KUROSAWA, AUCUN LIEN
Il y a du génie dans le cinéma de Kiyoshi Kurosawa, ça nous le savons depuis quasiment 20 ans, mais son approche est tellement particulière qu’elle exige une concentration de tous les instants ainsi que beaucoup de patience. En effet, loin des canons modernes, Kiyoshi Kurosawa tisse un cinéma empreint de symbolisme, à la limite du contemplatif, avec une économie évidente de parole et un rythme d’autant plus lent qu’il en devient fatal pour ses personnages. Car, encore une fois, tout semble également fonctionner sur la notion de temps dans Creepy, dans une forme qui convoque à la fois le spectateur et ses personnages, complices tout autant que victimes de ce qui se déroule à l’écran.
C’est avec un grand plaisir que l’on constate que Kiyoshi Kurosawa a décidé de revenir à ses premières amours, le polar, genre qui l’avait révélé en 1997 avec Cure avec lequel le film qui nous intéresse ici entretient un certain nombre de rapports dans la mise en forme et les thématiques. Là encore, Kiyoshi Kurosawa sonde l’esprit humain dans ce qu’il a de plus horrible, dans ces endroits où les petites lueurs d’espoir résistantes aux ténèbres s’éteignent à tout jamais.
Et c’est en adaptant le roman éponyme de Yutaka Maekawa que le réalisateur revient aux fondamentaux. Ici, nous suivons les obsessions morbides de Takakura, ancien policier qui, après un drame, déménage dans un quartier paisible avec sa femme, Yasuko, pour donner des cours de criminologie à la fac du coin. Voulant faire bonne impression, Yasuko entraine son mari à la rencontre de leurs voisins, plutôt acâriatres et repliés sur eux-mêmes mais leur rencontre avec leur voisin de palier, Nishino, va quelque peu les étonner, l’homme étant particulièrement mystérieux et imprévisible. En parallèle, Takakura, parce qu’il s’ennuie, déterre un vieux crime non résolu du coin et entend bien l’élucider.
MON VOISIN ROTOTO
La terreur à domicile, l’Autre de proximité, autant de thèmes archi rebattus au cinéma qui n’auraient que peu d’intérêt si un véritable réalisateur ne s’attaquait à la question. Et à cet exercice, Kiyoshi Kurosawa excelle, dans son portrait misérable et fataliste d’une humanité désenchantée et inhumaine, totalement à la merci de ses pulsions parce que coupée de ses affects. On y parle de beaucoup de choses dans Creepy, du regard de l’autre, de regard sur soi, de regrets, d’apparences, de frustrations et de fascination morbide, mais nous retiendrons surtout la démonstration de la manipulation exemplaire et terrifiante qui est à l’oeuvre dans ce film.
En effet, avec son talent habituel, Kiyoshi Kurosawa parvient à créer deux figures dominatrices, froides et dangereusement inhumaines qui jouent sur l’affect comme avec des pions dans un jeu de dames. L’affrontement par personnes interposées, la manipulation, les faux-semblants, tout y est brillamment exposé, traité, analysé et rendu de façon cinégénique. Le « grand méchant » de l’histoire, simple en apparence, risque fort de marquer les esprits tant cela fait longtemps que nous n’avions pas vu un tel concentré de perversion ordinaire et banale. De ce point de vue, Creepy est une réussite.
Malheureusement, pareil étude a forcément un prix, et c’est celui de l’exigence. Si au niveau de la mise en scène, du scénario et du jeu des acteurs, il n’y a rien à dire, la plus grosse faiblesse du film se situe dans son rythme, lent donc, et sa durée qui paraitra excessive puisqu’elle atteint quand même 2h10. Nous aurions bien enlevé 20 minutes assez aisément, surtout dans le dernier acte du film qui, lorsqu’il a révélé son secret perd quelque peu en intensité, intensité qui revient heureusement lors d’une conclusion déchirante et magnifique qui rattrape ces quelques égarements.
Si le début du film, tout en subtilité, pose une ambiance étrange et glauque à souhait, le scénario peine à tenir la route dans la seconde partie, où les effets de manipulations sont beaucoup trop rapides pour avoir une quelconque véracité, et où le scénario s’effiloche et enchaîne les incohérences. Les flics entrent, les uns après les autres dans la maison du psychopathe, tranquillou billou, sans même un tournevis, sans prévenir qui que ce soit… Mouais. On a du mal à y croire. Le méchant est flippant, certes, mais il bénéficie de tellement de facilités narratives (c’est quoi ce sérum magique qui rend n’importe qui doux comme un agneau ? Et pourquoi la gamine, Mio, paraît être sur courant alternatif, un coup dénonçant son bourreau, un coup faisant tout ce qu’il lui dit ? Elle est immunisée ?) qu’il en devient un peu ridicule à la longue.
Même la pluie n’est pas aussi chiante.
2h10 et pas une minute d’ennui.
Votre nouveau format du site est trop chelou même pas une légende sous le titre pour dire quelle chaine diffusera le film. Je sais pas si je suis le seul.
Pas encore vu mais son film « Vers l’autre rive » de 2015 fut sans doute ce que j’ai vu de mieux en 2017. Quand je veux voir un film qui m’emmène bien loin du formatage hollywoodien, je me passe un film de Kiyoshi Kurosawa. A quand un dossier sur l’imposante filmographie du cinéaste sur Ecran Large? Au passage, est-ce que quelqu’un a déjà vu ses films des années 80/90 ceux d’avant Cure et Kairo?
Je trouve quand même que le film joue sur beaucoup de facilités scénaristiques. Ce qui, pour ma part, fait de l’ombre à cette « manipulation exemplaire » dont vous parlez.
On est d’accord.
Le rythme est similaire parfois a son magnifique et sous=estimé Charisma.
Excellent film, sans effet accrocheur, tout en nuance.