Sooryavanshi : critique du Michael Bay indien sur Netflix

Clément Costa | 13 janvier 2022
Clément Costa | 13 janvier 2022

Nouvel opus d’un univers étendu bien bourrin fait de flics musclés affrontant des armées de grands méchants, après les films Singham et Simmba, Sooryavanshi s’annonçait comme l’événement du dernier trimestre 2021 en Inde. Sauveur des salles qui étaient en manque de blockbuster depuis près d’un an et demi – Covid oblige – le film vient de débarquer sur Netflix. Spectacle régressif jubilatoire ou douche froide ?

GOOD COP, BAD(ASS) COP

S’il est encore méconnu par chez nous, le simple nom du réalisateur Rohit Shetty représente à lui seul toute une promesse auprès du grand public indien. Sa spécialité ? Le film masala. Ce genre typiquement indien est un savant mélange d’ingrédients très précis : une esthétique traditionnelle, et un mélange de genres (d’où le nom masala, en référence au mélange d’épices) avec de l’action souvent volontairement exagérée, de la comédie grotesque, du mélodrame, et de la romance. Le masala doit attirer en masse les familles, d’où l’action cartoonesque pour ne pas trop choquer le jeune public, et l’aspect traditionnel pour ne pas gêner la bonne morale familiale.

En quelques années, Rohit Shetty est devenu le roi du film masala en poussant chaque code à son paroxysme. Voir un film de Shetty, c’est accepter tout un cahier des charges : on est à bord pour voir de grosses explosions, des voitures qui se retournent, des combats bruyants, des coups de poing qui font voler les adversaires à l’autre bout du monde, des héros virils et badass, des méchants stéréotypés, et une musique épique qui ponctuera chaque scène importante et chaque punchline. Pas étonnant qu’il ait fini par être surnommé le Michael Bay indien par de nombreux critiques locaux.

 

 

Et comme promis, Sooryavanshi s’inscrit dans cette lignée. C'est le quatrième opus du Cop Universe (un univers étendu créé par Rohit Shetty avec Singham en 2011, mais surtout officialisé par Simmba en 2018), dont la popularité éclipse aisément le MCU au box-office local. Au passage, si Singham est particulièrement célèbre chez les amateurs de memes et certains cercles cinéphiles en quête de nanars exotiques, cette perception illustre parfaitement à quel point le public occidental a du mal à appréhender le genre atypique qu’est le masala. Car Singham est tout sauf un nanar. C’est un savant mélange de divertissement pulp et de kitsch totalement assumé, tout en étant capable d’un premier degré désarçonnant. C’est justement ça l’équilibre du masala : aller chercher volontairement le ridicule sans être cynique, s’amuser aussi sincèrement que son public.

Pour ce quatrième volet de la saga – et premier opus solo pour le personnage de Veer Sooryavanshi –, on suivra donc notre super-flic de la brigade anti-terroriste enquêter sur une terrible conspiration qui pourrait faire voler Mumbai en éclats. Dans sa quête, il croisera bien évidemment le chemin de Singham et Simmba, les autres flics-héros de cet univers étendu.

 

Sooryavanshi : photo, Akshay KumarMission : Indiapossible

 

HEROS DARK THIRTY

Sooryavanshi répète peut-être les ingrédients de la recette Rohit Shetty, il n’empêche que le film marque tout de même une véritable rupture de ton dans cet univers de super-flics. Jusqu’ici, le réalisateur ne s’embarrassait pas de contexte réaliste, de références historiques ou de propos politique. Alors évidemment, tout film est politique et l’on comprend aisément qu’un univers glorifiant des policiers aux méthodes musclées puisse avoir des relents réacs dignes du pur cinéma Reaganien. Mais Sooryavanshi ne se contente pas du sous-texte de ses prédécesseurs.

Dès sa séquence d’ouverture riche en images d’archives retraçant les attaques terroristes les plus marquantes de ces 30 dernières années, le film affiche une ambition inattendue : être un blockbuster d’action décomplexé tout en tenant un propos politique acerbe sur le terrorisme, les tensions religieuses et communautaires en Inde, les relations indo-pakistanaises, etc. Du moins, c'est ce que semble penser Rohit Shetty, qui s'y prend avec la finesse d’un Michael Bay se rêvant Kathryn Bigelow.

 

Sooryavanshi : photo"Tu vas l'avaler mon discours politique"

 

Le principe pouvait intriguer sur papier - jouer la carte du blockbuster bourrin tout en étant radicalement politique, façon Starship Troopers. Sauf que le réalisateur se sabote tout seul en un rien de temps. Et Sooryavanshi n'est jamais aussi intelligent et subtil qu’il le pense. Bien intentionné, le film n’arrive jamais à trouver l’équilibre entre monologues démagogiques et morale tellement alambiquée qu’elle en devient douteuse, à l’image de cette séquence hallucinante lors de laquelle des fidèles musulmans portent une statue de Ganesh sur un fond musical patriotique.

En voulant prêcher l’unité, Rohit Shetty définit malgré lui ce que doit être le bon musulman indien : respectueux de l’hindouisme dominant, quoi qu’il lui en coûte.

 

Sooryavanshi : photoLa vérité triomphe, toujours

 

LE BON, LE FLIC ET LE TRUAND

À défaut de réussir sur le fond, Shetty pourrait au moins s’en sortir sur la forme. Et sur la première heure, le cinéaste surprend à plusieurs reprises. En abandonnant le côté ouvertement pulp et décomplexé de son cinéma, il gagne en efficacité dans la tension. Mais rapidement, ce manque de démesure colorée plombe Sooryavanshi, qui ne trouve jamais un équilibre le film qui se veut sérieux, et les excès habituels du genre. Impossible de vouloir inquiéter sur le réalisme d’une menace terroriste de grande envergure lorsque la scène précédente retombait dans les pitreries habituelles du masala.

D’autant que l’humour fonctionne très rarement, le running gag principal du film étant que notre super-flic ne se rappelle jamais des prénoms. Sûrement une façon de donner un peu de personnalité à ce personnage froid et mono-expressif. Capable de performances habitées, Akshay Kumar aura rarement été si mal dirigé. Et si Shetty utilise au moins le physique de son acteur, expert en arts martiaux et connu pour effectuer toutes ses cascades lui-même, il aurait pu ne pas le limiter à une enveloppe vide.

 

Sooryavanshi : photoLes Trois Mousquetaires

 

Après 1h30 à tenter de maintenir cet équilibre précaire entre film politique et blockbuster bourrin, Rohit Shetty semble lui-même se rendre compte de l’absurdité de la situation. Il envoie tout péter dans une demi-heure finale qui renie tout le reste et offre enfin ce qu’on attendait depuis le début : un spectacle aussi régressif et bas de plafond que jubilatoire. La réunion des trois héros souligne d’ailleurs parfaitement à quel point le personnage de Veer Sooryavanshi manque de personnalité et de charisme comparé à un Singham, campé par un Ajay Devgan plus badass que jamais qui distribue des mandales plus vite que son ombre, et un Simmba cartoonesque offrant à Ranveer Singh un one-man show sous ectasy.

Aussi exaltante soit-elle, cette grosse scène d’action finale laisse tout de même un sacré goût d’inachevé. Et l’impression que tous les éléments étaient là, mais que le réalisateur est totalement passé à côté de la promesse en voulant être ce qu’il n’est pas. Sooryavanshi restera un modèle pour illustrer la différence entre prendre le divertissement au sérieux, et se prendre au sérieux.

 

Sooryavanshi : Affiche

Résumé

Malgré son rythme effréné, sa générosité et sa séquence d’action finale aussi régressive que jubilatoire, Sooryavanshi perd beaucoup de son charme en essayant d’être un grand blockbuster politique. Démago, parfois involontairement borderline... la seule promesse du film restera l’espoir de voir le futur Singham 3 repartir vers du pur divertissement sans prise de tête.

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Lecteurs

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commentaires
Hugo Flamingo
14/01/2022 à 09:47

Après avoir vu la bande annonce, j'ai la mauvaise sensation de beaucoup trop de copier-coller, à en donner la nausée.

AdeleP
13/01/2022 à 17:27

Tout à fait d'accord avec ta critique, Clément, je la trouve même pour ma part un petit peu trop gentille! On retrouve les mêmes défauts que dans Simmba, le seul autre film que j'ai vu de ce Cop Universe : un sujet sociétal qui sert de toile de fond à la baston et qui est traité avec la finesse d'un éléphant, noyant le spectateur sous un déluge de bonnes intentions, à la limite du racolage.. Bourrin et même pas drôle. Mais tu m'as donné quand même envie de faire un autre essai avec Singham...

bonsoirnon
13/01/2022 à 16:28

Je vous conseille "The Disciple" sur Netflix film indien produit par Cuaron,

Clément Costa - Rédaction
13/01/2022 à 15:58

Rien qu'avec Tiger Zinda Hai et WAR, j'ai déjà beaucoup plus confiance pour le Spy Universe. On verra bien ce que Pathan et Tiger 3 vont donner, mais les bases sont solides.

JackerJagg
13/01/2022 à 15:00

En esperant que le spy universe de YRF soit mieux meme si j'ai peu de doutes.

Miami81
13/01/2022 à 13:01

Et elle se termine à un moment cette bande annonce?

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