Critique : Dellamorte dellamore

Eric Dumas | 3 septembre 2004
Eric Dumas | 3 septembre 2004

Ayant acquis, dans une certaine mesure, le statut de film culte auprès des amateurs de cinéma fantastique, Dellamorte dellamore a enfin connu les honneurs d'une sortie DVD ce 3 août 2004, dans la collection « Midnight Movie » de Studio Canal.

Lorsqu'il tourne ce film en 1994, Michele Soavi n'en est plus à son coup d'essai. Déjà réalisateur de trois longs métrages (Bloody bird, La Chiesa et La Setta), il a également travaillé sur certaines œuvres de Dario Argento ou Terry Gilliam. Adaptation de la bande dessinée Dylan Dog signée Tiziano Sclavi, Michele Soavi livre un petit bijou pour les amateurs de cinéma bis, et une curiosité pour les non-initiés, susceptibles de découvrir un réalisateur doté d'un sens esthétique plus qu'évident.

Aux frontières du réel

Ce qui frappe immédiatement, c'est une beauté plastique indéniable. La nuit, le cimetière est un paysage fantasmagorique où les figures (toutes assurément romantico-fantastiques) spectrales, mais également les zombies, les feux follets, les humains, et tout autre personnage de la galerie, peuvent se croiser, sous une lune ocre qui surplombe des tombes de marbre brisées et des massifs de végétation alternant volumes épais et griffes acérées. Englobant ce décor (à l'artificialité pleinement assumée), la mise en scène démesurément excessive du réalisateur propulse les sentiments vers des cimes délicieuses, au moyen de travellings circulaires envoûtants et de mouvements de caméra à la fois délicats et opportuns, plongeant ainsi le spectateur dans un monde fantaisiste. En opposition, ce même cimetière (en théorie, car différent pour le tournage) est peuplé le jour par une vieille femme, gâteuse et attendrissante, qui reflète sa beauté passée et sa solitude, par un inspecteur de police incapable de voir plus loin que le bout de son nez, et par les habitants d'une petite ville dont la jeunesse, bien que cherchant à se rebeller, n'en est pas moins bien policée. C'est entre le jour et la nuit, dans l'évolution des personnages, que le film va exprimer son travail sur l'état frontière.

Si le jour et la nuit s'opposent sur un plan esthétique, ils se répondent aussi comme deux mondes aux populations et aux mœurs différentes. Francesco Dellamorte, héros de cette histoire, et son serviteur Gnaghi (dont le modèle iconographique n'est autre que le fameux Igor, homme de main des savants fous les plus réputés) sont les liens, les maillons unificateurs de deux univers qui vivent sans jamais se croiser d'ordinaire. S'il est le gardien calme et dénué de toute activité extérieure à son métier, réputé pour être un impuissant notoire, la nuit, Francesco devient le jouet de l'amour et des ébats sexuels passionnés. Il fait se rencontrer la vie et la mort, l'amour et la haine, la jouissance et l'impuissance. C'est l'image d'un baiser que la mort donne avec passion dans la rencontre freudienne provoquée entre Eros et Thanatos avec deux voiles, l'un rouge, l'autre noir. Si, le jour, la femme qu'il rencontre (tour à tour veuve ou amante asexuée) est distante, refus et impuissance, celle qu'il rencontre la nuit (la morte ou la prostituée) est tentatrice, accomplissement et jouissance. Remplissant une fonction similaire, la fille du maire se refuse à Gnaghi le jour mais l'épouse la nuit.

Cette rencontre avec la même femme, trois fois différente, trois fois la même, est significative d'un univers qui est clos sur lui-même. Ce microcosme peuplé de zombies qui ressuscitent inlassablement, pour de nouveau remplir un bocal en manque de personnages, est à l'image de la boule de neige qui ouvre et ferme le film. Aux particules de neige qui s'agitent sous l'impulsion du remuement (et que l'on retrouve à l'échelle des personnages en fin de film), le réalisateur crée la rime par des cendres d'un feu de papiers, ou encore par une tempête de feuilles mortes qui volent au vent. Le destin (la mort aussi) agite cette boule pour voir s'animer sous ses yeux les personnages qui n'ont nulle part où aller. Cette impossibilité de la fuite est symbolisée par cette route qu'empruntent le héros et son acolyte à la fin du film. Si celle-ci ne mène nulle part, elle est la commune métaphore du tunnel transitoire entre la vie et la mort. La destruction du chemin est liée aux parois d'une boule dont tous sont prisonniers et ne peuvent sortir qu'à la condition d'une destruction de l'univers qui les englobe.

Malheureusement, si le film est une incontestable réussite graphique qui assume pleinement son statut artificiel, et une réflexion (malheureusement trop superficielle) sur la vie et la mort, l'amour et la solitude, l'œuvre connaît ses limites à cause d'un scénario particulièrement médiocre, voire inintéressant. À cause de « dégommages » sans intérêt (à peine jubilatoire pour les puristes du genre), de morts-vivants, de boy-scouts zombies, de jeunes branchés... l'ennui remplace le plaisir, de même que la poésie se change en désintérêt. L'histoire pouvait, et donc aurait dû, se passer de certains passages médiocres, qui pourtant sont indivisibles du genre lui-même. Cette création d'icônes inscrit finalement le film dans une sous-catégorie cinématographique qui lui aurait pourtant permis d'acquérir une reconnaissance autre que celle qu'il rencontre aujourd'hui. Assorti d'une musique absolument infâme, le mauvais goût finirait presque par prendre le pas sur ce qui était une réussite. Entre la mort et l'amour, la frontière est ténue, comme celle qui fait de ce film un chef-d'œuvre ou une déception…

Résumé

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