Une année, un film : Les oeuvres qui ont marqué Eric Valette (2)
Le 25 novembre prochain sort Une affaire d'Etat, un modèle de polar à l'efficacité redoutable (lire notre critique) signé par un cinéaste français qui était parti depuis quelques années aux Etats-Unis, Eric Valette. Pour vous donner envie d'aller découvrir un film haletant qui renoue avec un genre (mixant policier et politique) que le cinéma français a laissé tomber depuis trop longtemps, on a donné la parole à son auteur pour qu'il évoque les films qui l'ont marqués au cours de sa vie. On a donc repris le jeu horrible auquel on avait soumis Rémi Bezançon il y a plus d'un an (lire ses choix), à savoir choisir un (et seulement un) film phare par année de sa vie et nous raconter pourquoi ce dernier a marqué sa vie de cinéphile (pour ce jeu, on tient compte de la sortie du film en salles françaises).
Après les 5 premiers choix d'Eric Valette allant de 1967 à 1971 (à découvrir ici), voici les 5 suivants.
1972
French Connection de William Friedkin
Dans le sillage du superbe Bullit réalisé 4 ans avant, Friedkin réinventait le polar stylistiquement, avec une approche rugueuse et documentaire. Certains ont eu tendance à n'en retenir que la géniale scène de poursuite en voiture (comme pour Bullit d'ailleurs), mais le film dépasse -et de loin- l'exercice de style. Les personnages de Hackman et Scheider, le ton existentialiste et désabusé, la justesse sociale, la séquence finale incroyable, tout est mémorable dans le film...
1973
La Brute, le Bonze et le Méchant de Chang Cheh et Pao Hsueh Li
Sous ce titre on ne peut plus débile typique des 70s se cache la sortie française d'une perle de la Shaw Brothers, le fameux The Boxer From Shantung réalisé (en partie) par le prolifique et flamboyant, Chang Cheh, réalisateur sous contrat du studio qui enchainait les films sans flancher à l'époque.
Ici, il s'intéresse à l'ascension sociale d'un jeune paysan habile de ses poings au sein d'un gang dans le Shangai des années 20 et sa plongée dans la corruption, le tout sous-endu par une histoire d'amitié trèèèès virile comme Chang Cheh les affectionne.
Construit de façon très classique, The Boxer From Shantung prend son temps et ne cesse de monter en puissance jusqu'à un final anthologique rouge écarlate où la rage de vaincre et la sauvagerie héroïque prennent des dimensions rarement atteintes à l'écran. John Woo, jeune assistant sur le film, n'a sans doute pas oublié la force de ses images.
1974
Operation Dragon de Robert Clouse
La même année que le génial L'Exorciste, sacrilège! Un ami me disait qu'on avait tort d'associer les termes "plaisir" et "coupable" et je crois qu'il a raison. Je vais donc utiliser le terme "plaisir simple". Il y avait tout ce que j'aimais au cinéma quand j'ai découvert Operation dragon en salles probablement aux alentours de 78-79, date à laquelle il était souvent repris car Bruce Lee était une valeur sûre "bouche-trou" des programmateurs. En soi, c'est un film très pauvrement réalisé, mais transcendé par sa générosité et son mélange des genres: Kung-Fu+James Bond+ Blaxploitation, le tout avec des éléments sadiques, érotiques et un exotisme de pacotille séduisant. C'est du pur cinéma jouissif quand on est gamin. Et en ce qui me concerne, ça le reste encore.
La Rançon de la peur de Umberto Lenzi
Les Dents de la mer ayant été distribué tardivement en France, je me retrouve piégé sur l'année 75 et je choisis donc un outsider, manifestement distribué en province uniquement cette année-là. Mais quel outsider! Un énorme brûlot nihiliste, mal élévé et franchement hargneux, à la violence tétanisante. Tomas Milian en bête sauvage sacrifiant tout à ses instincts porte haut la folie de son personnage et Henry Silva incarne avec toute sa froideur sa Nemesis jusqu'auboutiste, dans une Italie ravagée par la violence sociale filmée à ras du caniveau. Umberto Lenzi allie anarchiquement inspiration foudroyante et mauvais goût le plus total. Coup de chance peut-être, mais coup de maître.
1976
Taxi Driver de Martin Scorsese
Les films de sociopathes me fascinent, probablement parce que je le suis un peu moi-même d'une certaine façon. Taxi driver est le film de sociopathe ultime, un vrai film à la première personne qui ne lâche jamais son sujet et son personnage. Le regard de Scorsese est très viscéral et humain, mais, toujours plein d'humour. De Niro y est incroyablement émouvant, dans un de ses rôles "cameleon" où il s'efface totalement derrière son personnage et où Scorsese sait si bien le faire briller, comme il le prouvera par la suite dans Raging Bull et La Valse Des Pantins.