Critique : Un crime dans la tête

Stéphane Argentin | 3 novembre 2004
Stéphane Argentin | 3 novembre 2004

Gonflé le Jonathan ! Après nous avoir livré (avec le résultat peu glorieux que l'on sait) un remake du Charade de Stanley Donen, le voilà qui s'attaque à présent à une autre perle des années soixante : Un crime dans la tête. Le réalisateur de joyaux tels que Philadelphia ou encore Le Silence des agneaux serait-il en mal d'inspiration passé une décennie de réussite ? Sûrement pas ! Autant sa Vérité sur Charlie était indigne de la qualité de ses mises en scène précédentes (et accessoirement indigne de l'original), autant John Frankenheimer ne se retournera pas dans sa tombe devant la version 2004 de son film, tant celle-ci parvient habilement à renouveler le propos.

D'ailleurs pleinement conscient de toutes les qualités et de la force du script de départ, Jonathan Demme, ou plus précisément les deux co-scénaristes, n'ont même pas cherché à s'éloigner radicalement de l'original, et se sont contentés d'une « réactualisation » pour le moins habile. Situé à l'origine en pleine guerre froide, dans un climat de suspicion extrême où le bloc de l'Ouest voyait sans cesse rouge (le film de Frankenheimer sortira d'ailleurs en octobre 62 aux États-Unis, soit en pleine crise des missiles de Cuba !), le best-seller de Richard Condon trouvait là un formidable creuset pour amplifier son apologie sur la manipulation psychique et l'abus de pouvoir. De cette période, le film de Demme conserve, comme un clin d'œil à l'original, une part d'identité visuelle : le générique d'ouverture, de nombreux décors autour de la campagne électorale, sans oublier les scènes dans le Golfe qui arborent le rouge. Un conflit que l'intrigue prend comme prétexte pour transposer l'action à notre époque et exploiter, non plus la guerre de Corée, mais l'affrontement américano-iraquien (en majorité) et son célébrissime « syndrome de la guerre du Golfe ».

Les officiers Ben Marco (Denzel Washington, rôle tenu dans l'original par Frank Sinatra) et Raymond Shaw (Liev Schreiber) auraient donc été conditionnés au cours de cette guerre dans un but précis qui ne surprendra guère les connaisseurs de la version 1962, puisque ce remake en reprend toute la chronologie événementielle ainsi que toutes les scènes clé (le lac, la rencontre dans le train, la conclusion…). Mais après tout, à quoi bon les écarter puisqu'elles s'inscrivent encore à merveille dans la trame actuelle, le seul changement majeur concernant le personnage de Shaw, qui mène à présent sa propre campagne en lieu et place de son beau-père.

Et si les scènes restent, le climat, lui, change. De la suspicion communiste, le récit passe à présent à la paranoïa, plus ou moins aiguë selon les personnages. Un climat autrement plus crédible à notre époque et qui tend à placer le spectateur dans un état de méfiance. Un état mental qui se manifeste à présent à l'écran par de légers mouvements d'aller et venue d'une caméra légèrement inclinée, comme pour mieux souligner le malaise, le trouble dans la tête des protagonistes, et non plus de gros plans fixes dans un noir et blanc splendide sur des visages en sueur aux yeux écarquillés. Directeur photo attitré de Jonathan Demme depuis plus de dix ans maintenant, Tak Fujimoto réussit une fois encore à nous plonger dans un univers opaque, comme s'il cherchait à sonder les cerveaux.

Des esprits manipulés à présent à l'aide d'implants et autres technologies de pointe, et non plus par un simple jeu de solitaire. Des procédés aujourd'hui tout aussi crédibles que l'hypnose de l'époque, et qui aident à parfaire ce climat de paranoïa. Les deux officiers-pantins sont-ils surveillés en permanence à leur insu ? Si certaines scènes pour le moins « graphiques » s'aventurent dans cette voie, dont un joli coup de dent en hommage au Silence des agneaux, c'est avant tout au jeu des acteurs que l'on doit ce sentiment d'épiage permanent. D'un côté, Denzel Washington, incompris, paniqué et seul contre tous, de l'autre Meryl Streep, femme de pouvoir manipulatrice, et enfin, au centre, Liev Schreiber. Tout trois campent ici à merveille les trois sommets de cette sombre machination au cœur d'un film qui réussit, contre toute attente, à nous interpeller encore aujourd'hui sur les déviances du pouvoir. Peut-être même encore plus aujourd'hui qu'hier !

Les analogies du scénario version 2004 avec une certaine forme d'actualité, y compris dans la filmographie du réalisateur (The Agronomist ), sont ainsi par trop évidentes pour ne pas éveiller la curiosité. Un politicien manipulé par l'armée (elle-même sous le joug d'une multinationale) en vue d'accéder au pouvoir, tout en arborant fièrement comme slogan : « Vers un avenir meilleur », tandis qu'en face, un homme tente seul d'enrailler toute cette machination et de rendre le pouvoir au peuple. Difficile de ne pas regarder alors au-delà du simple thriller politique de divertissement. Et si ce Crime dans la tête version 2004 parvient à opérer avec succès sa mise à jour, c'est peut-être bien finalement en nous enfonçant imperceptiblement et petit à petit ces notions là à l'intérieur du crâne…

Résumé

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