The King’s Man : Première Mission - critique qui joue au plus Fiennes

Simon Riaux | 26 mars 2023 - MAJ : 27/03/2023 10:26
Simon Riaux | 26 mars 2023 - MAJ : 27/03/2023 10:26

Depuis qu’il est passé derrière la caméra avec Layer CakeMatthew Vaughn éparpille, revisite et reconfigure les grandes figures de la pop culture, du gangster, en passant par le super-héros ou l’espion Bondien. Avec un troisième volet de la saga Kingsman en forme de prequel nommé The King’s Man : Première Mission, il s’essaie à un tout autre genre, aux enjeux et traditions radicalement différents de ceux qu’il a explorés jusqu’alors. 

GENTLEMAN GUERRIER 

Si ce nouvel opus opte une nouvelle graphie et s’intitule The King’s Man : Première Mission, ce n’est pas seulement par coquetterie, mais bien pour nous indiquer que le centre de gravité de la saga a changé. Nous ne sommes plus ici aux prises avec des combattants résolument indépendants du pouvoir, puisque nos héros se placent, de leur propre aveu, au service de la couronne, veillant notamment à sa survie. De fait il retrouve donc ici une certaine tradition de l’aventure à l’anglaise. 

 

The King’s Man : Première Mission : photo, Ralph FiennesIl a l'air fin Ralph

 

Un concept du gentleman, abondamment cité dans les deux premiers chapitres de la saga, le plus souvent pour être questionné et détourné, quand il est ici rétabli dans son acception classique, en témoigne la superbe de Ralph Fiennes, qui tient ici presque seul les rênes de l’intrigue, avec pour motivation originelle de préserver son Royaume, tant en termes d’intégrité que de dignité, alors que la Grande Guerre menace, puis fait rage dans toute l’Europe. Bien sûr, notre noble héros ne nous épargnera pas quelques saillies toutes britanniques et autres répliques frôlant l’impertinence, mais on est désormais à mille lieues des antagonistes zozotant des fins du monde cartoonesques, ou des espions rentrant les poils de ministres avenantes. 

 

 

The King’s Man est désormais le terrain de jeu de dignes combattants, meurtris par les affres de la guerre ou la brutalité des hommes, mus par de glorieux serments, un sens du sacrifice hors-norme, un désir irrépressible d’aller toujours de l’avant. En un mot comme en 100, Matthew Vaughn ne rigole plus (tout à fait). En témoigne l’ouverture du récit, qui tranche avec les délires des chapitres qui ont précédé. Nul massacre en hélicoptère ou poursuite affolante dans les rues de Londres, mais le déroulé sur fond vert d’un trauma moins bien étalonné qu’une sex tape de moines franciscains.  

 

The King’s Man : Première Mission : photo, Ralph Fiennes, Harris DickinsonJe serai le plus beau pour aller tuer

 

GUÉGUERRE MONDIALE 

En effet, pour qui a toujours goûté la virtuosité avec laquelle le cinéaste a su investir quantité d’univers, de personnages ou de figures de la culture occidentale, l’entrée en matière de son nouveau film a des airs de désauce amère. Alors qu’un Fiennes grossièrement rajeuni s’émeut de la guerre civile sud-africaine, la caméra nous assène un double trauma originel non seulement attendu, mais déployé lourdement, et au gré d’une technique quasi-indigente, à tout le moins très en deçà de tout ce qu’a précédemment proposé l’auteur. 

Il en sera ainsi du premier acte du long-métrage, qui doit faire face à une équation à peu près insoluble : hybrider le grand cinéma d’aventure classique, son sens de la gravitas, avec l’impertinence et l’amour du détournement qui fonde la saga dans lequel l’histoire s’inscrit. Car à l’évidence, Vaughn n’a pu financer son éclatant trip d’un bout à l’autre de l’Europe, en costumes, bourré d’action et de gadgets, qu’en promettant de le maquiller en un épisode de sa franchise à succès. Malheureusement, ces deux univers ne forment jamais un tout cohérent. Pire, ils s’alourdissent l’un l’autre. 

 

The King's Man : Première mission : photo, Djimon Hounsou, Ralph Fiennes"Te revoilà, mon fidèle second rôle !"

 

Tout d’abord parce qu’en voulant relire les grandes étapes du premier conflit mondial, le scénario se contraint à d’interminables circonvolutions, comme lors de l’assassinat d’un certain archiduc qui précipitera l’Europe dans le chaos, inutilement complexifié, et synonyme de grossières explications à l’adresse du spectateur. Et il en va de même sitôt le film contraint de contextualiser, au risque de se dilater à chaque rebondissement. Une structure qui étouffe la vitalité de l'ensemble, notamment durant une première bobine dramatiquement explicative, où les personnages déblatèrent mais paraissent ne jamais agir.

Enfin, c’est bien la tonalité de l’ensemble qui interroge. Le réalisateur s’avère incapable de trancher entre bouffonnerie et gravité. Représenter les souverains de la vieille Europe en gamins irresponsables, pourquoi pas, mais réduire les totalitarismes soviétiques ou nazis à de simples castings absurdes, décrire les tranchées comme la plus tragique des boucheries... avant de faire jouir sa caméra d’une homérique baston nocturne sont autant de contradictions qui finissent par brouiller le message du film, jusqu’à l’alourdir définitivement. 

 

The King's Man : Première mission : photo, Rhys IfansTsar Académie

 

BATAILLE DE LA SOMME DE TOUTES LES PEURS 

The King’s Man est-il pour autant un film raté ? Non, le métrage contient son lot de faux pas, donne pour la première fois le sentiment que son metteur en scène ne maîtrise pas son sujet, jusqu’à se laisser dépasser par ses propres ambitions, mais il n’a pas pour autant perdu sa capacité à étonner, ou tout simplement à incarner un cinéma virevoltant, à défaut d’être virtuose. Le goût de l’épopée que recherche frénétiquement le cinéaste nous emporte plus d’une fois, quand il parvient à aligner l’inventivité, la technicité et la ludicité  qui sont devenues ses marques de fabrique. 

Cabot quand il nous offre une scène d’action où un Raspoutine lubrique entend découper ses adversaires en caricaturant un danseur du bolchoï, enflammé quand il se frotte à 1917 le temps d’une immersion dans les tranchées qui vire à la pure boucherie, mais aussi joueur quand il nous balance dans les pattes des légendes de la trempe de Mata Hari, le conteur a changé de modèles, et se rêve désormais en maître d’oeuvre d’un Capitaine Blood belliciste, ou en descendant de L’homme qui voulut être Roi.

Cette note d'intention se retrouve parfois formidablement synthétisée, comme lors d'une attaque de sous-marin emballée en un fabuleux plan, convoquant l'héritage de Jules Verne aussi bien que l'imagerie de quantité de films de guerre, mâtinés de pulps déchaînés.

 

The King's Man : Première mission : photo, Harris DickinsonEn avoir plein le dos

 

Cet appétit pour un spectacle grandiose autant que pour des personnages brisés par leurs hubris n’est plus une aspiration hollywoodienne fréquente, ce qui confère à ce souffle aventureux une dimension particulièrement divertissante et rafraîchissante. C’est d’ailleurs ce qui achève de faire du dernier acte une impeccable réussite, qui parvient enfin à mélanger - presque – tous ses ingrédients (exception faite du dévoilement grotesque du méchant). 

Quand ses protagonistes découpent sans vergogne leurs adversaires, après un crash aérien techniquement impressionnant, et avant un exercice d’escrime explosive qui se paie le luxe de rendre hommage à tout un pan du cinéma de divertissement qu’incarna Errol Flynn, impossible de résister à la bordélique générosité qu’incarne Matthew Vaughn, qui compte parmi les derniers auteurs de blockbusters. 

 

The King's Man : Première mission : Affiche française

Résumé

Loufoquerie et souffle épique font rarement bon ménage, tout comme fiel satyrique et spectacle guerrier se contredisent. Heureusement, Matthew Vaughn n'a presque pas d'équivalent quand il s'agit de filmer l'action.

Autre avis Mathieu Jaborska
Malgré quelques scènes d'action excitantes, ce troisième volet ne trouve jamais le bon ton, enlisé dans son propre rapport à l'Histoire.
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Lecteurs

(3.3)

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commentaires
Flo1
01/04/2024 à 14:19

Avec le temps, ce film (via le regard du spectateur désormais averti) s’est bonifié.
Certes le traitement des femmes chez Matthew Vaughn est toujours indigent, et sa façon de tordre l’Histoire façon cartoon a de quoi faire hausser les sourcils (l’influence de Mark Millar ?).
Mais ça reste le film de l’auteur où il y a le plus d’ampleur et d’émotions déchirantes, ainsi que des scènes superbes qui restent plus facilement en mémoire, et qu’on apprécie de revoir.
Les moments nobles, émouvants et énergiques, une fois qu’on sait qu’ils sont les plus importants dans le film, ont toujours leur pertinence.
Même le fait de s’autoréférencer en reprenant des scènes du premier, jusqu’à perturber les spectateurs en tuant un héros dans le deuxième tiers de l’histoire… c’est paradoxalement plus fort qu’avec Colin Firth. Parce qu’un mentor qui meurt pour laisser la place au jeune, ça reste dans l’ordre des choses.
Mais l’inverse ? Avec un père finalement deux fois en deuil, se parjurant..? Non seulement c’est déchirant, mais en plus c’est raccord avec tout ce qu’on y raconte (avec insistance) sur tous ces jeunes morts à la guerre pour rien, et pas vraiment avec un "doux honneur".

CamilleB
10/07/2023 à 00:56

Très déçue. Ça a déjà été dit plusieurs fois dans les autres commentaires, mais ce film n'est absolument pas un Kingsman. Ce que j'avais envie de regarder ce soir, ce n'était pas un film de guerre ! D'accord, la mise en scène de Matthew Vaughn est toujours pêchue et audacieuse, et j'ai pris plaisir à voir l'Histoire du XXe siècle malicieusement revisitée, mais à part ça tout le reste m'a frustrée et jamais intéressée. Le film est bien trop violent, sombre et triste, la guerre, je le répète, n'était pas du tout ce que j'avais envie de voir, l'humour, la malice et le flegme british des premiers épisodes n'y sont plus du tout et la mort absurde et injuste du fils m'a tellement choquée que j'ai coupé la vidéo et hésité à regarder la fin. Si on y ajoute beaucoup de vulgarité gratuite, un héros qui ne lève pas le petit doigt avant les 40 dernières minutes des deux heures et quart de film et un méchant complètement anecdotique (et très grossier), je suis arrivée à la fin du film avec l'impression qu'il n'avait toujours pas commencé. Moi qui croyais passer un bon moment…

Neji .
28/03/2023 à 01:27

Une tuerie , je suis fan de cette série de trois films et espère en voir d'autres pour moi Matthew V et un des plus grands réalisateurs de divertissement de cette foutu époque.
Le charme british des perso la mythologie , le charisme de ces acteurs principaux .
La réalisation de ce dernier épisode est folle le passage avec Raspoutine et simplement dingue une telle frénésie et une originalité dans une scène d'action avec un personnage historique ça rend le délire loufoque et féerique à la fois.
Le problème c'est que pour les âmes sensibles avec le changement de ton qui a parfois dans ce film, ça peut en dérouter plus d'un et c'est bien ça moi qui me fait kiffer, quelque chose d'original dans la narration.
En plus le type c'est très bien filmer des scènes d'action c'est pas filmé avec les pieds comme un vieux tacheron qui filme un téléfilm à la con sur Netflix, la musique elle se pose là aussi ..
Ralph F j'ai toujours aimé, je suis aux anges il est au top , sont fidèle djimon H est terrible également.
Et pour les autres épisodes, Colin First acteur magique, réussir à le rendre aussi funky à côté chapeau melon et bottes de cuir c'est un dessin animé pour grand-mère dans un EHPAD.
Pour moi cette épisode reste mon préféré avec le premier.
En espérant que ça finisse pas en série sur une plateforme.

Lougnar
27/03/2023 à 20:21

Perso je n'ai aimé que le premier !Le 2 a vraiment un humour lourdingue et le " je n'aime pas la période historique.

Sammaan
12/11/2022 à 01:32

Le souci du film a été, pour moi, le ton qui n'arrête pas de fluctuer. On passe d'un truc burlesque à un film de guerre tragique au premier degré, tout en étant par moments ébloui par la maîtrise des scènes d'action de M Vaughn. Raspoutine est sous utilisé et fait l'effet d'un pétard mouillé alors que Rhys Ifans démontre encore une fois son aisance à jouer dans n'importe quel registre. Fiennes paraissait lui comme un casting idéal, précurseur parfait de Colin Firth. Et pourtant il est mou du genou en termes d'interprétation. Et celui qui joue son fils à le charisme d'une huître. Et le tout se termine en tragédie alors que, je pense, on était parti pour voir un spectacle jouissif et non pas un semi grand drame sur la grande guerre. Un petit péché d'ambition peut-être ?

Kyle Reese
11/11/2022 à 21:18

Pas aussi bien que les 2 précédent mais rien que pour Raspoutine ça vaut le coup. Dommage d'ailleurs que sa présence ne soit pas plus longue.

Qc
11/11/2022 à 20:36

Un flop intégrale
Dommage ca aurait pu être un succès !

Ronnie
22/02/2022 à 20:33

On passe un bon moment, on passe de l action à l humour sans problème, on remarque aussi toute ces piques colonialistes et "reflet" de la société d aujourd'hui.
Un gros +1 pour la scène a main nue la nuit que j ai vraiment trouvé ouf

Joker
13/02/2022 à 20:57

Le soucis majeur de The King’s Man : Première Mission, repose avant tout sur l'état conflictuel qui règne aujourd'hui en Angleterre. D'un coté les conservateurs attachés au Brexit, et qui désespérément s'accrochent aux vestiges du vieil empire britannique moribond, et de l'autre les travaillistes, soutenus par des organisations de sujets britanniques issus des colonies, qui veulent revenir dans l'Europe tout en voulant faire le grand nettoyage sur le passé peu glorieux de l'ancien empire. La réalisation à contre courant, engagée par Matthew Vaughn n'est certainement pas due au hasard.

Benoit1967
11/02/2022 à 22:00

Petite anecdote intéressante : Au Québec, le personnage de Conrad Oxford est doublé par Xavier Dolan.
Ce dernier a travaillé longtemps dans l'industrie du doublage (plus de 260 films à son actif), mais j'e ne serais pas étonné qu'il choisisse dorénavant des projets qui le passionne.

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