Critique : Aux frontières de l'aube

Jérémy Ponthieux | 26 janvier 2013
Jérémy Ponthieux | 26 janvier 2013

Revoir Near Dark, film culte estampillé comme majeur par une niche de cinéphiles à sa sortie au milieu des années 80, revient à s'émerveiller de son pouvoir de fascination autant que de son avant-gardisme mythologique, qui réinvente une figure usée jusqu'à la moelle depuis les fracassants débuts du cinéma.

Armée d'une solide envie d'innover, Kathryn Bigelow se fait rencontrer le western et le cinéma fantastique (que l'on qualifiera de néo-western) en travaillant la figure du vampire, ici symbolisée par une fratrie de cinq individus : un père et sa femme, un fils violent, un enfant et une jeune femme amoureuse. Sans jamais citer le nom directement ni faire appel à tout l'arsenal du genre (pas de pieu, une croix détournée...), la réalisatrice parvient malgré tout à englober un état d'esprit vampirique, évoluant à l'intérieur d'un territoire aux règles précises, animé d'une envie de liberté proche de l'inconscience. Toute l'intelligence du récit est de ne pas donner à ces immortels une justification, donnant à leur chemin une allure de road-movie sans horizon prédéfini, où l'éclat de violence est exaltant en ce qu'il n'inspire aucune crainte. Il s'en dégage alors une énergie autant revigorante que comminatoire, à laquelle la mise en scène colle à la perfection.

Grâce soit rendu à l'inspiration plastique que Bigelow tire de ses décors, imprimant la rétine du spectateur dans quelques plans légendaires. Sans doute inspirée par le travail de son ex-mari de Cameron (auquel elle reprend une partie du casting d'Aliens), la réalisatrice iconise son univers d'une manière terriblement efficace, la nuit revêtant l'allure d'un immense terrain de jeu miné par une soif impitoyable de sang. Quand un contre-jour nocturne transforme nos punks de vampires en une espèce supérieure, une caméra portée colle au protagoniste en flamme pour mieux en saisir toute l'horreur. Et quand ça n'est pas un travelling avant qui dévoile le visage ultra-charismatique de Lance Henriksen, c'est toute une séquence finale qui fait office de spectaculaire morceau d'étrangeté filmique. Finalement peu intéressée par un respect scrupuleux des règles narratives, Bigelow use de sa caméra et des outils qu'elle apporte (photographie, montage, décors...) pour mieux attraper les sens de son spectateur dans ses nuits désertiques, où seule la loi du hasard permet à deux intrigues de se rejoindre.

Au-delà de sa plasticité légendaire, Aux frontières de l'aube est aussi un film d'initiation avortée, où un pauvre type dragueur sur les bords se retrouve le nez plongé dans une espèce d'un autre genre par amour. La narration repose à 90% sur les épaules de Caleb Colton qui, une fois mordu par la blonde de Mae, va souffrir le martyr pour éviter de se transformer en vampire, ou ce qu'il en est. Revêtant en quelque sorte l'habit du spectateur, Caleb va voir sa moralité mise à rude épreuve et va agir comme un anti-héros, en ce qu'il est rarement responsable des actions qui décident de son chemin. Adrian Pasdar, alors à l'orée de sa carrière, parvient à dégager une empathie spectaculaire pour son personnage, talent d'acteur qui tempère l'arrogante assurance de la seconde famille qui l'accueille. Ne reste plus alors qu'à se laisser bercer par la bande originale envoûtante, partition synthétique et synthétisant tout l'état d'esprit d'un long-métrage matrice du genre. A n'en pas douter le meilleur film de sa réalisatrice jusqu'à Zero dark thirty.

Résumé

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