The Practice - Saison 1

Stéphane Argentin | 16 août 2007
Stéphane Argentin | 16 août 2007

David E. Kelley. Un nom aujourd’hui (re)connu par tous les sériephiles au même titre que les Steven Bochco, Dick Wolf, Donald Bellisario, Aaron Sorkin, David Chase, J.J. Abrams et autres Joss Whedon. Et pourtant, à l’heure où certains d’entre eux s’illustraient déjà, le nom de Kelley ne figurait même pas sur la liste des techniciens de surface des networks américains. Tout bascula en 1997 lorsque Kelley mit sur pied deux séries en parallèle : Ally McBeal (1997-2002) et The Practice (1997-2004), non sans s’être déjà fait la main au préalable sur différents shows tels que La Loi de Los Angeles (1986-1992) et Chicago Hope (1994-2000).

 

Avec ses deux créations, Kelley allait définitivement marquer de son empreinte le paysage télévisuel dans un domaine bien précis : celui des séries dites « juridiques », et plus précisément d’avocats. Soit l’un des trois registres les plus prisés par les networks outre-atlantique aux côtés des fictions médicales et policières. Et si ces deux dernières s’exportent admirablement bien jusque dans nos vertes contrées avec le succès que l’on sait (Urgences, Grey’s anatomy, Les Experts & Cie…), les premières restent davantage ancrées dans la culture américaine – en dehors de nos productions du cru type Avocats & Associés, Les Cordier, juge et flic ou encore Alice Nevers, le juge est une femme, on ne trouve aucune trace de séries américaines juridiques en prime time, tout du moins sur les grandes chaines. Quoi de plus normal après tout pour un pays (celui de la grande Constitution des États-Unis d'Amérique et de ses fameux amendements) où l’on dégaine du « vous aurez affaire à mon avocat » aussi facilement que l’on commande un double cheeseburger au fastfood du coin ? Rien d’étonnant non plus, depuis l’apparition en 1990 du poids lourd du genre qu’est Law & Order (série mi-flic / mi-barreau de par son principe même de scission des épisodes en deux parties distinctes), à ce que tous les networks cherchent à tous pris à s’armer de shows dans ce registre (et dans les deux autres susnommées également).

 


Mais pour l’heure, et ce depuis déjà plus d’une décennie, le secret de la potion magique est jalousement gardé par un seul homme : David E. Kelley. Quoi de plus normal là encore pour un ancien du barreau qui, du jour au lendemain au milieu des années 1980, troqua sa toge contre un aller simple pour Hollywood, département scribouillards pour networks. Il faut dire également qu’avant de donner naissance à ses deux « bébés télévisés », Kelley alla à bonne école en travaillant aux côtés de rien moins que Steven Bochco, master es drama policier (les mythiques NYPD Blue et Capitaine Furillo, dont on s’interroge toujours des années après de la traduction française du Hill street blues original), tout en maîtrisant déjà aussi bien le scalpel (Chicago hope, une série médicale, soit l’essence même du fiction drama) que les zygomatiques (Docteur Doogie, 1989-1993).

 

Lorsque The Practice, considéré aujourd’hui encore comme le summum du genre, débarque sur les écrans d’ABC au printemps 1997 (le 4 mars pour être précis), Kelley y injecte alors tous ses précis acquis, soit des affaires judiciaires traitées avec panache et rigueur mais non sans un certain humour, le tout saupoudré d’une grosse pincée de drama et d’un soupçon d’intrigues « feuilletonantes » (tout le contraire du très procédural Law & Order). Le succès est immédiat (et se prolongera sur huit saisons) car la formule est imparable. Tellement imparable que Kelley, toujours pour le compte d’ABC, l’a déjà décliné depuis en un spin-off tout aussi prolifique, Boston justice, lancé en 2004. Soit au moment précis où The Practice tirait sa révérence. Différence de culture oblige (celle-là même évoquée en préambule), le concept pourra apparaître quelque peu hermétique aux yeux d’un public « non-américanisé », mais il sera malgré tout bien difficile de rester insensible aux qualités intrinsèques de The Practice, Kelley ayant pris soin de traiter de sujets suffisamment « universels » pour ratisser large côté cour. Ce sont ainsi non pas une mais deux ou trois affaires en parallèle qui sont abordées par épisode (voire même parfois sur plusieurs épisodes) et de surcroit sur des thèmes particulièrement sensibles : tabagisme, drogue, prostitution, euthanasie, auto-justice… Soit autant de problématiques mondialement connues mais traitées avec une intelligence rare et une non moins grande sensibilité en jaugeant du pour et du contre de chaque cas. À ce titre, certains épisodes n’hésitent d’ailleurs pas à remettre en cause la fonction même d’avocat en abordant de front les parjures et autres vices de procédure, voire l’essence même de la profession : la croyance de l’avocat en l’innocence de son client.

 


Car si Kelley s’autorise quelques minauderies et autres légèretés, ou encore quelques intrigues dignes de bons polars (le guest starring de Kim Raver en femme fatale manipulatrice dont on doutera de l’innocence jusqu’à la toute dernière minute), c’est avant tout et surtout lorsque les avocats du cabinet « Donnell & Associés » ont le nez plongé dans leurs énormes dossiers ou bien lorsqu’ils franchissent le pas de porte d’un tribunal que Kelley excelle le plus. Vulgarisant autant que possible le jargon du milieu, l’ex-avocat à la ville (et accessoirement époux de Michelle Pfeiffer) rend les différentes affaires accessibles au commun des mortels tout en amenant à s’interroger sur les thèmes abordés avec une verve peu commune. En la matière, seuls Aaron Sorkin (À la Maison Blanche, Studio 60 on the Sunset Strip) ou encore David Shore (Dr House), par ailleurs « executive story editor » sur The Practice, peuvent prétendre rivaliser. Déclamés par des comédiens évoluant tels des poissons dans l’eau mais qui n’ont pour la plupart que très peu fait parler d’eux depuis l’arrêt de la série (à la seule exception de Lara Flynn Boyle), les succulents dialogues de The Practice sont de surcroît relayés à l’écran par une réalisation tout à la fois posée, appliquée et inspirée lors des scènes sur les lieux du crime : les salles de tribunal. Dans ce domaine, seul le récent Shark, « piloté » par Spike Lee, peut soutenir la comparaison.

 

Shark : l’un des très rares survivants parmi les shows du même « genre » ayant vu le jour ces dernières années et qui a su séduire le public (13,7 millions de téléspectateurs en moyenne pour sa première saison 2006-2007 aux États-Unis). Pour les autres, l’hécatombe fut systématiquement au rendez-vous à plus ou moins courte échéance. Jerry Bruckheimer s’y est cassé les dents avec Just legal (8 épisodes, 2005), comeback avorté de Don – Sonny Crockett – Johnson ou encore Justice (13 épisodes, 2006), tentative risible de croisement entre le monde des avocats et Les Experts ; et seul son Juste cause (44 épisodes, 2005-2007), guère plus inspiré, aura survécu deux saisons. Dick Wolf lui-même, pourtant grand pope du genre avec ses trois franchises Law & Order (District, Unité spéciale et Section criminelle) s’est retrouvé au tapis avec Trial by jury (13 épisodes, 2005), troisième variante de Law & Order, puis Conviction (13 épisodes, 2006). Enfin, Tom Fontana s’est lui aussi vu condamné avec le pourtant excellent The Jury (10 épisodes, 2004), dernier volet de sa trilogie consacrée au système judiciaire américain après Homicide (1993-1999, 7 saisons) et le monument Oz (1997-2003, 6 saisons) et qui remettait une nouvelle fois en cause l’institution elle-même basée sur son seul maillon faible : l’Homme et son rêve utopique de justice basée sur l’impartialité, l’objectivité et « toute la vérité ». À ce jour, cette variation sur le sujet croisée avec le chef d’œuvre de Sidney Lumet 12 hommes en colère reste la plus originale qui soit avec, en climax de chaque épisode, la mise en parallèle entre le verdict du jury et la vérité des faits et cette question angoissante : les jurés se sont-ils trompés ? Ont-ils condamné un innocent, libéré un coupable ou bien rendu un verdict juste et équitable ? Un verdict prononcé au terme de multiples délibérations, elles-mêmes conséquences directement du procès, théâtre de joutes verbales parfois (souvent ?) très virulentes entre deux individus : un procureur et un avocat de la défense.

 

Aujourd’hui, dans le monde de requins qu’est celui des avocats, seul un véritable Carcharodon carcharias (revoir Les Dents de la mer pour la définition de ce barbarisme latin) comme l’immense James Woods, prodigieux dans le rôle de Sebastian – Shark – Stark quoiqu’un tantinet pompé sur le personnage du Dr House, pouvait donc survivre aux côtés de la baleine William Shatner et de son poisson-pilote James Spader dans Boston justice. Qui, du carnassier ou du mammifère marin, survivra le plus longtemps dans les eaux troubles de la série d’avocats ? Pour l’heure, du haut de ses huit saisons pour un total de 168 épisodes, The Practice reste la tenante du titre, LA réussite majeure du genre.

 

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