Domingo et la brume : critique complètement hallucinée

Mathieu Victor-Pujebet | 15 février 2023 - MAJ : 15/02/2023 18:03
Mathieu Victor-Pujebet | 15 février 2023 - MAJ : 15/02/2023 18:03

Sélectionné à Un certain regard au Festival de Cannes 2022, Domingo et la brume est le deuxième film de Ariel Escalante Meza. Il raconte l'histoire de Domingo (Carlos Ureña), un vieil homme veuf qui habite seul dans un petit village du Costa Rica. En voulant y installer une route, des entrepreneurs délogent un par un les habitants de ce territoire, mais Domingo refuse de partir.

Dans la brume

Derrière son point de départ de film social extrêmement concret et réaliste, Domingo et la brume est un film beaucoup plus esthétique et vaporeux. Avec un découpage d'ampleur, un jeu sur la profondeur des noirs et des couleurs, ainsi que tout un travail de clair-obscur, le film réalisé par Ariel Escalante Meza déploie une photographie et un travail du cadre précis. Plastiquement sublime, il plonge son spectateur dans une atmosphère mystérieuse et évocatrice.

Une atmosphère d'autant plus appuyée par quelques séquences à la spatialisation sonore altérée (scène d'ouverture) ou encore à la règle des 180° brisée (réparation de voiture). Si le cinéaste embrasse littéralement le genre du fantastique lorsqu'il filme une brume hantée par un fantôme, l'étrangeté de sa mise en scène contamine également des passages plus réalistes du film, déployant une bizarrerie timidement déconcertante, mais surtout tout à fait hypnotisante.

 

Domingo et la brume : photo, Carlos UreñaSale temps au Costa Rica

 

Cette atmosphère fantomatique est également incarnée par une ambiance sonore et une musique composées de voix, de soupirs, de grésillements et de quelques sonorités électroniques. La bande sonore de Domingo et la brume participe grandement à l'ampleur mystique des visions hallucinées que propose le film, notamment lorsque Domingo s'enfonce dans des bois embrumés, ou qu'il erre dans des maisons délabrées.

Fondamentalement, Domingo et la brume n'invente rien. Avec ses paysages hantés et son utilisation de motifs surnaturels, Ariel Escalante Meza explore des terrains déjà en partie déblayés par Andrei Tarkovski, John Carpenter ou encore Apichatpong Weerasethakul. Mais sa sincérité et son savoir-faire technique font de ce second film une oeuvre entraînante et visuellement stimulante.

 

Domingo et la brume : photo, Carlos UreñaLe Bon, la brute ou le truand ?

 

L'Innocent

Par ailleurs, avec ce niveau de stylisation, Domingo et la brume aurait pu tomber dans la posture du petit film arty de festival. C'est parfois même le cas, tant la dilatation de son action, de ses dialogues et de ses enjeux étouffe par instants son émotion. Néanmoins, grâce à un récit ramassé à moins de 1h28 (générique exclu) et à une écriture à la rage contenue, le film écrit et réalisé par Ariel Escalante Meza parvient à dépasser le stade de simple performance technique.

En effet, c'est avec des motifs narratifs très concrets (les motards, les armes, la tension entre les villageois et les ouvriers) que le cinéaste parvient à distiller une tension latente qui transforme Domingo et la brume en un thriller agricole énervé, pas loin du western violent et sans concession. Le film déploie alors une certaine souplesse de ton qui lui permet d'aborder avec aisance aussi bien la sensibilité spirituelle de ses personnages que la température insurrectionnelle d'un village qui gronde.

 

Domingo et la brume : photo, Carlos UreñaUn protagoniste absolument pas idéalisé

 

Un double mouvement parfaitement incarné par le personnage de Domingo, caractérisé comme un père absent alcoolique et souvent désagréable avec ses concitoyens. S'il est le protagoniste de cette histoire d'expropriation de territoire, il n'en est absolument pas idéalisé pour autant. L'explosivité de la performance du comédien Carlos Ureña en témoigne avec incandescence, interprétant Domingo avec ce qu'il faut de tendresse et de mélancolie, tout en lui insufflant une violence contenue tout à fait inquiétante.

Ainsi, Domingo et la brume est à la fois un film à charge contre l'urbanisation des campagnes costariciennes, tout en étant la chronique mélancolique de la fin d'un monde agricole, poétique et spirituel, mais aussi viriliste et toxique. C'est en jouant sur ces différents registres que Domingo et la brume renouvelle et joue avec l'empathie de son spectateur, rendant son récit d'autant plus complexe et touchant.

 

Domingo et la brume : affiche

Résumé

Quelque part entre le thriller agricole, le drame fantastique et le western énervé, Domingo et la brume étonne, intrigue et passionne. Parfois un peu poseur, le film reste assez fin et tenu pour emporter son spectateur dans un voyage étrange et touchant.

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commentaires
yo
17/02/2023 à 00:53

si il y a de la brume, y a des motards c est un classique, je préfére la version de carpenter, la musique est largement mieux,

Deyalesca
16/02/2023 à 08:32

Un vieux qui marche dans la brume pendant 90 minutes, je vois pas à quel moment j'ai assisté à un thriller agricole énervé !

Djdojo
15/02/2023 à 20:44

putain c'était un calvaire ce film pour moi

Chesswick
15/02/2023 à 15:04

Jamais entendu parler de ce film auparavant, mais en plus de votre critique élogieuse je dois dire que je trouve l'affiche magnifique (en plus des quelques images qui alimentent l'article).

Je le mets sur ma liste, merci!

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