Films

La Revanche des humanoïdes : le grand space opera du créateur d’Il était une fois… l’Homme

Par Mathieu Jaborska
13 octobre 2022
MAJ : 24 mai 2024
La revanche des humanoides : Affiche de la ressortie

La Revanche des Humanoïdes, le long-métrage d’Albert Barillé, débarque au cinéma dans une version restaurée, grâce à Carlotta.

Si vous avez grandi en France dans les années 1980, 1990 ou même après, il y a de grandes chances que ses personnages soient chers à votre coeur. Maestro, Pierre, Psi, le Nabot, le Petit Gros… Tous évoluent dans les séries d’Albert Barillé, figure très respectée de l’animation française. En 1978, il crée Il était une fois… l’Homme, oeuvre éducative qui rencontre très vite un immense succès, et entreprend dans la foulée de décliner son univers dans plusieurs productions à thème : L’espace, la vie (la vie, la vie, la vie, la vie, la vie…), les Amériques, les découvreurs, les explorateurs, notre Terre

On en oublie souvent qu’il a également réalisé un long-métrage diffusé au cinéma en 1983, La revanche des humanoïdes. Derrière ce curieux space opera animé se cache en réalité plusieurs épisodes de l’étonnante série Il était une fois… l’Espace, remontés, compilés et retravaillés. Le film attendait qu’on le restaure, dans le prolongement du travail effectué sur l’oeuvre de son metteur en scène. C’est désormais chose faite grâce à Carlotta, qui le ressort en prime en salles, puis en vidéo. Et le résultat reste encore très singulier.

 

La revanche des humanoides : photoPierre ? Présent !

 

Il était une fois…

Au début des années 1980, Albert Barillé et sa compagnie Procidis ont largement remporté leur pari. Il était une fois… l’Homme, série éducative qui retrace l’histoire de l’humanité, est un succès phénoménal, peut-être parce qu’elle s’adresse aussi bien aux enfants qu’à leurs parents, qui ne rechignent pas à réviser leur Histoire aux côtés de leur progéniture. Elle a été vendue dans plusieurs dizaines de pays et a fait les grandes heures de FR3.

Il était une fois… l’Espace prend donc directement sa suite et plus particulièrement celle de son dernier épisode, se déroulant dans le futur. Ça tombe bien, la science-fiction est en train de s’imposer à la télévision, dans le sillage du carton de Star Wars et le plus souvent par l’intermédiaire de l’animation japonaise. Goldorak, par exemple, fait le bonheur des gosses de tout poil. Barillé lui-même travaille d’ailleurs depuis plusieurs années avec une production nippone. L’auteur décide alors de son propre chef de garder les mêmes personnages, mais de les adapter à ce nouvel univers, idée qui va par la suite créer l’identité de ses séries.

 

La revanche des humanoides : photoSous l’aile du Maestro

 

Jean Barbaud, responsable du design desdits personnages, nous raconte :

« C’était la volonté d’Albert Barillé de faire des personnages plus « adultes » pour l’Espace, mais basés sur ceux de la série précédente (l’Homme). Le Gros devenait plus musclé pour ne pas paraître obèse. Pierre, un haut gradé quinquagénaire responsable, a adopté un visage plus carré, tandis que Pierrette devint également une femme d’âge plus mûr, Présidente de la Confédération… Évidemment, je n’étais guère séduit par le fait de devoir adopter un style de dessin plus réaliste ! Mais au final, l’ensemble a été adouci et les deux méchants de Cassiopée, avec leurs oreilles façon « Spock », ont aussi conservé leurs nez rouges ! »

Le dessinateur travaille avec Barillé depuis qu’il a été sélectionné par son appel d’offres et il rempile avec plaisir, à l’instar de Michel Legrand, René Borg (qui supervise l’équipe des story-boards) et d’une bonne partie de l’inoubliable casting vocal (Roger Carel, Annie Balestra, Vincent Ropion et les autres). « Avant de se lancer dans une entreprise comme celle-là, on essaie beaucoup de gens, qui nous montrent ce qu’ils savent faire. Le domaine de la science-fiction étant particulier, il y a très peu de gens qui savent faire marcher leur imagination, qui ici ne repose sur rien. Il faut inventer des situations, des êtres, des planètes », expliquait Barillé dans le commentaire du DVD.

 

La revanche des humanoides : photoUn zeste de totalitarisme

 

Il engage alors Philippe Boucher, alias Manchu, qui lui avait recommandé Barbaud, aux décors. Enfant de Kubrick, de Métal Hurlant et de Christopher Foss, c’est un aficionado de la science-fiction qui vient d’ailleurs de participer à la réalisation de la série Ulysse 31, toujours sur FR3 (il est le créateur du fameux vaisseau-oeil d’Ulysse). Originaire du même patelin que son collègue character designer, il lui a fait, de concert avec les Valérian, découvrir le genre. Et à eux deux, ils donnent vie aux scénarios du maestro :

« Albert avait déjà bien abouti son projet et écrivait « en solitaire ». Ceci dit, Manchu a apporté sa vision des vaisseaux qui étaient bien souvent différents de ce qui était prévu dans les scripts. Même chose pour certains paysages peints par Afroula (mon épouse, elle aussi passée par l’École Brassart) et également pour ma version de certains extra-terrestres ou robots. Albert Barillé savait ce qu’il voulait et surtout ce qu’il ne voulait pas, mais nous laissait libres de proposer autre chose qui pouvait parfois le surprendre agréablement. C’était très gratifiant de lui présenter nos dessins et de l’observer tandis qu’il les découvrait. »

Et le résultat est assurément l’un des plus grands accomplissements de Procidis.

 

La revanche des humanoides : photoAvoir la grosse tête

 

La folle histoire de l’espace

Et le film dans tout ça ? Beaucoup n’y voient qu’une compilation des six derniers épisodes de la série. Mais ce n’est pas totalement vrai. Pour citer Barillé :

« Le film est différent de la série, dans le sens où il y a eu quelques plans additifs et un montage particulier, parce que l’on a un peu resserré l’action. Nous arrivons à un ensemble qui se tient. Les personnages se trouvent en but à tout un tas d’entreprises néfastes de la part de forces qu’ils ignorent. Ils vont donc faire de plus en plus connaissance dans le long-métrage. L’action va se préciser et l’on va comprendre ce qui est en jeu. Les personnages principaux n’ont pas cessé d’évoluer. On éprouve le besoin de les actualiser, de les moderniser un peu, et de les rendre moins élémentaires. […] ».

Barbaud nous assure toutefois qu’il n’a pas participé au processus de compilation. Reste que le film, encore aujourd’hui, est très agréable et que son approche du space opera, teintée de la célèbre bienveillance de son auteur, tranche avec les conflits qui régissaient cette frange de la culture populaire à l’époque. Malgré la présence du duo qui met comme à son habitude des bâtons dans les roues des héros, l’antagoniste est en fait un Grand Ordinateur, plus un concept aux antipodes de l’idéal humaniste de l’artiste qu’un véritable méchant de dessin animé. Précisions qu’il n’est pas nécessaire d’être familier de Il était une fois… l’espace ou même de l’oeuvre d’Albert Barillé pour tenter l’aventure.

 

La revanche des humanoides : photoHumanoïdes associés

 

D’aucuns lui reprocheront donc son aspect inoffensif, un brin répétitif sur les bords. Mais c’est oublier que ces 1h40 cristallise en fait tout ce qui faisait l’originalité de la série. En effet, Il était une fois… l’espace, et par conséquent La Revanche des Humanoïdes, reste un peu à part dans l’histoire de Procidis. Contrairement aux séries qui l’encadrent, les cultes Il était une fois… l’Homme et Il était une fois… la vie, elle délaisse un tantinet l’aspect éducatif, sans non plus complètement l’abandonner, pour aborder des thématiques plus sérieuses, comme la guerre, la pollution ou plus généralement l’impact de l’Homme sur son environnement.

Quand on lui demande s’il avait conscience à l’époque de la particularité de la série, Jean Barbaud l’avoue volontiers :

« Non, pas vraiment, car je crois que nous n’avons réellement pris conscience de cette vision assez grave de l’avenir, assez prémonitoire parfois, que bien plus tard. Nous étions probablement un peu trop jeunes et insouciants ! De même, de jeunes téléspectateurs (de l’époque) m’ont dit qu’ils avaient été marqués par la fin du générique de l’Homme, avec la fusée qui décolle avant que la Terre n’explose : nous n’avions même pas été troublés par ce passage. Et Soleil Vert nous semblait une lointaine dystopie… En revoyant La Revanche… récemment, j’ai été frappé par la gravité du discours. »

 

La revanche des humanoides : photoDerrière toi, c’est affreux !

 

Le film sort en salles le 26 janvier 1983 et ne marque pas autant l’inconscient collectif que les séries. « Dans le dernier Star Wars, j’ai remarqué avec amusement que les robots ont à peu près la touche des miens, je trouve cela très flatteur », avancera Barillé en 2000. Pour sûr, les designs de Manchu, ceux de la série, du film et d’Ulysse 31 ont eu leur importance, à leur échelle. De même que certaines péripéties, moins didactiques que celles d’Il était une fois… l’Homme, ont bercé bien des enfances.

Toutefois, aujourd’hui, se renseigner sur cette curiosité n’est pas chose aisée. Il y a donc à espérer que le coup de Polish récent et dévoilé en France par Carlotta le replace dans l’histoire de l’animation française.

 

La revanche des humanoides : photoDes vaisseaux de toute beauté

 

Peinture fraiche

L’oeuvre d’Albert Barillé étant encore largement diffusée, pour le plus grand bonheur des mioches et de leurs parents, Procidis s’est lancé, grâce à sa présidente Hélène Barillé, épouse de l’artiste, dans un long travail de restauration des séries. Ainsi, Il était une fois… L’homme et Il était une fois… la vie sont désormais trouvables en Blu-ray. La première est désormais disponible en streaming sur France TV, OCS, Salto et Madelen, la deuxième sur Netflix et Prime Video en plus. De même que les Découvreurs est sur Salto et Netflix, les Explorateurs sur Salto et que plus généralement, l’intégrale est visible sur OCS.

Il ne manquait sur la liste que ce long-métrage, présenté il y a quelques mois par madame Barillé en personne à la presse. Une restauration 4K, qui, après son passage discret en salles, aura elle aussi droit aux honneurs du Blu-ray, et même d’un coffret Édition Prestige dont Carlotta a le secret, comportant notamment plusieurs entretiens inédits. 

 

La revanche des humanoides : photoDirection support physique

 

Barbaud reste modeste à propos de son travail : « Vous savez, c’était mon travail d’il y a 40 ans, et je me dis souvent que j’avais bien des progrès à faire… Et puis, c’est difficile de voir sur un écran immense, ce qu’on a vu sur un écran TV. Les défauts d’une animation limitée et « à l’ancienne » ont du mal à rivaliser avec la perfection des images auxquelles les spectateurs actuels sont habitués. Quoi qu’ils en disent, le graphisme des vaisseaux de Manchu n’a pas perdu de sa force, en revanche. Et les nostalgiques de cette époque semblent heureux de revoir le film en salles. »

Pourtant, son travail aussi ressort grandi de cette restauration, qui flattera en effet les nostalgiques, mais étonnera aussi les autres. « C’est un patrimoine incroyable de l’audiovisuel français. Et nous avons la chance de pouvoir faire rayonner la culture française dans le monde entier grâce à ces séries », expliquait Hélène Barillé il y a quelques années sur RTL. Aujourd’hui, il est enfin possible de le savourer en intégralité dans les meilleures conditions possible.

Rédacteurs :
Vous aimerez aussi
Commentaires
12 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
J'avais la K7

Trippant ! J’le recommande…

Ce qui restera de cette

série, outre les design très réussi des vaisseaux spatiaux, c’est la bande originale de cette série. Pourtant, je ne suis pas un fan hardcore de Michel Legrand, mais rien que le générique du début me tue à chaque fois. C’est beau putain. …

Karlito

RobinDesBois -> Ce qui nous a marqué, n’est pas ce qui marquera les nouvelles générations. Certains séries actuelles sont pas mal du tout (Paléofutur, 1 jour, une actu, tu mourras moins bête par exemple), elles sont trés bien jouées, drôles et amusantes. Ils n’ont pas la même force narrative, mais ce sont des formats sont adaptés à notre époque.

Plongeur

Le design des vaisseaux ont été réalisé par un grand illustrateur de SF Français : Manchu de sont vrai nom, Philippe Bouchet, né le 19 mars 1956. Il fait beaucoup de couverture pour des romans et BD de SF.

RobinDesBois

@karlito La quantité peut être, la qualité j’en doute. Ou alors je ne suis sans doute pas à la page. Mais des séries d’animations Françaises qui cumulent une galerie de personnages archétypaux aussi attachants, une tonalité bienveillante et immersive, une bande originale splendide composée par Michel Legrand, un casting culte composé des meilleurs doubleurs du monde, des dialogues très bien écrits et une animation et des dessins inoubliables je vois pas.

RobinDesBois

Le générique d’il était une fois l’homme nous a tous marqué. Les grands bouleversements de l’histoire humaines qui se succèdent sur la Toccata et fugue en ré mineur de Bach et la fin bouleversante.

Le générique d’il était une fois l’Espace composé par Michel Legrand et chanté par Jean-Pierre Savelli est magnifique également.

Je n’ai jamais vu la Revanche des humanoïdes mais s’il a un montage différent de la série et des scènes additionnelles je vais me laisser tenter.

Kyle Reese

@karlito

Tu as bien raison, c’est mon coté cynique/ironique qui s’est exprimé, et l’effet nostalgique.
L’offre est assez énorme aujourd’hui entre ce qu’on peut trouver sur youtube gratos ou des chaines culturelles/jeunesses payantes ou gratuites. Va falloir que je me calme un peu là. 😉

Emprunts

Très Christopher Foss les vaisseaux !

Karlito

Kyle Reese -> Autre époque, aujourd’hui il y a bien plus de très bonnes séries éducatives et parfois impertinentes.

SebSeb

La France qui rayonnait en local et à l’international par sa pertinence. Comme avec Ulysse 31. Ca nous manque, des artisans pareils.