Clair Obscur, Renoir et RPG
Dès son prologue, Clair Obscur déploie un charme infini pour saisir le joueur et le capturer dans son tableau. Son monde, façonné dans une esthétique Belle Époque, imagine un Paris alternatif (appelé Lumière) et piégé dans un univers chaotique, semblable à un somptueux cauchemar. Tout y apparaît comme insolite – du bestiaire aux personnages jusqu’à la structure du monde et son fonctionnement. Alors qu’il est en terre inconnue, c’est au joueur de s’adapter à cette uchronie et de l’apprivoiser doucement.
Sans nous balancer au visage une mythologie abondante et verbeuse et sans nous surexpliquer quoi que ce soit, Clair Obscur nous embarque dans son voyage en comptant en tout premier lieu sur la qualité de sa direction artistique. Sandfall paraît alors avoir une confiance totale dans les talents qui composent son équipe. Le studio sait que le joueur sera envoûté par les mystères de son univers et par sa force évocatrice.
En ça, Sandfall est un bon disciple de From Software (Elden Ring, Dark Souls) qui a toujours imposé son lyrisme cryptique au joueur sans chercher à se justifier. La filiation avec le studio japonais ne s’arrête pas là puisque Expedition 33 va aussi chercher certaines de ses inspirations dans l’ADN crépusculaire des Souls (notamment dans ses design de monstres). Au grotesque absurde se mêlera donc une beauté picturale qui évoque presque les salons artistiques parisiens du XIXe siècle. Une rencontre miraculeuse entre Miyazaki et Renoir.
C’est donc un jeu singulier. Chaque monstre, chaque ville, chaque décor semble sorti d’un tableau mouvant. Le jeu ne peut certes viser la surenchère technique – qui lui est impossible vu les limites de sa production –, mais il peint son identité sur la toile de l’artiste. Pensons à la photographie. Quand elle a été inventée, la peinture ne pouvait plus rivaliser. Comment battre une technologie qui reproduit le réel mieux qu’aucune œuvre d’art ne le fera jamais ? La peinture n’en est pas morte autant. Et l’impressionnisme est né, par exemple, ne visant plus la perfection, mais l’émotion. Voilà à quoi acquiesce Clair Obscur. Techniquement, le jeu n’est pas parfait, mais visuellement, il impressionne.

Il y a bien des choses que l’on pourrait évoquer pour illustrer la réussite de l’esthétique de Expedition 33. Mais pour aller au plus simple, on citera ici ses deux plus gros atouts, en commençant par la world map du jeu. Cette carte interactive permet au joueur de parcourir à grande vitesse le monde de Clair Obscur tout en maintenant la sensation d’un périple de grande ampleur. En plus d’être un bijou de game design (notamment sur la gestion du contenu secondaire du jeu), cette carte est une merveille visuelle. En la parcourant, elle donne le sentiment d’un diorama animé ou d’un jardin secret qui nous invite à son exploration complète.
À cela s’ajoute enfin la bande-son signée Lorien Testard. Un point qu’il était absolument impossible de taire tant c’est ici le catalyseur de tout le brio artistique du jeu. Le travail musical sur Clair Obscur est titanesque (on compte huit heures de bande-originale !) et justifie presque à lui seul son voyage. Son orchestration, riche, épique, émouvante, fonctionne quasiment comme une chanson de geste qui (par la poésie et la mélodie) accompagne le récit d’une narration soutenue. Chaque morceau sert l’atmosphère de chaque lieu du jeu. Chaque texte raconte, avec discrétion, l’un des secrets que murmure le monde de Clair Obscur.
Sans parler du rôle extraordinaire qu’elle tient dans la mise en scène. Expedition 33 est une odyssée visuelle d’exception ; c’est aussi un ravissement sonore comme on en vit rarement dans le jeu vidéo.

Vers Solitaires
Artistiquement, Clair Obscur est brillant. Mais qu’en est-il de son récit ? C’est un RPG après tout, et il se revendique de jeux comme Final Fantasy, Lost Odyssey ou les Persona. Alors au-delà de son style, il se doit d’avoir en son sein une intrigue complexe, captivante et pleine de surprises. Reprenons le synopsis du jeu (sans aucun spoilers).
Dans le monde de Clair Obscur, une entité mystérieuse connue sous le nom de La Peintresse efface chaque année un chiffre… et avec lui, tous les humains qui ont cet âge. Alors que l’année du 33 approche, une expédition désespérée est envoyée (après de nombreuses autres) pour briser ce cycle destructeur qui ne pourrait aboutir qu’à l’anéantissement total de l’humanité. Nos protagonistes doutent bien d’être capable de triompher de la Peintresse, mais ils espèrent au moins pouvoir découvrir quelques-uns des secrets de ce monde avant de disparaître.

Voilà un pitch qui fait envie, n’est-ce pas ? Loin des fables optimistes, Expedition 33 (qui ne renie toutefois jamais sa soif d’aventure) s’impose avec un ton bien plus mature, voire carrément baroque. L’idée de suivre des protagonistes déjà résolus à mourir face à une horreur cosmique qui les dépasse, c’est quelque chose qu’on n’a pas souvent vu dans ce genre de jeu.
Et ça aurait déjà bien pu suffire à faire de Clair Obscur un titre atypique, en s’accrochant à ce concept jusqu’au bout. Mais une fois de plus, Sandfall ne se contente pas que de ça. On ne révèlera rien ici, rassurez-vous. Il est par ailleurs – vraiment – impératif de découvrir cette histoire et ces multiples rebondissements par vous-même. Fuyez tous les spoilers comme la peste. Sachez juste que Clair Obscur : Expedition 33 cache bien son jeu.

En 60 heures (dont 30 heures facultatives), le RPG de Sandfall ne cesse de se réinventer tout en poussant son joueur à réévaluer le récit entier du jeu sous une nouvelle perspective à chaque nouveau twist. Ainsi, ce qui démarre comme une course contre-la-montre (diablement efficace) bascule au bout d’un moment vers quelque chose d’assez différent. C’est une ambition narrative assez étonnante pour un tout premier jeu et beaucoup risquent d’être surpris.
Il est d’ailleurs possible que le scénario de Clair Obscur divise et perde certains en cours de route. Mais on ne pourra retirer l’audace du studio d’être allé aussi loin dans sa mythologie (ce qui fait aussi le charme des JRPG quelque part) et de la cohérence globale qu’a celle-ci au bout du compte. Toute cette histoire aboutira à un feu d’artifice final d’émotions dantesque avant une conclusion bien plus ambiguë… Le « clair obscur » moral de cette fin laisse songeur. Très loin d’une fin clichée ou attendue, il s’en dégage un je-ne-sais-quoi assez rare. Difficile à décrire, mais profondément mélancolique.

Un défi grisant
Pour ne rien gâter, Clair Obscur est aussi (et même surtout) un formidable objet sur le plan du game design. On a un peu évoqué l’exploration et la mise en scène, mais c’est bien du côté de l’action et du pur gameplay que le jeu de Sandfall s’accomplit comme un joyau du genre. Prêt à dynamiter le style des combats au tour par tour (que beaucoup méprisent par principe), Expedition 33 révolutionne du même coup l’action-RPG en associant avec brio une pléthore de bonnes idées.
Voilà comment un petit studio indépendant prouve qu’avec du talent et de la passion, on surpasse les productions triples A en termes d’ingéniosité. Sandfall nous livre alors un système de combat hybride, nerveux, malin, où le joueur ne quitte jamais son rôle actif. Contrairement aux jeux tour par tour classiques, il est obligatoire d’être ici vigilant même pendant le tour adverse. Le jeu nous invite à esquiver, parer avec précision et apprendre le tempo de chaque ennemi.

Cette mécanique d’esquive/parade très précise semble inspirée du Sekiro de From Software (et oui, encore eux). Bien que ce soit loin d’être un J-RPG, le directeur de Sandfall (Guillaume Broche) a tout de même tenu à intégrer à Clair Obscur des idées de gameplay qui lui plaisent, même venant d’autres types de jeu. Il fallait tout simplement y penser, mais le résultat est génial. Avec une parfaite exécution du studio, on se retrouve ainsi avec un mode de combat au tour par tour passionnant et extrêmement exigeant.
Un système qui trouve évidemment son apogée dans les affrontements de boss – obligatoires ou facultatifs – qui profitent autant des fulgurances de mise en scène que de l’adrénaline procurée par le gameplay. Face aux plus dangereux boss, la moindre erreur peut coûter cher et il faudra suer pour en venir à bout. Il faut le dire, on n’aurait jamais cru retrouver les peines et les joies d’un Elden Ring ou d’un Sekiro dans un RPG au tour par tour, et pourtant… nous voilà.

Si les parades et les esquives ajoutent énormément aux combats, l’intelligence des constructions de builds autour de pouvoirs passifs et actifs de chaque personnage est aussi à saluer. Dans Clair Obscur, le joueur doit se retourner la tête pour trouver comment aborder chaque pic de difficulté du jeu tout en cherchant le style qui lui plaira le plus. Les possibilités sont nombreuses et la polyvalence des mécaniques (visée libre, lumina, picto, différente armes, etc.) donnent matière à réflexion. Et quand ces réflexions payent en plein combat, c’est d’autant plus gratifiant.
Pour les plus hardis, Clair Obscur propose aussi des boss facultatifs absolument cauchemardesques à vaincre. D’ailleurs, puisqu’il est possible de faire l’entièreté du jeu sans prendre un seul dégât, on est bien curieux de voir qui seront les premiers fous furieux à tenter l’exploit dans le mode de difficulté le plus élevé.
En bref, Expedition 33 est virtuose dans quasiment tous les domaines et sera même capable de contenter des joueurs préférant la technicité des combats à l’expérience narrative. Dans un cas comme dans l’autre, le jeu de Sandfall est une grande leçon de jeu vidéo. C’est un titre, certes plus modeste techniquement qu’un triple A lambda, mais qui ouvre tellement de nouveaux sentiers pour le monde du RPG.
Clair Obscur: Expedition 33 est disponible depuis le 24 avril 2025 sur PC, Xbox Series X|S et PlayStation 5. Ce test a été effectué sur PC.

Un jeu absolument génial, à tout point de vue.
Va falloir que je mette mes mains dessus! J’étais super intrigué mais là avec tous les critiques positives qui pleuvent, je suis hypé!
Cette date est à marqué d’une pierre blanche…
Enfin un test/critique d’ecran large avec lequel je suis d’accord 😉
Le jeu est une lettre d’amour au JRPG tour par tour de l’époque 90-2000, une histoire prenante, ambiance mélancolique, combats tactiques et des musiques envoûtantes.
Graphisme d’un jeu à moyen budget mais compensé par une jolie direction artistique.
🐓🐓🐓
Oh même vous vous faites un test !
J’avais pas prévu de le faire tout de suite, mais les retours me rendent vraiment curieux donc à mon avis j’y jouerai ce weekend (merci le GamePass).