Les Avantages de voyager en train : critique qui transporte

Déborah Lechner | 7 août 2023 - MAJ : 07/08/2023 12:20
Déborah Lechner | 7 août 2023 - MAJ : 07/08/2023 12:20

Après sa sortie en novembre 2019 en Espagne, le film espagnol Les avantages de voyager en train va enfin être projeté dans les salles françaises. À partir du 9 août 2023, les spectateurs tricolores vont pouvoir découvrir le premier long-métrage réalisé par Aritz Moreno, une fable noire et névrosée adaptée du roman d'Antonio Orejudo et jouée, entre autres, par les talentueux Luis TosarPilar Castro et Ernesto Alterio.

Human are trash

Avec son titre indéchiffrable et son affiche équivoque, Les Avantages de voyager en train est a priori un objet difficile à cerner. Et cette ambiguïté se confirme dès les premières secondes du film, lorsqu’une voix off nous invite à imaginer une femme qui rentre chez elle et surprend son mari en train d’inspecter sa propre merde avec un bâton de glace esquimau sur la table basse du salon. Cette mise en contexte déroutante est cependant un autre indice précieux sur l’ordre du jour : une histoire entre l’absurde et le pathétique, dont on ne sait pas encore s’il faut en rire ou en pleurer, les deux ne paraissant pas (encore) une option valide.

C’est pourtant le tour de force d’Aritz Moreno d’être capable de jongler entre plusieurs genres, de la comédie noire au film d’horreur, pour faire passer le public du rire nerveux à la grimace. Les Avantages de voyager en train n’est pas un film conciliant avec ses spectateurs, qu’il éprouve en glissant insidieusement vers les pires zones d’ombre que l’Homme a exploré pour dresser le triste et inquiétant constat de notre condition. Sous couvert d’une rencontre hasardeuse entre Helga (Pilar Castro) et le psychiatre de son mari fouille-merde, le scénario écrit par Javier Gullón s’enfonce vers tout ce qui se fait de plus atroce et nauséabond : complotisme, guerre, pédopornographie, viol, zoophilie, scatophilie, etc.

 

Les avantages de voyager en train : photo, Luis TosarDescente aux enfers 

 

Par des détours rocambolesques et des énormités scénaristiques qui ne cherchent pas à être plausibles, le film met en lumière des réalités dérangeantes, celles qu’on préférait qu'elles n'appartiennent qu’à la fiction ou à un esprit dérangé. Mais c’est bien quand il joue avec les déjections humaines (au sens propre comme au figuré), qu’il met le doigt là où personne ne veut regarder, que le film penche vers une horreur des plus inconfortables et viscérales. Il s’agit ainsi de pervertir les relations amoureuses, d’intoxiquer les rapports familiaux et de dessouder les amitiés avec mauvais goût assumé et un ton scabreux qui caresse le public à rebrousse-poil.

Installer un malaise aussi saisissant, mais parvenir à le dissiper par endroit pour mieux le faire ressurgir ailleurs, comme un traumatisme endormi qui ressurgit, n’a rien d’évident et nécessite une orchestration sans faille. S’il se calme par endroits, le rythme ne faiblit jamais et le délire reste parfaitement cadencé pour ne pas faire dérailler celui qui s’y plonge, pour le garder captif d’un wagon lancé à toute allure en direction d’on ne sait où. Ce genre d’oeuvre n’autorise donc pas la passivité et laisse difficilement indifférent, tout comme les performances de Luis Tosar, Gilbert Melki, Pilar Castro et Ernesto Alterio, qui jouent sur différents tableaux et sautent admirablement d’un registre à un autre.

 

Les avantages de voyager en train : Pilar CastroVous ferez la même tête


Poupée russe

Toujours dans l’idée de mettre le public à l’épreuve en le sortant de sa zone de confort, la narration est calquée sur l’esprit troublé des personnages. En s’appuyant sur des maladies mentales, notamment la paranoïa et la schizophrénie, le récit s’enfonce dans un dédale mental, un labyrinthe à la structure changeante, pour brouiller nos quelques repères. 

De fait, le film passe son temps à s’aliéner, à travestir la vérité, à remettre ses certitudes (et par extension les nôtres) en question et à changer les perspectives. Qui est « le fou » de cette histoire ? Qui est la victime et qui est le bourreau ? Qui est le véritable narrateur ? Peut-on se fier à lui ? La réponse changera en fonction des chapitres. Tout n’est donc qu’un immense jeu de dupe, une énigme qui change à chaque énoncé, si bien qu’on ne sait jamais si on s’éloigne de la vérité, si on s'en approche ou s’il en existe seulement une.

 

Les avantages de voyager en train : photoAmoncellement symbolique 

 

Cette immersion passe ensuite par une narration volontairement décousue et morcelée. Celle-ci constitue un enchevêtrement d’histoires hallucinantes et inattendues a priori décorrélées les unes des autres, mais qui suivent pourtant un fil rouge jusqu’à la conclusion qui s’avère aussi ironique et trompeuse que le titre du film. Ce décalage constant s’exprime aussi d’un point de vue plus technique et esthétique avec une photographie lumineuse qui tend vers les couleurs pastel, à rebours de l'obscurité dans lequel s'enfonce le scénario.

Les costumes colorés, la symétrie et l’agencement parfois maniaques des plans donnent quant à eux une allure très ordonnée à ce film sinueux. Cette suresthétisation sert également de vernis à l’horreur, pour enjoliver le nauséabond, comme avec cette jolie pile de poubelles qui renforce l'extravagance et le surréalisme de ce casse-tête obsédant.

Aritz Moreno a signé avec Les Avantages de voyager en train un premier long-métrage particulièrement prenant et prometteur qui augure le début d'une riche filmographie. 

 

Advantages of Travelling by Train : Affiche officielle

Résumé

Les avantages de voyager en train est une expérience parfois éprouvante, qui flirte avec les limites de la bienséance avec une énergie folle et une noirceur implacable. 

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Lecteurs

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commentaires
Brad Majors
12/08/2023 à 11:29

Ayant été intrigué par la critique et ayant la chance d'être hispanophone, je me suis acheté le livre et, à un tiers du livre, c'est très très particulier, mais aussi très intrigant. Je réalise aussi que ça a l'air inadaptable. Bref, ma curiosité et bien attisée et je me jetterai sur le film dès que j'aurai fini le livre et dès que je pourrai me le trouver quelque part (pas de sortie en Belgique). Merci de l'avoir placé sur mon radar!

Euh
08/08/2023 à 15:08

Ernesto Alterio, un acteur argentin assez fou, qu'on retrouve chez Alex de la Iglesia souvent

yo
07/08/2023 à 23:51

y a assez de pourriture dans la vraie vie sans devoir les suporter encore et encore dans un film , ça me fait pas réver, ni impressionner, pas terrible l histoire, du trash pour faire de l audiance, c est connu.

Birdy l'inquisiteur
07/08/2023 à 16:46

Merci Déborah, le cinéma espagnol possède ce petit je ne sais quoi qui me plait. Il ose, il dérange, il s'insinue en nous par d'excellentes idées, concepts, et tout est au diapason. Celui là m'attire donc d'autant plus.

Grift
07/08/2023 à 12:25

Merci pour l'article. Ça donne bien envie !

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