent chacun une maison à Long Island, l'une en face de l'autre.

 

photo"In the car" de Roy Lichtenstein, peint en 1963

 

En 1954, après plusieurs années de collaboration, Simon et Kirby décident de fonder leur propre maison d'édition, Mainline Publications. Ils lancent différents titres, un western intitulé Bulls Eye, un comic book policier avec Police Trap ou encore Foxhole, un récit de guerre. Malheureusement, la même année, le Dr Fredric Wertham, un psychiatre considéré comme un spécialiste de renom dans la psychologie de l'enfant, publie Seduction of the Innocent, dans lequel il accuse les comics de pervertir la jeunesse. 

Selon lui, ils inciteraient à la violence, traiteraient implicitement de sexualité et encourageraient l'homosexualité, encore définie comme une maladie mentale à cette période.

 

photoQuand Kirby dessine la bataille de Metz, à laquelle il a participé, dans Foxhole

 

Une campagne contre les comics est lancée et la bande-dessinée se retrouve donc attaquée par les associations de parents. L'éditeur EC Comics, qui publiait des histoires d'horreur, fait faillite, Simon et Kirby rappellent leurs confrères et amis pour leur proposer du travail et lancent plusieurs projets, en vain. La belle époque est terminée et finalement, le duo se sépare. Joe Simon retourne à l'édition et la publicité et Jack Kirby repart un temps chez Timely Comics, devenu Atlas Comics, avant de retourner chez DC.

 

photoAbattus en plein air

 

DC lui donne une trentaine d'histoires de science-fiction et un travail complémentaire sur Green Arrow (dont il réinvente les origines dans le numéro 256 d'Adventure Comics). Puis Kirby crée de nouveaux personnages à partir d'un vieux concept imaginé avec Joe Simon, Les Challengers de l'Inconnu, une équipe de héros composés de quatre aventuriers tous vêtus de la même combinaison, qui est envoyée en mission pour arrêter des savants fous, affronter des magiciens ou voyager à travers le temps.

Ce nouveau titre pourrait être vu comme la suite des récits de gangs de gamins écrits par Simon et Kirby dans les années 40, mais servira surtout d'inspiration au dessinateur plus tard, au moment d'imaginer une de ses plus grandes créations.

 

photoLes Quatre Challengers

 

Il réalise ensuite Sky Masters of the Space Force, une épopée de science-fiction qui traite de la course à l'espace menée par les États-Unis et l'URSS, mais après un nouveau conflit judiciaire face à un des responsables éditoriaux de DC qui réclamait un pourcentage de plus en plus important, il part de DC en 1959.

Il retrouve Joe Simon chez Harvey Comics, avec qui il crée The Double Life of Private Strong, un autre super-héros patriotique, et The Adventure of the Fly, qui aurait dû être la première version de Spider-Man, mais qui a été renommée pour profiter du succès de La Mouche noire, sorti en salles un peu plus tôt.

 

photoBeaucoup moins classe que Peter Parker

 

Les deux hommes poursuivent leur collaboration avec du western, de la romance et des histoires fantastiques, mais les offres ne tombent plus. Kirby propose un projet baptisé Kamandi des cavernes, qui est refusé, et son procès avec DC le laisse sans aucune source de revenus.

Alors qu'il s'était promis de ne plus retravailler avec Timely et Stan Lee, qu'il suspectait d'avoir raconté à son oncle Martin Goodman que lui et Simon travaillaient chez National Comics en même temps que chez Timely Comics, il retourne voir l'éditeur, renommé Atlas Comics, qui s'apprête à bientôt devenir Marvel Comics.

 

photo

 

KIRBY AU PAYS DE MARVEL

Quand Jack Kirby arrive dans les locaux d'Atlas en 1961, l'éditeur est sur le point de fermer et les meubles sont déjà en train d'être enlevés. Il y trouve un Stan Lee abattu derrière son bureau, et lui assure qu'il va redresser la situation. Ensemble, ils réalisent des romances comics, des westerns et des histoires avec des monstres géants pour les anthologies telles que Strange Tales ou Tales of Suspense.

 

photoAvec la première apparition de Groot (qui pouvait parler normalement à l'époque)

 

L'histoire raconte que Martin Goodman a disputé une partie de golf avec Jack Liebowitz, l'éditeur de DC, qui s'est vanté des ventes de son équipe de super-héros appelée Justice League of America, et qu'en rentrant chez Marvel, il a aussitôt demandé à Stan Lee d'imaginer la même chose. Le scénariste a donc demandé un coup de main à Kirby, qui a encore été pioché dans ce qu'il avait déjà dessiné auparavant pour concevoir ces nouveaux héros.

Il récupère ses Challengers de l'Inconnu avec leurs combinaisons et les retravaille en leur donnant chacun un pouvoir. La Torche Humaine de Timely se réinvente sous un nouveau nom, il reprend certains de ses traits pour Ben Grimm (son comportement belliqueux ou les cigares qu'il fume) et finalement, en mai 1961, les Quatres Fantastiques voient le jour.

 

photoOui, Red Richards tirait un signal depuis un pistolet pour les réunir

 

Avec Les Quatre Fantastiques, Lee et Kirby présentent des super-héros d'un genre nouveau, des personnages avec des capacités extraordinaires, mais qui ont aussi des problèmes du quotidien. La tragédie de La Chose autour de son apparence, les histoires d'amour, les problèmes familiaux et les interrogations concernant leur identité occupent autant de place que l'action.

Malgré leurs pouvoirs, Red Richards, Sue et Johnny Storm et Ben Grimm sont plus réalistes, possèdent des réactions authentiques et s'engueulent entre eux. Cette différence avec les autres super-héros séduit immédiatement le lectorat et contribuera largement à la réussite de Marvel à l'avenir

 

photoBen Grimm, condamné à rester un monstre

 

Kirby ressort son idée de Spider-Man pour enfin la coucher sur papier, mais son design ne convient pas à Stan Lee, qui le trouve trop large, trop musclé et confie alors le personnage à Steve Ditko, engagé chez Marvel au milieu des années 50. La couverture réalisée par Kirby sera retravaillée par le dessinateur et deviendra celle du numéro 15 d'Amazing Fantasy, où Spider-Man apparaît pour la première fois.

Tous les trois, ils développent ce qui sera connu comme la "méthode Marvel", une manière de produire des comics qui repose d'abord sur le dessinateur : contrairement à un scénario que l'artiste doit suivre, le scénariste (généralement Stan Lee) donnait une intrigue à l'artiste (Jack Kirby ou Steve Ditko) en quelques mots, puis le laissait libre d'imaginer le récit qu'il voulait. Un procédé octroyant assurément plus de liberté au dessinateur, mais ne permettant pas de connaître la contribution précise de chacun sur un titre.

 

photoLe trait de Kirby est quand même resté dans l'homme que sauve Spider-Man

 

Encore aujourd'hui, il y a de nombreux débats concernant qui a créé quoi et l'apport créatif de Stan Lee, Steve Ditko et Jack Kirby dans les différentes créations de Marvel du début des années 60. Cet article n'a pas vocation à défendre une version plutôt qu'une autre ou minimiser le talent de qui que ce soit, mais simplement de rendre compte du travail phénoménal accompli par Kirby dans la fondation de l'univers de Marvel.

Depuis, il a cependant été établi que Stan Lee a revendiqué la paternité de plusieurs personnages dont il ne s'est contenté que d'écrire les dialogues (laissés dans la marge par Kirby dans certains cas) et qu'il s'est approprié le mérite du travail de son partenaire sur de nombreux titres, dont Fantastic Four. À l'époque, Jack Kirby n'est payé que 25 dollars la planche (soit environ 230$ aujourd'hui) et travaille jusqu'à 13 heures par jour pour pouvoir tenir ses délais et nourrir sa femme et ses quatre enfants.

 

photoUne des histoires mémorables des Quatre Fantastiques

 

Après les Quatre Fantastiques et Spider-Man, Lee et Kirby reprennent la figure de la créature de Frankenstein et la thématique du monstre pour créer Hulk. Puis le dessinateur puise à nouveau dans ses connaissances mythologiques en amenant une divinité nordique sur Terre avec Thor (avec un scénario toujours signé par Lee).

Les numéros s'enchaînent avec toujours autant de succès, alors le duo continue avec Ant-Man et la Guêpe, puis Sgt. Fury and His Howling Commandos, dans lequel Kirby s'inspire encore de ses souvenirs de guerre pour composer certaines cases. Comme avec Spider-Man, il fournit le premier dessin d'Iron Man, qui sera ensuite repris par Don Heck.

 

photoLa première armure de Tony Stark, imaginée par Jack Kirby

 

Une fois que les personnages sont suffisamment nombreux, Lee et Kirby décident de former une autre équipe avec certains d'entre eux, les Avengers, une initiative qui s'inscrit dans la vision du scénariste d'un univers où les héros et les histoires s'entrecroisent entre chaque titre. Captain America fait son retour chez Marvel dans le numéro 4 des Avengers, puis les personnages continuent de se multiplier au fur et à mesure dans l'univers de Marvel. 

La lutte pour les droits civiques s'intensifie à travers le pays et se retrouve directement dans la création des X-Men, Martin Luther King étant incarné par le Dr Xavier d'un côté, et Malcolm X par Magnéto de l'autre, tous les deux voulant défendre les mutants, rejetés pour leur différence.

 

photoPas encore de fauteuil trop stylé pour le Dr Xavier

 

La charge de travail oblige Jack Kirby à passer le relais à d'autres dessinateurs après les premiers numéros de la plupart des titres et se concentrer sur Fantastic Four. Le dessinateur pouvant totalement s'approprier sa création, ses récits présentent alors des mondes fantastiques qui présagent déjà de ses envies de saga cosmique. Il continue de moderniser sa narration, pour la rendre encore plus dynamique, et introduit des concepts qu'il poussera encore plus loin quelques années après.

 

photoLa machinerie, le costume de Galactus, la position du Surfer, tout est brillant


Dans Fantastic Four, où apparaissent pour la première fois les Inhumains et Black Panther, premier super-héros noir de l'histoire, Kirby exprime encore un peu plus sa créativité dans les décors du Wakanda, imagine des machines et des véhicules au design aussi fascinant qu'invraisemblable et se tourne toujours vers l'espace avec Galactus et le Surfer d'Argent.

Il expérimente de nouvelles techniques, avec de nouvelles dimensions qu'il représente par des collages et démocratise ses fameux "Kirby Krackle" (ou ""Kirby Dot"), des points noirs et épais qui représentent les champs énergétiques et l'énergie cosmique dans un crépitement explosif. 

 

photoUn détail qui deviendra la marque de fabrique du dessinateur

 

Marvel poursuit son expansion, par-delà les comics avec les films et les séries, mais la situation ne convient plus à Jack Kirby. Il ne supporte plus l'ego de Stan Lee, le culte de la personnalité qu'il entretient en affichant son nom partout en première page de chaque titre, et se sent exploité, prisonnier. Il prend conscience qu'il ne touchera jamais les sommes et les pourcentages promis par Martin Goodman à l'époque et ne sera jamais reconnu pour tout ce qu'il a accompli, aussi bien comme dessinateur que scénariste. 

 

photoUn des collages de Kirby, technique qu'il continuera d'expérimenter au grand dam des imprimeurs

 

À cause des problèmes de santé de sa femme Roz et de sa fille Lisa, Kirby et sa famille vont s'installer en Californie. Martin Goodman profite de la situation et lui fait signer un document indiquant qu'il cède ses droits de Captain America à Marvel en échange d'un prêt pour son déménagement, alors que Joe Simon était en train d'attaquer la société pour les récupérer.

Kirby continue de travailler sur des comics d'horreur et les aventures des Inhumains, mais quand Marvel refuse de négocier son contrat au moment de le renouveler en 1970, il part et leur laisse tout ce qu'il a créé (et qu'ils continuent encore d'exploiter).

photoLe dernier numéro dessiné par Jack Kirby, qui sera remplacé par John Romita

 

Retrouvez la suite de la vie de Jack Kirby : son passage chez DC pour créer Le Quatrième Monde ou Etrigan le Démon et son retour inattendu chez Marvel pour donner naissance aux Éternels...

 

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commentaires
Sprig
31/12/2021 à 12:52

@Kyle Reese et Strange Special Origines surtout sinon on ne connaitrait pas jack Kirby. Spidey à la rigueur car ils publiaient les premiers épisodes des Xmen (al contrario de Special Strange avec les xmen de dave Cockrum avec Byrne plus contemporains).
Si tu ne te souviens plus de Nova, bah c'était celui où les 4 fantastiques étaient publiés.

tym!
10/11/2021 à 16:22

Merci pour cet superbe article où j'ai appris des tas de choses sur ce dessinateur que j'adore depuis ma jeunesse, c'est dingue tout ce qu'il a fait, finalement je n'en connaissais que des bribes :)

SebSeb
09/11/2021 à 17:22

Vous êtes bons EcranLarge. Merci

Kyle Reese
08/11/2021 à 11:05

@Zarbiland

Strange ( avec surtout Spiderman et Iron Man), Super Strange (avec les X-men bien sur ), Titan (Captain Marvel je crois et même Star Wars il me semble), Nova (me souviens plus très bien de celui-ci) quels bons souvenirs toutes ces BD US de mon enfance.
Par contre le papier pas terrible à l'époque.

Zarbiland
08/11/2021 à 08:14

Super article, lecteur assidu gamin des Strange et autres Titan ou Nova je suis dégouté de voir que Kirby n'a pas été respecté dans le développement de Marvel. Hate de lire la suite

Super Zéro
08/11/2021 à 07:16

Les dessins sont moches

Fethi
07/11/2021 à 16:46

Je ne peux que m’associer au concert de louanges : superbe article, merci

l'indien zarbi
07/11/2021 à 13:21

"depuis toujours et l'exprimait déjà à travers les dessins qu'il gribouillait gamin dans la cage d'escalier de l'immeuble du Lower East Side, où il vivait dans la misère avec son père et sa mère, immigrés juifs d'origine autrichienne."
Toujours les mêmes qui ont du talent.
Fatiguants, ces gens

chrifou
07/11/2021 à 11:46

Jack Kirby , le king , le dieu . Encré par Heb Trimb , absulous fabulous . Bref , venez lire mes Stranges , Titans , Novas .

Geoffrey Crété - Rédaction
07/11/2021 à 11:25

@Kouak

On en avait rapidement parlé oui
https://www.ecranlarge.com/films/news/1397564-marvel-pourrait-perdre-les-droits-de-plusieurs-de-ses-heros-dont-spider-man-et-docteur-strange

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