La vraie famille : critique qui se déchire

Clément Costa | 16 février 2022
Clément Costa | 16 février 2022

Avec son deuxième long-métrage, Fabien Gorgeart livre le récit intime d’une famille de coeur en pleine mutation. La vraie famille évite bien des écueils propres au mélodrame, sans jamais prendre position ni juger ses personnages.

DÉFAITE DE FAMILLE

Tout commence par des images de vacances en famille. La mère, le père, les trois enfants. Une famille heureuse, unie, au bonheur naïf et lumineux comme on n’en voit qu’au cinéma ou dans les publicités. Mais une famille pas tout à fait comme les autres. Et pour cause, le petit dernier Simon n’est pas tout à fait comme ses frères. Il s’agit d’un enfant de six ans placé dans une famille d’accueil par l’Assistance Sociale depuis ses 18 mois. Un beau jour, son père biologique demande à récupérer la garde. Pour Anna, mère d’adoption, c’est un déchirement auquel elle ne s’était pas préparée.

Pour ce mélodrame familial, le réalisateur Fabien Gorgeart plonge directement dans ses propres souvenirs. Sa mère avait en effet gardé un enfant de ses dix-huit mois à ses six ans. Et d’après ses dires, elle non plus n’avait pas totalement mesuré la violence que serait la séparation.

 

La vraie famille : photoT'as bien pris tes 5 fruits et légumes par jour ?

 

Intelligemment, le cinéaste nous donne donc à voir le quotidien de cette famille à part. Les liens qui se créent naturellement au fil des années, la complicité, mais aussi les limites imposées par le cadre juridique de la garde, illustrées par de simples touches de réalisme. Par exemple, là où les frères de Simon partent se dépenser à l’accrobranche, le cadet doit se contenter de la piscine : aucune activité à risque explique Anna. Selon le vœu de son père biologique, Simon doit également aller à la messe, réciter sa prière le soir. En décalage, là encore, avec son entourage.

Avec une douceur attachante, Fabien Gorgeart laisse sa caméra à distance. Il étire ses plans, fait respirer ses personnages. Et lorsque la bascule narrative apparaît, il nous a suffisamment intégrés à cette famille pour qu’on en ressente les dilemmes.

 

La vraie famille : photo, Gabriel PavieEt là, c'est le drame

 

L’ENFER C’EST LES AUTRES

En s’attaquant à un tel sujet, le récit s’exposait à bien des écueils. Le titre pouvait laisser craindre un pamphlet larmoyant sur le sens de la famille digne d’une citation Facebook façon « la vraie famille c’est celle du coeur ». Intelligemment, La vraie famille contourne ce piège avec brio. Alors certes, on n’évitera pas quelques séquences tire-larmes pour cocher le cahier des charges. Notamment une scène de séparation en deux temps qui semble inutilement étirer le drame pour s’assurer de faire pleurer le public.

Mais l’immense majorité du film trouve un équilibre délicat entre émotion sincère et neutralité bienveillante. Plutôt que de chercher à donner raison à Anna coûte que coûte, le récit ne nous cache pas ses excès. Elle n’est jamais filmée sans empathie, cependant ses défauts ne sont pas gommés. Mieux encore, Fabien Gorgeart évite totalement le piège de faire du père biologique un antagoniste. En ne prenant pas position, La vraie famille sort d’un schéma classique manichéen.

 

La vraie famille : photo, Félix MoatiUn récit ni tout blanc, ni tout noir

 

Et si les institutions sont montrées sous un jour parfois froid et distant, là encore elles ne sont pas caricaturées. On est face à un système qui fait ce qu’il peut, avec les moyens qu’il a et la meilleure volonté. D’ailleurs, la dérive émotionnelle de notre personnage principal illustre parfaitement que les meilleures intentions ne sont pas toujours suffisantes. Alors que son déchirement émotionnel frôle l’obsession, Anna nous ferait presque espérer une bascule vers un thriller familial glaçant dans la lignée d’un Jusqu’à la garde.

En plus des institutions, le cinéaste dresse par instants les prémices d’une lutte sociale. D’un côté, la famille adoptive qui vit dans une belle zone pavillonnaire, qui part en vacances au ski. De l’autre, le père biologique en HLM, usé par un travail qu’on devine ingrat, peinant à avoir des jours de congés même pour Noël. Si l'idée n'est jamais explicitée, elle laisse des pistes de lecture franchement intéressantes.

 

La vraie famille : photo, Félix MoatiPas la même vie

 

LE BAL DE L’ACTRICE

D’un point de vue purement formel, La vraie famille est une copie de bon élève. Des plans en steadycam qui dynamisent occasionnellement l’image. Une dichotomie entre les envolées en plan-séquence pour les moments de joie. Les plans resserrés pour illustrer le piège psychologique se refermant sur Anna et les siens.

La musique accompagne très bien le récit, bien qu’elle vienne parfois envahir des scènes d’émotion qui n’avaient pas besoin de fioritures. L’écriture des dialogues fait souvent mouche grâce à des répliques naturelles, spontanées. On pourrait regretter un travail technique parfois trop lisse, mais cette forme épurée, aérée, vise avant tout à laisser respirer un casting impressionnant.

 

La vraie famille : photo, Mélanie ThierryAssistante Sociale tu perds ton sang-froid

 

En tête d’affiche, Mélanie Thierry est impressionnante. À partir d’un rôle complexe et sur le fil – d’aucuns diraient rôle à César – l’actrice livre une performance admirable. Elle ne verse jamais dans le pathos, exprime tout d’un regard ou d’un tremblement de lèvres. Le film lui appartient d’un bout à l’autre. S’il restait encore l’ombre d’un doute quant à son immense talent après La Douleur ou Ombline, elle mettra ici tout le monde d’accord.

Le reste du casting n’est pas à la traîne pour autant. Lyes Salem apporte une douceur rassurante. De son côté, Félix Moati contribue à la finesse de son personnage.

 

La vraie famille : photo, Lyès Salem, Mélanie ThierryVers l'infini et chez papa

 

Mais surtout, n’oublions pas les enfants. On le répète toujours, il n’est rien de plus difficile au cinéma que de faire jouer des enfants. Fabien Gorgeart a peut-être trouvé la formule magique tant ses jeunes comédies impressionnent, Gabriel Pavie en tête. Naturels, justes, spontanés, les trois « frères » donnent vie à cette famille. Le réalisateur évoquait la place de l’improvisation dans le jeu des enfants. C’est peut-être la clé de cette spontanéité touchante qui ressort à de très nombreuses reprises dans le film.

Ainsi porté par un casting investi et juste, La vraie famille est à la fois un moment de douceur et de fracture émotionnelle. Sans jamais embrasser totalement ni le mélodrame larmoyant ni la bascule de genre, Fabien Gorgeart livre un film maîtrisé de bout en bout (peut-être un peu trop). Mais s’il prend le risque d’être un peu trop sage, ce deuxième long-métrage a quand même de sacrés atouts pour séduire son public.

 

La vraie famille : Affiche officielle

Résumé

Joliment mis en scène, souvent juste dans son émotion, La vraie famille séduit surtout par les performances de son casting et la finesse de son écriture. C’est lorsqu’il laisse place au naturel que le récit de Fabien Gorgeart est le plus touchant. Une déchirure familiale qui mérite la découverte.

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commentaires
taleremu
19/02/2022 à 15:07

Je redoutais ce film, tant la visison de bandes annonces était peu supportable pour un sensible comme moi. Je suis allé le voir un peu comme une thérapie. Et j'en suis sorti sans avoir pleuré, mais en ayant passé un moment cinéma agréable. Grâce au jeune Simon , craquant par son regard où ne se lisaient pas les consignes du tournage ,et malgré les répliques trop matures entendues plutôt en fin de film, qui m'ont rappelé que" c'est du cinéma". La difficulté dans cette histoire est que chaque personnage tient une place, comme un pion d'échec en début de partie, tout est possible, et puis , dans ce grand foutoir qu'est un refus, une séparation, un deuil, chaque être va jouer sa propre partie, malgré lui. Mélanie Thierry n'est pas larmoyante ,on est pas aux USA, Lyes Samel est banal avec talent, Félix Moati a distance mais c'est le rôle. Restent les deux plus grands enfants, l'ainé vit son autonomie naissante, le puiné est coupé en deux familles , celle avec Simon et l'autre sans.Merci , docteur Gorgeart, je vous dois combien ?


18/02/2022 à 16:39

A en lire la critique je sens que ce film va me plaire !

Mélanie !!
16/02/2022 à 15:18

Depuis En thérapie on sait que cette actrice déchire

Kyle Reese
16/02/2022 à 11:46

Pitch déchirant. J’ai vu une belle interview de Mélanie Thierry à propos du film sur Telerama avec quelques extraits ça a l’air touchant et poignant surtout quand on a des enfants, on se projette. Comment gérer un truc pareil pour une famille d’accueil même si on sait que ça peut arriver …

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