Le Diable pour alibi : critique de l'histoire "vraie" de Conjuring 3 sur Netflix

Judith Beauvallet | 20 octobre 2023 - MAJ : 20/10/2023 23:54
Judith Beauvallet | 20 octobre 2023 - MAJ : 20/10/2023 23:54

Dans la droite lignée de ses usurpations racoleuses de documentaires sur des sujets plus ou moins chocs, Netflix ajoute à son catalogue Le Diable pour alibi, racontant la (soi-disant) histoire vraie derrière le cas Warren qui a inspiré Conjuring : Sous l'emprise du Diable. Réalisé par Chris Holt, le documentaire retrace le parcours de la prétendue emprise diabolique qui a conduit au meurtre d’un homme et au premier procès des États-Unis au cours duquel fut plaidée la possession démoniaque comme circonstance atténuante. Un documentaire aussi fallacieux que le sujet qu’il traite.

Con-conjuring

C’était prévisible : les “woosh” mystérieux, les notes graves, les zooms lents sur des photos présentées comme inquiétantes, les reconstitutions mal jouées... Rien de très surprenant dans la forme racoleuse que Netflix donne à ce documentaire sur un sujet propice au frisson facile. La soi-disant (l’expression “soi-disant” risque d’être beaucoup utilisée dans cette critique) recherche de vérité induite par le format n’interdit pas, après tout, d’essayer de mettre en valeur le potentiel effrayant de l’histoire racontée.

Car évidemment, le public visé est celui qui aura été sensibilisé à cette affaire à travers le film Conjuring : Sous l'emprise du Diable, réalisé par Michael Chaves et sorti au cinéma en 2021. Celui-ci raconte, avec toute la partialité et la grossièreté possible, la manière dont le couple Warren (respectivement démonologue et medium auto-proclamés) a suivi le cas de la famille Glatzel au début des années 80 : d’abord ladite possession du jeune David, puis celle de son beau-frère, Arne Cheyenne Johnson, qui assassina un homme en 1981 et jura avoir agi sous l’emprise du diable.

 

Le Diable pour alibi : photoLe jeune David entourés des escrocs Ed et Lorraine Warren

 

Si Johnson fut bien condamné pour le meurtre d’Alan Bono, il tenta tout de même, sous l’influence des Warren, de plaider la possession démoniaque au tribunal, rendant cette affaire célèbre (bien que le juge refusât immédiatement cette ligne de défense). Se voulant dans un premier temps un prolongement du film pour flatter la même audience, le documentaire de Netflix use et abuse des effets de mise en scène vulgaires pour faire prendre parti au spectateur et présenter cette histoire comme étant celle d’une véritable possession.

Sans grande considération pour la véritable victime de cette affaire, l’innocent qui fut assassiné, le film tente de ne pas s’appesantir sur la gravité des faits (présentés succinctement) pour élaborer davantage sur le décorum de la possession à l’hollywoodienne. L’enfant possédé insultait sa mère, l’enfant possédé grinçait des dents la nuit, l'enfant possédé refusait de manger sa purée... Une poudre aux yeux assez misérable qui peine à cacher sa vraie nature sous les effets grotesques de montage.

 

Le Diable pour alibi : photoLe même David qui, aujourd'hui encore, soutient avoir été possédé

 

La Conjuration des imbéciles

Mais la forme serait bien inoffensive si le documentaire (et, décidément, c’est douloureux de qualifier cet objet de “documentaire”) avait l’honnêteté de diversifier ses intervenants. Or, les seules personnes interviewées sont des membres de la famille Glatzel (dont David et le meurtrier Arne, sorti de prison depuis longtemps), le petit-fils des Warren, un prêtre ayant un jour vaguement travaillé avec le couple... En somme, uniquement des personnes qui ont bénéficié ou bénéficient encore aujourd’hui du retentissement de cette affaire.

Seulement le grand frère de David, Carl, a une vision différente des choses. Âgé de 15 ans à l’époque, il avoue qu’il ne parle aujourd’hui plus à sa famille, et que celle-ci déteste qu’il prenne publiquement la parole sur le sujet. En effet, Carl explique que ce que David, sa sœur ou sa mère n’ont jamais raconté, c’est que le jeune “possédé” appliquait les consignes glissées par les Warren dans les conversations (exemple : si les Warren disaient que les symptômes nécessaires pour établir un cas de possession étaient de parler avec une voix grave, proférer des insultes, vomir ses choux de Bruxelles ou encore ne pas relever la lunette des toilettes, David reproduisait exactement ces comportements quelques jours plus tard).

 

Le Diable pour alibi : photoCarl, le seul sceptique de la famille Glatzel (et du documentaire).

 

Carl est donc sûr et certain que sa famille et les Warren ont tout fabriqué, et c’est le seul à apporter un regard rationnel sur des événements présentés comme surnaturels. Pourtant, malgré tout ce qu’il a l’air d’avoir sur la patate, le documentaire ne lui laisse que très peu de temps de parole, et ne le fait intervenir qu’au bout des deux tiers du film, après des témoignages tous moins solides les uns que les autres.

Tout comme dans Conjuring 3, le fait que la possession démoniaque ait été refusée d’entrée de jeu au tribunal comme ligne de défense est tout juste mentionné au détour d’une phrase et très vite expédié. Aucune personne présente au procès ne témoigne pour relater la manière dont la culpabilité de Johnson a été prouvée de manière rationnelle (même si Carl indique que son beau-frère était très jaloux, et que la victime faisait la cour à sa fiancée), laissant la mémoire de la victime faire office de simple accessoire dans la mise en scène d’un assassin qui, lui, est largement interviewé dans le documentaire.

 

Le Diable pour alibi : photoArne Johnson, meutrier mais filmé comme s'il avait été touché par la grâce

 

 

Toujours plus gros

Bel exemple d’une narration qui ne sait pas comment se dépatouiller d’un sujet faussé de bout en bout, pour n’en tirer que la surface sensationnaliste sans jamais (ô grand jamais) réellement le creuser. Comme par pure obligation déontologique, les dernières minutes du documentaire montrent (enfin) les différents membres de la famille raconter comment ils ont fini par se rendre compte que les Warren leur mangeaient la laine sur le dos et les exploitaient pour s’en mettre plein les poches.

On comprend alors que Judy Glatzel, la mère de David, a été séduite par la vie de rêve que les Warren lui promettaient, à coup de rendez-vous avec des producteurs américains et de cocktails luxueux. Mais tout cela n’a pas duré, et les Glatzel ne se sont faits que peu d’argent avec leur propre (fausse) histoire, là où les Warren se sont grassement enrichis (tout ça sur le meurtre d’un innocent, on le rappelle).

 

Le Diable pour alibi : photoLes réactions de Judy Glatzel et Lorraine Warren en recevant leur chèque

 

Encore une fois, les informations sont à peine effleurées, et la technique de manipulation des Warren n’est jamais détaillée (et pour cause, puisqu’il deviendrait sans doute très facile, dès lors, de comprendre à quel point l’histoire de possession a été montée de toute pièce sur la base d’une vague crise d’adolescence).

Il y aurait d’ailleurs beaucoup plus à raconter sur les horribles personnages qu’étaient réellement les Warren, mais là encore, le documentaire préfère s’en tenir là et revenir aux effets de montage et bruitages de maison hantée pour conclure sur une histoire bâclée. Sans aucune véritable envie d’informer ou de faire office de document un peu sérieux sur le sujet, le film exécute une pirouette pour enjoliver son aveu d’échec et espérer que les spectateurs ne remarqueront pas le fantastique déséquilibre entre l’exposition des “faits” et le semi-dévoilage des coulisses de cette arnaque.

Le Diable pour alibi est disponible sur Netflix depuis le 17 octobre 2023 en France

 

 

Le Diable pour alibi : Affiche US

Résumé

Un soi-disant documentaire sur un soi-disant cas de possession qui n'est jamais étudié sérieusement : la formule Netflix préfère rester dans le sensationnalisme cheap pour flatter les envies de frissons des spectateurs plutôt que de leur apprendre des choses. Reconstitutions gênantes et ton racoleur, on se fiche ici des vraies victimes de cette histoire pour toujours mieux surfer sur la marque Warren.

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Lecteurs

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commentaires
Stefou49
22/10/2023 à 13:39

Conjuring 3 était vraiment pas terrible. En fait à part les deux films réalisés par james wan il n'y a rien d'extraordinaire dans cet univers. C'est dommage parce que le pitch de base est vraiment intéressant mais tout est formaté et plat.

L'autre
21/10/2023 à 11:54

merci Cidjay....hélas la société actuelle n'en a cure

Mathilde T
20/10/2023 à 15:50

Jamais été attirée par la saga Conjuring et la critique du documentaire qui ne semble valoir que pour le témoignage sceptique confirme mon opinion sur les Warren.
@Cidjay +10 je suis d'accord sur le principe mais posséder une culture aussi forte, voire supérieure aux tarés de Dieu aide à les éviter plus vite j'en sais quelque chose ;)

Cidjay
20/10/2023 à 13:17

Des cas sociaux fans de religion... ça ne pouvait que mal tourner de toute façon.
Pensez à vos enfants, pour leur santé mentale tenez les éloignés de toute forme de religion avant leur majorité.

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